XVI.

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 Mynthos hésitait. C'était assez rare pour être noté. Mynthos n'hésitait jamais. C'était d'ailleurs son plus gros atout. Ou son plus gros défaut selon les rageux. Mais Mynthos n'écoutait pas les rageux.

Seulement, à chaque fois qu'il devait toquer à la porte de MV, il était pris d'un doute.

MV était leur aîné à tous. L'un des seuls survivants des purges qui avaient eu lieu vingt ans plus tôt. Si ZeratoR n'était pas arrivé pour reprendre les rênes de la troupe, ce sanctuaire aurait sûrement disparu.

On lui avait donné le surnom de « vieux monsieur », alors qu'il n'avait même pas la cinquantaine, pour plaisanter, mais un peu aussi parce que les altérants qui atteignaient cet âge étaient rares.

Il avait peut-être survécu, mais à quel prix ?

Il jeta un regard aux alentours et remarqua Ponce et Rivenzi qui avançaient dans sa direction. Ils se foutraient forcément de sa gueule s'ils arrivaient jusqu'à lui. Mynthos prit son courage à deux mains et cogna à la porte de sa main libre.

Pas de réponse. C'était normal. MV était peut-être vivant, mais il était très doué pour faire le mort.

Mynthos entra.

Un grognement mécontent l'accueillit.

— Oh mec, ça pue la mort, s'exclama Mynthos.

MV et l'hygiène c'était une relation plutôt toxique. Mynthos avait beau nettoyer à chaque fois qu'il passait, il avait l'impression que son aîné attendait qu'il soit parti pour renverser des sacs d'ordures sur le sol.

Le cuisinier aventura un pied dans l'antre sombre.

— Mec, ça colle, c'est dégueu ! T'abuses, j'avais même passé la serpillière.

Mynthos évita les tâches les plus effrayantes pour ouvrir le rideau et faciliter sa progression. Il poussa un petit cri quand il aperçut le visage du vieux monsieur entre deux couvertures et referma aussitôt le rideau.

— Tu m'as fait trop peur...

Il ouvrit le rideau de nouveau. MV n'avait pas bougé. Ce qui était tant mieux, le cœur de Mynthos n'aurait pas pu supporter une autre frayeur.

Le vieux monsieur rabattit la couette sur sa tête en grommelant quelque chose.

— Hein ?

— J'ai dit que tu pouvais te casser. Je vais bien.

Mynthos éclata de rire devant un tel mensonge.

— Ah ouais, là effectivement je pense que t'es nickel.

Il déposa l'assiette qu'il était venu lui apporter sur le bord du piano, le seul objet propre de la pièce. Ou plutôt moins dégueu que le reste.

— Je vais bien...

— Mais oui, bien sûr, allez.

Mynthos se rendit dans la salle de bain et évita de regarder de trop près les tâches qui s'étendaient sur le carrelage. Il en profita pour retenir sa respiration et ainsi résister à l'évanouissement qui le guettait. Une odeur de cadavre en décomposition venait de s'ajouter à celle déjà immonde qui pesait dans l'air.

Il rinça un seau sans s'inquiéter de son contenu et le remplit d'eau une fois qu'elle arrêta d'être marron.

Il retourna dans la salle principale où le locataire n'avait pas bougé et lui lança avec vigueur le seau d'eau en plein visage.

La réaction ne se fit pas attendre.

— Espèce de petit con ! Et le respect des anciens !? Tu te crois tout permis parce que t'es jeune, c'est ça, hein ?!

Mynthos esquiva sans mal les maigres tentatives d'agression.

— Eh bah alors, papy ? On arrive plus à se battre ? le taquina-t-il.

— Tu vas voir... attends que je reprenne mon souffle et...

— Et quoi ?

— Je vais te le faire bouffer ton seau d'eau.

Mynthos sourit.

— Ouais ouais, beaucoup de paroles en l'air pour peu d'actions. Comme d'habitude.

— Oh, mais il va se calmer le gamin ! Je pourrais changer tes couches !

— Le prochain à porter des couches ça risque d'être toi. Allez mange, que ta bouche serve au moins à quelque chose.

— J'ai pas faim.

— Ah ouais ? Bah j'en ai rien à foutre. Tu bouffes.

MV lança une dernière insulte, pour la forme, mais accepta le plat qu'on lui tendait. Mynthos le connaissait trop bien. Il savait quoi préparer pour le convaincre de manger. En revanche, il n'était jamais sûr de ce qu'il devait dire. Les relations humaines c'était toujours trop compliqué. Pourquoi est-ce qu'il fallait que les interactions sociales soient obligatoires ?

L'avantage avec MV c'est qu'il n'y avait aucun code social à avoir. Il était aussi en retrait de la société qu'on pouvait l'être sans rompre totalement avec elle. Il tenait à un fil que Mynthos empêchait de se briser.

Il n'était pas le seul. ZeratoR aussi venait donner un bon coup de pied dans la fourmilière une fois de temps en temps. Mais avec l'installation dans une nouvelle ville et tout le bordel qui allait avec, c'était le cuisinier qui s'était plus ou moins retrouvé en charge de l'EHPAD.

— Tu veux pas aller manger dehors et prendre l'air, pendant que je nettoie ?

— T'as déjà nettoyé la dernière fois que t'es venu ! protesta MV.

— Ouais, ouais, ça se voit d'ailleurs, ironisa Mynthos en montrant le bordel du bras.

MV suivit son mouvement, mais ne semblait pas voir le problème.

— Même Horty verrait le problème. Comment t'arrives à tout salir aussi vite ?

MV haussa les épaules, la bouche pleine.

— C'est pas pour rien que j'étais une star. J'avais proposé à Zera un spectacle : je dégueulasse la scène en un temps record, mais il a refusé. Je pense qu'il avait peur que je lui vole la vedette.

— Ouais, ouais, ça doit être ça... Allez, dehors !

— Petit con...

Malgré l'insulte, le vieux monsieur s'exécuta et alla s'installer sur le pas de la porte.

Mynthos regarda le bordel qui s'étendait autour de lui et soupira. Rien ne l'obligeait à faire ça. Il aurait très bien pu laisser MV mourir tranquillement dans son coin.

Sauf qu'en fait non. Parce qu'il l'avait rencontré avant tout ça. C'était peut-être le seul ici à avoir vu à quel point il pouvait être beau et talentueux. Même lorsqu'il était retenu prisonnier dans un camp.

Et puis... il l'avait promis. Il avait promis à sa fille et sa femme que s'il leur arrivait quelque chose, il serait là pour prendre soin de lui. Et, bien sûr, il était arrivé quelque chose. C'était obligé.

Il passa un doigt sur le piano en se demandant si un jour il l'entendrait encore en jouer.

— Pas dégueu, ta merde, lança MV depuis l'extérieur.

— C'est toi la merde, répondit Mynthos du tac au tac.

— Si ça peut vous rassurer, vous êtes tous les deux des merdes, intervint une voix.

Mynthos leva les yeux et vit DamDam piocher dans l'assiette de MV. Pour être honnête, c'était elle qui connaissait MV depuis le plus longtemps. Ils étaient amis avant la rééducation forcée. Grande, de longs cheveux bruns, parfaitement maquillée et apprêtée, c'était l'opposée de MV.

— Puisque t'es sorti de ta grotte, j'ai besoin de toi, annonça-t-elle.

— Ah, ouais, mais non, parce qu'en fait je dois aider Mynthos à faire la vaisselle et...

— Ouais ouais, allez.

Elle saisit le bras de MV et le tira derrière elle en adressant un clin d'œil à Mynthos. Il lui sourit en retour. À eux deux, ils arriveraient peut-être à faire quelque chose de l'épave qu'était leur ami.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant