XLVI.

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 Étoiles volait. La ville était en feu, et il volait. Toujours plus haut pour échapper à la fumée qui l'étouffait et aux flammes qui montaient. Là-haut il y avait une forêt volante. Il serait en sécurité s'il parvenait à s'y poser. Et pourtant, plus il gagnait en altitude, plus elle s'éloignait. Il comprenait que c'était impossible, qu'il ne pourrait pas l'atteindre.

— Rayenne ! Je crois que c'est le moment de redescendre sur terre.

La voix de son oncle résonnait dans le ciel, venant de partout et nulle part à la fois. Son corps était parcouru d'une douleur familière et ses ailes disparaissaient peu à peu. Il se mettait à tomber alors que le rire de Frédéric Sauveur résonnait autour de lui.

— Étoiles ?

Ce n'était plus son oncle. C'était le chuchotement doux de Baghera. Il ouvrit les yeux. Un cauchemar. Comme tous les soirs. Il jeta un coup d'œil vers le seul autre lit de la pièce. ZeratoR dormait toujours et même Ponce ne semblait pas avoir été tiré de son sommeil. Ouf, cette fois, il n'avait pas crié.

Le rire de son oncle avait été remplacé par le bruit des gouttes qui s'écrasaient sur le toit. Il remarqua que Baghera avait les cheveux humides.

— Qu'est-ce que tu fais là ? chuchota-t-il.

— Je venais chercher Ponce, on a une fuite dans un dortoir. Mais t'avais l'air de faire un cauchemar. Ça va mieux ?

Il se redressa et passa une main sur son visage humide. Impossible de se rendormir après ça.

— Ça va... merci. Tu peux aller le réveiller avant que le dortoir soit inondé.

— Ah ouais, j'avais zappé le dortoir !

Elle alla réveiller l'élémentaire qui se leva en grognant et se prépara à affronter l'air humide. Il salua Étoiles au passage, qui lui rendit son bonjour. Malgré les débuts chaotiques de leur relation, il avait été obligé d'apprendre à connaître et comprendre l'homme. Et puis, il le voyait s'occuper de ZeratoR tous les jours. Changer ses pansements, lui donner à boire, à manger ou lui injecter ce dont il avait besoin lorsqu'il était inconscient trop longtemps.

Cette image avait peu à peu remplacé l'homme prêt à le prendre en otage pour faire entendre sa voix. Il était évident qu'il cherchait uniquement à protéger les siens. Tout comme il était évident que les siens, dont il faisait à présent partie, avaient besoin de cette protection.

Le monde les détestait.

Étoiles se rendait compte un peu plus chaque jour de cette haine qu'il avait naïvement espéré pouvoir combattre depuis un trône auquel on ne l'aurait jamais laissé accéder. Il commençait à se dire que même sans héritier exilé en sécurité, on aurait trouvé un moyen de l'empêcher d'accéder au pouvoir. Son secret était peut-être bien gardé, il ne l'était pas assez pour l'empêcher d'être utilisé contre lui à la moindre occasion. C'était déjà étonnant qu'on lui ait permis de vivre aussi longtemps.

Il repensa à Antoine, à sa tentative de fuite. Que se serait-il passé s'ils avaient réussi ? Est-ce que la troupe serait ici en train de lécher ses blessures ? Est-ce qu'ils auraient évité la capitale ?

— Je te le confie, lança Ponce en sortant, suivi de Baghera.

Étoiles lui sourit. Il avait pris l'habitude de lui adresser cette phrase avant de partir chaque matin. Le prince déchu, parce que c'était tout ce qu'il était à présent, fit un brin de toilette dans la bassine qu'on leur avait installé dans un coin. Passer des longs bains d'eau chaude à ça... c'était quelque chose. Parfois il rêvait de ses appartements. Il revoyait le soleil se coucher à l'horizon dans le désert... et le souvenir de la douleur lui ôtait toute envie de regagner cette vie. Les choses n'étaient peut-être pas parfaites ici, mais elles étaient déjà un peu mieux.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant