Chapitre VII

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Le soleil était à son zénith, mais qui pouvait bien le savoir ? Les nuages grisonnants s'entêtaient à le dissimuler. 

Vêtu de son long manteau noir, Frank arpentait les rues pavées du centre-ville. La rue commerçante était déjà bondée de monde, allant chercher un peu de pain à la boulangerie et quelques morceaux de viande chez le boucher. Cependant, seuls les plus fortunés pouvaient se permettre d'accéder à de tels luxes, ce qui diminuait fortement le nombre d'acheteurs. Certains vendaient le formage que leur avait offert leur chèvre ou bien l'animal lui-même lorsqu'il avait terminé d'allaiter son petit. De l'artisanat aux produits défectueux jetés par les usines ou le Pré, tout avait son utilité et tout était digne d'être vendu dans ce milieu dans lequel l'on n'avait rien. 

À Fames, le seul moyen pour obtenir un salaire suffisant pour survivre était de travailler dans les usines ou le Pré. Seulement, lorsque des nourrissons attendent d'être nourris, que leur corps est sur le point de s'écrouler en pièces détachées, ou encore que les produits toxiques des usines vous rongent la peau jusqu'à l'os, il était parfois difficile d'envisager de s'affairer à une telle besogne. Le corps à ses limites qui ne peuvent être déjoués. Dans ce cas, le troque était le meilleur moyen d'obtenir ce que l'on souhaitait : une longévité... et un peu d'alcool. Quoi de mieux que de s'isoler dans un monde illusoire pour quitter celui qui est devenu notre enfer ? Cela peut également fonctionner avec de l'imagination, mais tout le monde n'a pas accès à un tel atout. À défaut de bénéficier de seulement vingt pourcents de leur production, Fames recevait de l'alcool provenant de Dives.

— Bonjour, monsieur Prym ! le salua un passant. 

Il lui répondit d'un hochement de tête. Puis, il sortit quelques pièces de la poche de son manteau et les donna à quelques mendiants et à un petit groupe d'enfants qui était venu en troupeau devant lui. On le gratifia de mille remerciements pour sa charité.

— Que Dieu vous bénisse, monsieur Prym, déclara une vieille dame.

Lorsque Frank releva la tête, il vit au loin une troupe de Légionnaires qui l'observait dans l'ombre avec hostilité. Au-dessus de lui, le soldat perché sur sa passerelle faisait de même. Peut-être mieux voudrait-il ne pas rester ici trop longtemps.

Celui qui ne connaissait pas Frank Prym s'avérait être alors un profond ignorant vivant dans une grotte éloigné de toute civilisation. Il était vrai que cet homme avait su briller par ses innombrables prouesses en tant que résistant lors de la chute de l'autorité abusif des Légionnaires dont il avait été l'investigateur, ainsi que le soulèvement sur le Pont Léonarth qui était le seul lien entre les deux peuples de Thémis. En conséquence de tous ses actes de déloyauté envers le président, Frank aurait dû être envoyé à la prison Coal ramasser du charbon jusqu'à ce que les toxines de la mine ne noircissent ses poumons – ou plutôt exécuté sur la place publique en vue de la gravité de ses actes. Toutefois, il n'avait jamais été inculpé de ses crimes. Pour une raison qui lui était inconnue, le président Varnham n'avait jamais décrété son exécution. Sûrement, avait-il un plan derrière la tête. Mais, pendant ce temps, il ne faisait seulement preuve de vigilance, qui avait été accru par l'arrivée du Pilier.

À la grande place, une pancarte en bois suspendue à un bras en métal fixé au mur de la façade dévoilait le nom de son bar : The Dancing Angel. Deux personnes totalement soûles venaient de s'y faire jeter avant que l'un d'eux ne recrache tout l'alcool bu au préalable à travers un liquide acide. Ces personnes n'avaient plus rien à perdre. L'alcool était pour eux le seul moyen de quitter cet enfer. Peut-être était-ce là une méthode qui ne leur faisait certainement pas honneur. Néanmoins, leur dignité avait été volée il y a bien longtemps. À force d'être traités comme un chien, nous finissons par manger dans la main de notre maître.

PILLAR | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant