XXXIX.

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 — Le seul moyen de le détruire, c'est de l'intérieur.

La phrase résonnait de plus en plus clairement dans la tête de Ponce alors qu'il sentait la fatigue s'emparer de lui face aux attaques de l'Autre. C'était ZeratoR qui lui avait fait cette confidence.

C'était quand les choses avaient commencé à devenir sérieuses entre eux. Quand le meneur avait tenté de lui expliquer qu'entamer une relation avec lui était une très mauvaise idée. Le rebelle lui avait demandé s'il n'y avait pas un moyen de se débarrasser de l'Autre. S'il avait trouvé une porte pour s'infiltrer en lui, il était sûrement possible de le raccompagner vers la sortie.

— C'est-à-dire de l'intérieur ? avait demandé Ponce.

Ils étaient allongés sur le toit de leur roulotte, il faisait nuit. Le froid commençait à tomber et ils s'étaient blottis sous une couverture pour observer les étoiles.

— Qu'un mage assez puissant meurt et se fasse absorber pour aller l'affronter sur son propre terrain. De préférence, quelqu'un qui maîtrise la magie blanche.

Ponce savait très bien que jamais ZeratoR ne pourrait se pardonner d'être responsable de la mort de quelqu'un, surtout si c'était dans l'unique but de le sauver. C'était peut-être pour ça qu'il gardait si bien son secret et faisait croire au reste de la troupe qu'il n'y avait pas de solution. Il était condamné à être le geôlier du démon.

— Je peux aussi mourir, avait-il ajouté. Il est assez affaibli pour être vaincu facilement si je le libère en mourant. Il faut juste que je trouve des invocateurs de lumière assez puissants pour l'exorciser et libérer toutes les âmes que j'ai condamnées.

Ponce l'avait fait taire en l'embrassant. Ils n'avaient jamais abordé le sujet à nouveau. En partie parce que le rebelle savait que la décision du meneur était déjà prise. Il attendait simplement le moment opportun pour se sacrifier et il n'y avait aucun moyen de le faire changer d'avis.

Inutile de s'engueuler pour si peu. Il y avait bien assez de sources de dispute comme ça dans leur couple.

Un coup dans le plexus qu'il para de justesse et qui le fit reculer d'un bon mètre le ramena à l'instant présent.

— Je suis pas assez intéressant pour toi ? plaisanta l'Autre.

Ponce ne répondit pas. Il réfléchissait. Plus le temps passait, moins il avait de chance de prendre l'ascendant dans cet affrontement. C'était de plus en plus évident. S'il se laissait mourir, il avait peut-être une chance que l'Autre l'absorbe. Il ne maîtrisait pas la lumière, mais c'était de loin celui dont les pouvoirs étaient le plus développés au sein de la troupe... peut-être que ça serait suffisant.

La question était : est-ce que l'Autre ferait une telle erreur ? Il savait très bien que Ponce était au courant de sa faiblesse et il était plus que bien placé pour connaître les détails de la liaison entre les deux hommes. Il faudrait le forcer... l'affaiblir assez pour qu'il soit obligé de l'absorber pour garder le contrôle.

Il esquiva de justesse l'assaut suivant.

— Qu'est-ce que tu mijotes ? grogna l'Autre. J'aime pas quand t'as ce regard... quand tu te crois le plus malin.

Ponce eut à peine le temps d'invoquer une barrière de bois qu'un violent coup de pied l'envoya s'écraser contre la porte, lui coupant le souffle. Les gonds de cette dernière protestèrent dans un grincement avant d'abandonner le combat et l'homme tomba sur le dos.

Il laissa échapper un gémissement. Il avait perdu ses lunettes et tout était flou autour de lui. La réserve de bois qu'il avait apporté se trouvait encore dans la cellule. Il ne pouvait plus y accéder. Il fallait qu'il se débrouille sans.

Un mouvement attira son attention. Du coin de l'œil, il put voir que trois silhouettes se trouvaient encore dans le couloir. Pourquoi ?

Il n'avait jamais été question de repartir par cette entrée. Ils auraient déjà dû être bien loin, en train de récupérer d'autres moyens de descendre. S'ils étaient dans les environs, l'Autre n'aurait aucune raison de l'absorber. Merde. Il allait mourir pour rien et laisser ZeratoR seul. Il ne faisait aucun doute que le meneur se sacrifierait à la première occasion après ça.

Non. C'était injuste. Il n'avait pas à payer à cause de sa faiblesse.

— C'est un peu triste de se quitter comme ça, susurra l'Autre en s'approchant de lui. Tu étais bien le seul à me donner un peu de fil à retordre au milieu de cette bande de mauviettes. Mais bon, toutes les bonnes choses ont une fin.

Ponce releva les yeux vers cette chose qui occupait le corps de l'homme qu'il aimait. Un sourire hideux déformait son visage. Comment les autres n'arrivaient-ils pas à comprendre en un instant que c'était l'Autre qui était aux commandes ? Ils avaient beau avoir les mêmes traits, ils ne se ressemblaient pas.

Même flou, même épuisé, Ponce ne pouvait pas un instant croire que c'était son petit-ami qui se tenait devant lui. Mais il était là, quelque part. Au fond.

— Je suis désolé, Zera, souffla-t-il.

Il aurait voulu lui dire tellement de choses. Comment avant lui, il n'était que haine et volonté de vengeance. Comment il avait oublié ce que ça faisait d'aimer, de faire confiance à quelqu'un. Lui dire tout ce qu'il aurait aimé faire s'ils n'avaient pas été dans un monde de merde. Dire qu'il s'était déjà imaginé vieillir avec lui aurait été un mensonge. Les altérants n'avaient pas le temps de vieillir...

— C'est vraiment émouvant comme derniers mots, se moqua l'Autre en refermant ses doigts sur sa gorge.

Les altérants n'avaient le temps de rien. Pas même de se dire au revoir convenablement, pensa-t-il. Alors il s'excusa. Parce qu'il avait échoué. Il aurait voulu tous les sauver. Il avait voulu les libérer. Mais c'était trop dur. Le système était trop résistant. Il n'avait pas réussi à être le grain de sable qui ferait tout dérailler.

Alors que sa vision se brouillait, il sentit des larmes couler sur ses joues à l'idée que Zera soit témoin de ça. Il espérait à moitié qu'il soit tout à fait inconscient comme ça lui arrivait quelques fois. Il se réveillait sans souvenir de ce que l'Autre avait fait. Ça aurait été parfait.

Un grondement fit vibrer les murs et l'étreinte autour de son cou s'évanouit.

— C'était pas ses derniers mots, espèce de grosse merde. Laisse-le tranquille.

C'était la voix d'Horty.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant