ZeratoR crut voir un mouvement de l'autre côté de la palissade. Elle délimitait la zone qui leur était allouée. Il se concentra un moment, et consulta l'Autre. Aucun danger en vue. Un altérant inconnu au bataillon, sûrement curieux. C'était commun.
Il sauta avec aisance du toit de sa caravane avant d'y entrer. Ponce était agenouillé, un morceau de bois dans les mains, le modelant à sa guise. De tous les membres, c'était sans aucun doute lui qui avait le plus recours à son altération.
— Tu penses pouvoir remplacer Antoine pour les premières représentations musicales ? demanda ZeratoR.
Le jongleur leva les yeux, tenant dans la main une réplique de la tour de l'ascenseur qui montait vers les quartiers de la noblesse. Il tentait de reproduire une maquette d'Amazon, dans un coin de la pièce qu'il partageait avec son compagnon.
Il croisa son regard et sourit. La lumière était rarement assez tamisée pour qu'il puisse profiter de ses yeux bleus.
— T'as de beaux yeux, tu sais, répondit-il d'un ton enjôleur. Heureusement que tu les caches sinon je devrais me battre pour te garder.
— T'imagines pas ce que je cache d'autre...
— Oh la la, monsieur est joueur !
— C'est mon coloc qui me dévergonde, qu'est-ce que j'y peux... Moi je ne suis qu'un être de lumière.
La dernière réplique arracha un rire franc à Ponce. Tout opposait ZeratoR et la lumière.
— Quoi ? Tu trouves que je suis pas un être de lumière ?
— Non, mais si, si, carrément.
— Bon, et du coup tu peux remplacer Antoine ?
Ponce serra la mâchoire. Ce n'était pas remplacer Antoine qui le tendait. C'était le fait que le prince héritier soit venu leur rendre visite et qu'il ait quitté les lieux sans être inquiété. Un personnage aussi central dans un système qui les détruisait pouvait facilement être échangé contre une amélioration de leur vie à tous.
— Je sais pas trop... grogna-t-il.
— Ponpon...
— Tu crames déjà la cartouche surnom ? T'es vraiment désespéré...
ZeratoR lui adressa un sourire. Ponce se concentra sur la ville miniature qui s'étendait devant lui. Il ne pourrait rien lui refuser s'il l'avait sous les yeux.
— Allez, tu sais qu'Antoine est pas en état de remonter sur scène. À tous les coups il va le chercher dans la foule à chaque représentation. Attends au moins qu'il soit allé lui rendre visite.
— Arrête de faire comme si c'était ça le problème, souffla Ponce.
ZeratoR garda le silence. Ponce l'entendait bouger en fond. Il se demanda si la conversation était terminée. Il arrivait parfois que leur dialogue prenne fin abruptement. Le meneur abandonnait juste le sujet pour ne pas envenimer la situation et ils y revenaient plus tard, à un moment qu'il jugeait plus opportun. S'il avait vraiment mal vécu la chose, il serait en train de se blottir contre lui.
— Ponce. Je veux pas vous perdre. Je veux pas te perdre, reprit le meneur. Qu'est-ce qu'on aurait fait d'un tel otage ? Tu crois qu'on s'en serait sorti vivant ?
— Ils auraient pas tué le prince. Pas quand c'est le seul héritier viable. Ils nous détestent, mais leur haine s'arrête à leurs intérêts.
ZeratoR vint s'asseoir près de lui.
Il avait retiré sa tenue de scène et son maquillage et ne portait qu'une chemise sur un short. La main de Ponce vint machinalement caresser les cicatrices qui s'étendaient sur ses jambes. Le meneur se détendit aussitôt. Ponce savait que s'il ouvrait cette chemise, un spectacle semblable l'attendait.
— Tu te trompes, murmura ZeratoR. Pas sur leur haine. Ça, c'est vrai. Trop vrai. Mais lui, il est sacrifiable à souhait. Antoine voulait pas que j'en parle, mais à tous les coups tu vas faire de la merde si je te laisse faire. C'est l'un des nôtres.
Ponce se figea un instant. L'un des leurs ?
Impossible. On l'aurait senti. En tant qu'élémentaire il n'était pas le plus apte à percevoir la puissance des autres altérants, mais ce n'était pas le cas de tous les membres de la troupe.
— Ils ont trouvé un moyen d'inhiber les altérations.
La manière qu'avait ZeratoR de répondre aux questions muettes était parfois pratique. Ponce releva les yeux. Il tenait encore la grande tour de l'ascenseur. C'était un peu naïf de penser qu'il parviendrait à avancer sur sa maquette ce soir. Il voulait simplement éviter de déposer les armes trop tôt.
— Et tu t'es pas dit que c'était une information importante ?
Dans son esprit, il parvenait mieux à contrôler le ton de sa voix.
ZeratoR posa une main sur la sienne. Celle faite de chair et d'os, bien sûr. Pas le bout de métal avec lequel il était obligé de vivre malgré des différends de plus en plus fréquents.
— Ils cherchent à nous anéantir depuis des années et tu nous emmènes dans une ville où ils ont trouvé un moyen de nous faire disparaître ? enchaîna Ponce. C'est pas toi qui dis tout le temps que tu fais tout pour nous protéger ?
— Je sais. Et je sais ce que tu imagines. Mais c'est encore un processus coûteux et réversible. Un traitement à vie. Pas quelque chose qu'ils peuvent nous filer en douce.
— Et alors ? Tu penses quoi, qu'ils vont s'arrêter là ? Et tu crois qu'ils le testent sur qui exactement ce remède miracle de mes deux ?
— Sur nous. Ils l'ont même testé sur moi, si tu veux tout savoir.
La rage de Ponce gronda d'autant plus dans sa gorge. Tout le monde évitait de mentionner les camps. Tout le monde évitait de parler de centre. Parfois, dans l'intimité de leur chambre, ils se confiaient à mi-voix l'un à l'autre. Comme si la nuit permettait de rendre plus supportables toutes ces horreurs.
Et à chaque confidence, Ponce détestait un peu plus ce monde qui voulait sans cesse les détruire. À chaque fois qu'une marque sur la peau de son petit-ami était expliquée, il lui prenait l'envie de brûler l'univers entier.
Il bouillonnait.
— Et on l'a laissé repartir...
— Tu parles encore du gosse qui va devoir être à la tête d'une nation qui voudrait le faire disparaître ?
La réplique de ZeratoR avait claqué dans l'air. Ponce le dévisagea.
— Il aurait pu nous aider. Il pourrait nous aider.
— T'as raison, on devrait le prendre en otage, ça arrangerait sûrement les choses. Il serait plus enclin à nous aider.
Ponce fronça les sourcils.
— Parce qu'attendre ici et ne rien faire c'est une solution peut-être ?
— C'est pas la meilleure des solutions. Mais c'est la seule qui fait que je peux me réveiller avec ton café le matin et que tu peux t'endormir contre moi le soir.
Ponce ouvrit la bouche pour protester. Forcément, ils risquaient gros. Mais ensemble... ils pouvaient faire en sorte de changer les choses. Faire en sorte que tous les gamins qui connaissaient le même sort qu'eux ne vivent pas dans la peur, ne finissent pas brisés par le système.
ZeratoR déposa ses lèvres sur les siennes. Une astuce bien pratique pour faire taire ses possibles oppositions.
— Tu vas jouer à la place d'Antoine ?
— Tu sais bien que oui...
ZeratoR sourit et l'embrassa à nouveau. La main de Ponce vint se glisser sous sa chemise. En caressant les cicatrices. Il le vengerait.

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La Troupe des Damnés
FanfictionDans un monde qui les déteste, la troupe de Twitch tente de survivre et de se reconstituer une famille. Rayenne et Florence appartiennent à la noblesse. Ils dominent la ville d'Amazon depuis les nuages, mais une chute est si vite arrivée... (TW : hé...