XXIII.

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 Horty prenait des notes entre les tentatives de coups de pattes de Pouic. Elle n'avait jamais appris à écrire et lire était une véritable épreuve pour elle, alors elle avait inventé son propre système à base de symboles et de flèches. Si elle avait vraiment voulu, elle supposait qu'elle aurait pu.

Onutrem avait bien essayé de lui donner quelques cours, mais les souvenirs de ses années en foyer à se faire humilier par tous les adultes lui revenaient à chaque fois. Elle paniquait et finissait par s'endormir.

JDay s'était occupé d'archiver ses expériences les plus traumatisantes. Cela n'avait pas suffi, et comme le gardien des souvenirs lui avait expliqué, ce n'était pas une solution miracle. S'il la privait de tout ce qu'elle avait vécu, ça pouvait être dangereux. Alors elle vivait avec. Comme tout le monde. De toute façon, c'était le seul moyen de vivre. Faire comme les autres.

Mais elle doutait que les autres passent des heures entières à étudier le mythe du hérisson bleu dont la vitesse surpassait celle des trains les plus performants. Elle avait entendu parler de ce mythe alors qu'elle était encore enfant. Quand Baghera la laissait choisir le jeu, elle décidait toujours de partir à la chasse imaginaire du hérisson bleu.

Elles exploraient chaque recoin de la maison en ruine qui constituait leur monde à la recherche de la bestiole. Un adulte finissait par les retrouver et elles se faisaient punir pour avoir été à des endroits où elles n'auraient pas dû être. Mais au moins, pendant un moment, elles avaient été heureuses, joyeuses. Alors, dès que l'occasion se présentait, la chasse reprenait.

Lorsqu'elle avait besoin de se vider l'esprit, de penser à autre chose, comme, par exemple, lorsqu'elle voulait oublier que la femme qu'elle aimait, et pour qui elle avait traversé la moitié du continent, lui avait craché métaphoriquement au visage, elle se réfugiait dans ce mythe. Cela lui permettait aussi de ne pas repenser à son évanouissement. Tout ça parce que cette ville était beaucoup trop bruyante. Elle aurait dû mettre ses oreillettes avant. C'était pas comme si elle avait besoin de son ouïe pour communiquer avec sa petite Angle. Sauf qu'elle avait oublié. Vu qu'elle oubliait tout.

Depuis, elle ne les avait pas retirées, et le magnétophone devait tourner à fond pour passer outre l'isolation phonique offerte par Onutrem. Elle pensait parfois à sa sœur qui devait avoir du mal à supporter la situation. Elle s'attendait à tout instant à se faire tirer de sa transe par une engueulade bien méritée. Pour l'instant, ça n'avait pas été le cas, et elle s'installait confortablement dans sa fixation.

Elle sentit quelqu'un l'encourager à se retourner. ZeratoR se tenait dans l'encadrement de la porte. Évidemment. C'était le seul qui aurait pu l'inviter à faire quelque chose sans avoir besoin de communiquer avec elle. Il lui sourit.

— Désolé, signa-t-il. J'ai toqué, mais tu m'as pas entendu... bizarre.

Horty coupa le magnétophone et retira ses bouchons. Aussitôt le cliquetis de la ville lui parut assourdissant. Elle regretta de s'y être déshabituée. Elle jeta un regard vers le meneur pour vérifier que tout allait bien. Elle n'avait pas l'impression de pouvoir lui vouer une confiance aveugle, c'était bien lui, et pas l'Autre. L'entité au charme irrésistible qui utilisait parfois son corps pour attirer de pauvres âmes. C'était déjà ça...

— Bizarre, effectivement... je me demande s'il y a un lien avec les bouchons d'oreilles et le magnétophone...

— Mmh... tu crois ?

Horty réussit à esquisser un semblant de sourire avant de demander s'il y avait un souci.

— Alors, c'est pas exactement ça... Mais disons qu'on a eu le droit à une invitée surprise, et vu le surnom qu'elle s'est choisi, je pense qu'elle est faite pour squatter chez vous le temps qu'on s'agrandisse. OP Crotte, à toi l'honneur.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant