Assis sur l'un des deux fauteuils du salon, Kyle tentait de nuire à ses préoccupations en jouant avec le roi noir du jeu d'échec. Le soir du bal était venu et le début des opérations n'était plus qu'imminent. Cette nuit, les démons sortiraient de leur antre et masqueraient leurs cornes, tandis que leur cœur perfide envers le président s'introduirait dans son Palais pour découvrir ses plus sombres desseins.À ses côtés, Zack était assis silencieusement sur le canapé tandis qu'Aaron épuisait son impatience en faisant les cent pas. Ses allées et retours l'agaçaient terriblement et ne faisaient qu'empirer sa migraine naissante alors qu'il continuait de stimuler son esprit tumultueux avec la pièce d'échec. Quand il leva la tête, il vit Frank, le regard perdu à travers la fenêtre, probablement emporté par ses songes. Tout comme celui de Kyle, son esprit ne trouvait jamais le repos. Et comme à son habitude, Frank fouilla sa poche et sortit sa précieuse montre avant d'en étudier les aiguilles. Les filles se faisaient attendre. Gaby était rentrée de l'usine de textile dans laquelle elle travaillait il y avait plus d'une heure maintenant et se trouvait désormais dans sa chambre avec Emma pour se coiffer et se maquiller un peu. De quoi illuminer leur teint blafard et faire disparaître leurs cernes, ainsi que leurs écorchures et cicatrices. Afin de ressembler à de véritables divessiens, leur peau devait être aussi pure et parfaite que celle d'un nouveau-né. Tous les quatre s'étaient lavés de fond en comble et avaient fait disparaître toute trace de crasse incrustée dans leur peau. À Fames, il n'y avait pas d'eau courante. Pour toute tâche nécessitant de l'eau, il fallait la puiser aux trois fontaines éparpillées en ville. Ils étaient propres, sentaient bon, et la seule chose qui leur manquait était leurs tenues offertes de la part des alliés, encore rangées dans leur emballage. Pour le moment, ils ne portaient qu'une modeste combinaison et des bottes.
D'après ce que leur avait dit Kyle, la route qui les mènerait à Dives serait sinueuse, sombre et poussiéreuse, rien à voir avec les beaux couloirs luxueux du Palais du président. Quel regret de revenir dans ces maudits tunnels ! Mais ils étaient le moyen le plus sûr pour traverser le fleuve Cordelia sans être vu.
Mais, ces craintes ne se firent pas des moindres. Alors, il sortit de sa poche sa précieuse fiole et avala deux petits comprimés blancs.
- Ce ne sont pas des bonbons, tu sais ?
Son regard sombre s'attarda sur Aaron qui venait de cesser ses désagréables aller-retours.
- De quoi je me mêle ? rétorqua hostilement Kyle.
- Je vous demanderai de bien vouloir attendre la fin des opérations avant de vous entretuer, quémanda Frank, sans payer davantage attention à leurs querelles constantes.
Suite à quoi, les deux jeunes hommes s'efforcèrent de s'ignorer.
- Il a raison, Kyle, concéda Zack, d'une voix peu sûre d'elle.
Malgré les deux semaines qui s'étaient écoulées depuis leur rencontre, ce dernier était encore intimidé par Kyle alors qu'il ajouta :
- Fais attention, j'ignore quels effets une surconsommation pourrait te mener. Et puis, c'est un comprimé, je te rappelle pas, deux.
Zack tentait de le pousser à la modération, mais en vain. Kyle ignorait ses mises en garde, pourtant conscient du danger de ces petits comprimés, c'était plus fort que lui. Il ne connaissait plus que le bruit constant et était devenu avide de silence. Quelle pauvre existence il menait. À la recherche d'une paix qu'il n'aurait jamais autrement que par la mort. Mais, la vie ne ressemble-t-elle pas déjà à la mort ? Depuis son arrivée au Manoir, il cherchait une réponse à ce paradoxe, une utilité à cette existence sans but. N'était-il rien de plus qu'une âme vide emprisonnée dans un corps maudit, après tout ? Qu'il en avait assez de se poser des questions, de tenter de comprendre qui il était, d'endosser un rôle qui ne lui était pas destiné, de passer des nuits blanches à regarder les étoiles dans l'espoir d'en faire partie au plus vite. De se faire pousser par le vent alors qu'il ne faisait que trébucher. Il y avait bien une chose qui pouvait le retenir ici, mais à quoi bon s'attarder sur un bourgeon de rose qui ne fleurirait jamais ? Alors, il se mit à fixer cette fiole avec envie, elle qui pouvait lui offrir tout ce dont il rêvait. C'était décidé : ce soir serait sa dernière nuit blanche et demain, lorsque la lune s'élèverait dans le ciel, il ferait partie des étoiles.

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PILLAR | T1
Science FictionDans un monde sombre, un pays dont le peuple était divisé en deux y subsistait. L'un s'appelait Dives. Aussi cupides qu'hypocrites, ils sont les favoris du président Varnahm. Le second s'appelait Fames. Misère et mort les guettaient jusqu'à ce que l...