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Cela fait près de dix-sept ans que je patine, douze ans que je m'entraîne dans les mêmes locaux qu'Isaac et pourtant, c'est la première fois que je vais partager une séance avec lui. Je ne me réjouis pas forcément à cette idée car rien que de penser à sa gueule de con me file la migraine.

D'habitude, je fais en sorte de ne pas me retrouver sur la glace en même temps que lui. Et lorsque ça a le malheur de se produire, je m'arrange toujours pour délimiter une barrière invisible sur la patinoire afin de ne pas avoir à le confronter.

-L'entraîneur n'est pas là ? Surgit la voix désagréable d'Isaac dans mon dos alors que j'entreprends mes échauffements.

Je me tourne vers Isaac, dégoulinant de sueur dans sa tenue de sport. Je l'ai déjà croisé s'entraîner plusieurs fois en ville, je ne connais pas son parcours mais je l'ai déjà entendu se vanter qu'il avait l'habitude de courir une dizaine de kilomètres avant chaque séance de patin.

Après avoir rabattu ses cheveux bruns vers l'arrière d'un mouvement vif de la tête, il plonge sa main dans son sac et se munit d'une serviette dont il se sert pour éponger son front et sa nuque.

-Je n'ai pas encore dit à mon père que tu avais accepté de patiner avec moi pour la saison. Je voulais d'abord évaluer nos chances de ne pas nous entretuer au cours de notre premier entraînement.

Je pose ma cheville droite sur la barre de danse et étends la pointe de mon pied. Je suis surprise de constater qu'Isaac s'installe en face de moi pour faire écho à mes gestes.

-J'imagine donc que je dois m'inquiéter pour ma vie, je suis sûr qu'avant que j'arrive, tu planifiais déjà une manière de m'assassiner de façon à ce que cela passe pour un accident, m'accuse Isaac, sarcastique.

Je lève les yeux au ciel en plaçant une main gracieusement au-dessus de ma tête et penche ensuite mon buste de manière à ce que ma main levée atteigne le bout de mes orteils en veillant à ne plier aucune de mes jambes.

Si j'ai toujours eu une certaine facilité pour la maîtrise parfaite de la vitesse sur la glace, il en est tout autre pour la souplesse. Je me souviens de l'époque où j'étais aussi raide qu'un piquet et que les pirouettes allongées étaient mon pire cauchemar. Je passais des journées entières à surpasser mes limites pour obtenir une agilité parfaite. Et même si, je dois encore aujourd'hui fournir beaucoup d'efforts pour maintenir tous mes acquis, je suis plutôt fière d'avoir sacrifié tant de larmes et de sueur pour la grâce dont je manquais étant petite.

-Je ne vois pas pourquoi je voudrais te tuer, j'ai besoin de toi et tu me serais inutile, mort. Alors c'est plutôt à moi de me soucier de ma propre vie, tu ne crois pas ? Après tout, c'est moi que l'on envoie dans les airs à plus de trente kilomètres/ heure. Tu es le plus à même de faire passer ma mort pour un accident dans notre situation.

-Content qu'une telle idée ne m'est jamais effleuré l'esprit. C'est pourquoi j'espère que les compteurs sont remis à zéro et que la mort ne planera jamais au-dessus de notre tête. Je suis bien trop charismatique pour mourir ou finir en prison, tu comprends?

Il me lance un regard de travers avant de se corriger.

-Enfin peut-être pas, mais tu devrais pouvoir l'imaginer.

Je balaye sa remarque avec un profond soupir.

-Tant mieux, si les choses sont claires des deux côtés.

Je réitère plusieurs séries avant de changer de jambe, accompagnée d'Isaac. Une fois, nos exercices d'étirements achevés, on s'installe sur un des bancs des gradins de la patinoire.

-Parle-moi du programme libre. Quelle est la musique sur laquelle on danse?

Mon cœur rate un battement, je ne crois pas pouvoir me lasser de la fierté que j'éprouve en annonçant mon choix.

The ice of your heartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant