Chapitre VI

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Le soleil ne s'était pas encore levé, qu'il n'avait pas fermé l'œil de la nuit ; les cernes sous ses yeux pouvaient bien en témoigner. Depuis qu'il avait quitté le cimetière, Kyle avait erré dans les rues de Fames sans destination précise à réfléchir si rejoindre Freedom's Wings était bien la solution idéale, si Frank Prym n'avait pas pour objectif de se servir de lui, et que, après avoir obtenu ce qu'il voulait, se débarrasserait de lui à coup de couteau dans le dos. Cette nuit-là, seule la lune lui avait tenu compagnie. Si elle était capable de lire dans les pensées d'autrui, elle serait devenue sa confidente. 

Lorsque l'aurore se montra et changea le bleu marine du ciel en une lueur brillante et rosée, ce n'était plus qu'une question de temps avant que les ouvriers des usines et du Pré ne regagnent leur travail laborieux. Les Légionnaires quant à eux, avaient déjà repris leur poste de haute surveillance sur leur passerelle en métal installée à trois mètres au-dessus du sol, toutes séparées d'au moins dix mètres de distance dans toutes les rues de Fames. Ils étaient perchés là-haut en attente des âmes captives qui, bientôt, envahiront les rues pour se rendre à leur lieu de travail. Lorsque Kyle passa sous l'une de ces passerelles, il veilla bien à baisser la tête pour ne pas être reconnu du soldat armé d'un fusil d'assaut. Sûrement ne le reconnaîtrait-il pas, mais sait-on jamais. 

Comme les petits oiseaux d'un million d'horloges coucou programmées à la même heure, les famessiens sortirent de leur maison par centaines. La ville, jusqu'ici aussi calme qu'une accalmie, subit aussitôt un tsunami de civils à la peau blafarde et à la mine affreuse dans lequel Kyle fut submergé. Se fondre dans la foule n'était peut-être pas une si mauvaise chose pour passer inaperçu. Certains avaient encore du mal à se remettre d'une nuit mouvementée par les combats, guidée par une consommation excessive d'alcool et d'un désir de contrôle qui ne leur était pas autorisé le jour. 

Kyle ne pouvait pas se dire être à l'aise dans cette vague de personnes plus maigres les unes que les autres. Certains dégageaient une odeur putride. Lorsqu'il regarda à sa gauche, un vieil homme au crâne dégarni et à la peau du visage toute flasque et crasseuse avait l'oreille recouverte d'un bandage maculé de sang. Certainement à cause d'un accident de travail, la blessure mal traitée avait probablement dû s'infecter. En baissant son regard sur sa main, elle était également bandée d'un tissu blanc à l'origine devenu noir de crasse. Un petit trou entre deux doigts marquait l'absence de son annulaire. Des mouches tournaient autour de quelques personnes à la mine du visage maladif. Il vit par la suite des petits écoliers se joindre à la foule. L'école ne commençait pas avant huit heures, mais ce rassemblement était parfait pour plonger la main dans leurs poches et dérober le peu de sous ou de nourriture qu'ils avaient sur eux avant de repartir chez leur mère sans être vu. Kyle les laissa faire. Après tout, pour qui se prendrait-il à faire la morale à des enfants affamés ? Alors qu'un Légionnaire repositionnait seulement son arme contre lui, une femme se raidit instantanément. Ils n'ont visiblement pas besoin de moi pour dépérir, pensa-t-il. 

Mais alors qu'il balayait son regard de droite à gauche puis de gauche à droite, Kyle sentit comme si l'air lui manquait. Entouré de tout ce monde, c'était comme s'il était sous les feux des projecteurs et que tous les regards étaient soudainement rivés sur lui. Et si on le reconnaissait ? Et si on le ramenait au laboratoire ? On lui reprendrait ses souvenirs à coup sûr. Pire encore : et s'il se faisait torturer puis tuer pour sa trahison envers le président ? Ses interrogations embrouillèrent son esprit, le faisant paniquer.

Sentant ses mains devenir moites et son cœur s'emballer, il se réfugia dans une ruelle à la première occasion.

Sa respiration effrénée réclamait de l'air pur, mais l'angoisse de mourir d'asphyxie ne faisait qu'aggraver les choses. L'espace autour de lui se mit à tourner, alors il se laissa glisser contre le mur derrière lui jusqu'à ce qu'il puisse s'asseoir sur le sol. Il cessa les tremblements de ses mains en serrant les poings. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, pourtant, cette sensation de peur s'abattait sur lui pour la deuxième fois depuis hier. Mais cette fois-ci, Frank n'était pas là pour le rappeler à l'ordre de sa voix ferme.

PILLAR | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant