Chapitre XV

17 3 13
                                    

Dans le Hall d'entrée du Manoir, les mains jointes devant lui, Frank attendait patiemment que les Légionnaires viennent frapper à sa porte. Aucun membre de son corps ne tremblait. Dans ce genre de situation où la panique nous gagnerait aisément, jamais il n'avait été aussi serein. Pourquoi y céderait-il ? Tout était sous son contrôle, comme toujours.

Le temps commençant à être un peu long, il plongea une main dans son gilet et en sortit sa montre à gousset. Il l'ouvrit et étudia brièvement les aiguilles avant de diverger son regard sur la photo collée sur le boîtier supérieur. La pulpe de son pouce caressa le visage encore juvénile de sa fille ; c'était comme si l'image prenait vie. Tel un film qui défilait devant ses yeux et qu'il n'aimerait jamais mettre en pause, bien trop précieux pour y mettre un terme. Frank pouvait encore sentir l'odeur du printemps. Parfois, il arrivait que l'on plongeait dans un rêve et que l'on se réveillait dans un cauchemar. Dans les instants où nous sommes les plus vulnérables, les blessures les plus anciennes se réveillent, afin de nous rappeler nos erreurs passées. C'était bien la preuve que les bonnes choses ne durent jamais. Alors, il rompit cet instant de nostalgie en refermant sa montre lorsque les grincements du perron le ramenèrent à la réalité. Le temps passait, et Frank avait l'impression que le ciel s'assombrissait de plus en plus.

Les soldats n'eurent pas le temps de toquer à la porte que Frank leur intima d'entrer, leur montrant ainsi que leur visite ne lui était aucunement une surprise. Après tout, il détenait Fames dans le creux de sa main, et bien que leur fierté le niait, ces soldats savaient également qui était le véritable maître de cette île. Pas un commandant croupi dans son bureau, mais un homme à l'apparence simple et dont son ombre portait des cornes.

Lorsque la porte s'ouvrit, trois Légionnaires pénétrèrent dans sa demeure. Parmi eux, il reconnut le sergent Wallace avec qui il avait essuyé certains différends sans conséquences pour lui, mais qui avaient coûté de nombreuses fissures dans la fierté de cet homme. Ce dernier était la représentation parfaite du Légionnaire : un corps musclé, un regard sévère, cruel, obéissant... Cela dit, il n'avait rien d'honorable comme on définissait si souvent ces soldats. Sa grande taille surplombait Frank, mais il en fallait bien plus pour le faire reculer.

— Bonjour, monsieur Prym, commença le sergent. J'espère que notre petite visite à l'improviste n'interfère pas avec vos activités.

— Mes enfants et moi venons tout juste de finir de manger. Que me vaut cette visite, sergent ? s'enquit-il, poliment.

— Nous avons reçu pour ordre de faire une vérification des lieux. Nous n'apprécierons pas qu'une arme soit malencontreusement tombée entre de mauvaises mains, si vous voyez ce que je veux dire. (Frank ne répondit rien. Quelle parole pouvait bien les mener vers l'arme qu'il recherchait ?) Enfin, voici une lettre de notre commandant.

Le sergent Wallace lui tendit un papier qu'il prit avec méfiance. D'habitude, ils ne prenaient pas la peine de rédiger une lettre pour s'inviter chez autrui. Ils enfonçaient les portes à coup de pied et pointèrent leur arme sur chaque personne qu'ils croisaient. Ce geste le surprit. Alors, Frank lui dit :

— Je suis flatté que vous ayez pris le temps de rédiger une lettre.

— Nous sommes pressés et ne souhaitons pas que quelques différends viennent nous ralentir, répliqua le sergent, d'une voix plus ferme, prise d'une soudaine impatience. Alors, si vous voulez bien nous laisser passer...

Il ne prit pas la peine de lire les excuses bidon qu'ils avaient dû être rédigé et laissa aux soldats la liberté de s'aventurer dans le Manoir.

D'un sourire satisfait, le sergent fit signe à ses deux subordonnées de le suivre. Ils étaient sur le point de monter les premières marches de l'escalier lorsqu'ils levèrent la tête en direction des quatre visages qui les observaient hostilement, comme s'ils protégeaient leur maison.

PILLAR | T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant