26 juin 1783.Son impatience le fit tressauter du pied. Assis sur une chaise au côté de ses concitoyens de Dives dans le vestibule du bureau de recrutement, il les imitait à lire la une du journal local : "La Gazette des Rescapés". D'après ce qui y était raconté, le nombre d'émeutes à Fames aurait doublé lors de ces trois dernières années, et les statistiques montraient que la moitié des Légionnaires de Thémis auraient été mobilisés pour épurer les rues agitées à cause des actes de résistances. Cependant, malgré la tournure alarmante que pouvaient bien prendre le court des événements, le rédacteur en chef, Bruce Evender, savait trouver les mots justes pour rendre l'atmosphère angoissante moins dramatique avec des phrases du type : "Mais ne craignez rien ! Dives tiens debout depuis plus de huit cents ans, et continuera de briller jusqu'à l'éternité !"
Seulement, cela ne suffisait pas pour certains de craindre la naissance d'une troisième révolution.
— Ça craint cette histoire, marmonna un homme assis à côté de lui, qui attendait lui aussi que l'on appelle son nom.
— Ne soyons pas pessimistes, le rassura-t-il. Les famessiens ne sont pas parvenus à traverser le Pont Léonarth depuis plus d'une cinquantaine d'années. Nous ne craignons rien.
— Pour le moment.
La peur d'être confrontée à une nouvelle guerre au sein de Thémis était tout à fait légitime et, au fond de lui, il la partageait, si bien qu'il préférait tout de même ignorer cette inquiétude. Le jour, on pouvait entendre les bruits d'explosif et de coups de feu lorsqu'on se baladait près du pont qui reliait Fames à Dives. La nuit tombée, on ne percevait que la voix des morts dont les corps encore vivants avaient été jetés puis laissés noyer dans le fleuve Cordélia. Les rumeurs couraient, mais le gouvernement les faisait taire avec des mots bien choisis.
Cependant, si bien que les habitants de Dives n'étaient pas impliqués dans ces querelles, ils ne manquaient pas d'en subir les conséquences. À cause de toutes ces émeutes et grèves, certaines usines ainsi que les bateaux de pêche et de marchandises étaient à l'arrêt, tandis que le Pré demeurait presque désert. Les famessiens qui refusaient de participer à ces agissements continuaient leur labeur, mais l'absence de matières premières comme la farine ou bien le textile forçait certains divessiens à fermer temporairement leur boutique. L'économie du pays était en baisse et le gouvernement passait leur journée à trouver une solution contre ces soulèvements qui impactaient de plus en plus leur vie quotidienne.
— Kyle Green ! appela l'un des vétérans chargés de recruter de potentiels futurs Légionnaires.
À l'entente de son nom, son cœur bondi dans sa poitrine tandis qu'il sauta sur ses pieds. Kyle plia son journal puis le coinça sous son bras avant de s'avancer vers la lignée de cinq bureaux en bois vernis. Il glissa nerveusement une main dans ses cheveux d'ébène. Au bureau numéro trois, un ancien soldat au regard sévère et à la peau du visage ridée l'attendait, les mains jointes au milieu des piles de papier administratifs. L'excitation et l'angoisse fusaient dans ses veines lorsqu'il se rendit compte que tout se jouait maintenant.
— Bonjour, monsieur...
— Papier d'identité et compte rendu médical, le coupa sèchement le vétéran.
Sa voix rauque le figea et il oublia un instant ce qu'il était venu faire ici. Ah oui ! Me faire recruter en tant que Légionnaire, se rappela-t-il. Comme je l'ai toujours rêvé.
Il sortit alors du revers de sa veste ses papiers d'identité et le compte rendu médical qu'il avait été faire une semaine auparavant avant des les tendres au vétéran peu commode. Il les lui arracha presque des mains avant de parcourir les lignes avec tellement minuties que cela en venait presque long. Pourquoi prenait-il autant de temps ? Y avait-il un problème ? L'infirmière lui avait pourtant confirmé qu'il était en très bonne santé. Serait-ce à cause de sa pièce d'identité ? Avait-il pris celle de sa mère par erreur ? Pendant les dix minutes qui s'écoulaient avec une lenteur démesurée, il eut le temps de détailler les quelques stylos alignés parallèlement les uns à côté des autres, les piles de papier méthodiquement disposé devant lui, et même de mémoriser le nom de l'ancien combattant qui était gravé sur un triangle en métal : Hank Archer.
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PILLAR | T1
Science FictionDans un monde sombre, un pays dont le peuple était divisé en deux y subsistait. L'un s'appelait Dives. Aussi cupides qu'hypocrites, ils sont les favoris du président Varnahm. Le second s'appelait Fames. Misère et mort les guettaient jusqu'à ce que l...