Chapitre III

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Le vent frais jouait dans ses cheveux blonds et lui mordait les joues. Les pavés subissaient ses pas, tandis que la lune et les étoiles furent ses seuls guides à travers l'obscurité. Telle une âme égarée, elle errait dans les rues désolées de Fames offrant charité aux plus démunis. Une pièce à certains, une miche de pain à d'autres, laissant planer derrière elle sa douce fragrance de rose, seule preuve de son passage. La brume enveloppait son corps, la faisant disparaître de la vue de ceux qui croyaient avoir vu un ange.

Elle rentra tard dans la nuit. Les pierres du Manoir lui offraient une architecture rustique. À travers la fenêtre la plus haute, une faible lumière vacillait. Et lorsque leurs yeux se croisèrent, son ombre se volatilisa mystérieusement. Comme s'il ne s'était jamais trouvé là.

Le bois du perron grinça sous son poids alors qu'elle se retrouva face aux deux anges sculptés, gardiens de la double porte. Ils déployaient leurs ailes comme s'ils venaient de briser les barreaux de leur cage. Les deux sculptures angéliques ne semblaient pas craindre la dangerosité du monde. Seulement que l'on reprenne leur liberté.

Quand elle entra dans le Manoir, le vent qu'elle amena avec elle souleva le tapis de poussière qui reposait sur le sol carrelé en noir et blanc. Une fine odeur boisée flottait dans l'air et venait l'accueillir chez elle.

Sa main glissa sur le garde-corps en bois tandis que ses pas montèrent les marches du grand escalier. Elle pouvait entendre d'ici les crépitements de la cheminée et sentir la chaleur du feu réchauffer sa peau glacée. Le silence l'accompagnait alors qu'elle parcourait les longs couloirs de sa maison. Lorsqu'elle vit une fine lumière jaune s'échapper de sous la porte, elle toqua trois fois à cette dernière puis entra.

Son dos se présenta à elle alors qu'il contemplait l'océan étoilé à travers sa fenêtre. Une main derrière le dos, la seconde tenait le bougeoir. Quand il lui fit face, la flamme dansait et illuminait son visage à la peau ridée. Ses cheveux argentés étaient minutieusement brossés en arrière, accentuant ainsi son air sérieux. Le quinquagénaire avait ôté sa veste, laissant apparaître son gilet de costume bleu nuit sur sa chemise blanche. La flamme se reflétait sur les verres de ses lunettes et éclairait la teinte olive de ses iris.

Lorsqu'il s'avança devant son bureau, il posa le bougeoir.

— J'ai du nouveau pour vous, déclara-t-il d'un ton solennel.

Ses deux mains se nichèrent dans les poches de son pantalon de tailleur avant qu'il ne poursuive :

— D'après les derniers échos, Jeffrey Harrison souhaiterait passer un accord. L'échange entre les deux rebelles aurait lieu dans un entrepôt, dans le Pré.

Il contourna son bureau et passa à côté des étagères remplie de livres et de documents. Quand il se plaça devant elle, il s'adossa nonchalamment contre le rebord de son bureau.

— J'attends donc de vous que vous preniez sa place, demanda-t-il. Allez-y et attendez-y l'arrivée du Pilier. Lorsque vous l'aurez capturé, vous l'amènerez ici.

C'était comme un rêve sur le point de se réaliser. Ses lèvres s'étirèrent sur son visage d'ange en sentant l'adrénaline parcourir ses veines. Son cœur se fit plus léger lorsqu'elle imagina son sang chaud ruisseler entre ses doigts, la peur envahir ses pupilles, son pouls s'affaiblir de minute en minute jusqu'à ce que la vie ne quitte sa prison charnelle.

L'ange commençait sa chute. Mais elle comptait bien l'emmener avec elle.

— Zack a-t-il finalisé ses travaux ? s'enquit le quinquagénaire.

La jeune femme ravala toute sa haine et sa rancœur avant de répondre :

— Oui, il a terminé le sérum cet après-midi, certifia-t-elle.

PILLAR | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant