XXX.

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 Le bruit des bottes suffit à Ponce pour comprendre ce qui se passait. Il envoya valser quelques bancs du public pour semer un vent de panique et rassembla les autres musiciens en coulisse.

— Pourquoi t'as fait ça ? lui demanda Antoine. T'as blessé des gens.

— Je nous ai fait gagner du temps, ils sont en train de nous arrêter. Zera avait peur que ça arrive.

Il posa sa main sur le parquet qui s'écarta dévoilant une bouche d'égout.

— Il faut y aller.

— Et les autres ? s'alarma Baghera.

— On a pas le temps. Si on veut les sauver plus tard, on doit y aller ! Tip !

Tip Stevens s'exécuta, manifestement convaincu par le ton autoritaire employé. Il avait toujours sa guitare attachée dans le dos, mais cela ne l'empêcha pas de disparaître dans le conduit.

— Il faut que j'aille chercher Ultia !

Antoine s'était relevé. Putain, pourquoi il avait fallu qu'il reprenne les concerts avec celui-ci. Ponce lui saisit le poignet.

— Tu veux la condamner à mort ?

— Je peux pas l'abandonner !

— Bah vas-y, va la rejoindre, et quand tu croupiras en prison et qu'elle sera morte tu lui expliqueras ton choix, ça sera super !

Antoine le dévisagea un moment alors que MV disparaissait à son tour dans le trou noir, suivi d'Onutrem qui restait toujours dans le coin pour s'occuper de la technique. Ponce crut qu'il allait le frapper, il ne l'avait jamais vu aussi tendu.

Mais le petit noble se reprit.

— Si on réussit pas à la sauver je te bute moi-même, prévint-il.

— Si on réussit pas à la sauver c'est qu'on est morts, mais fais-toi plaisir.

Un mouvement attira son attention et Baghera qui avait tenté de s'éclipser se retrouva soudain face à un mur de bois.

— Toi aussi tu veux condamner ta sœur ? grogna-t-il.

Baghera se retourna. À l'inverse d'Antoine, elle n'avait pas l'air en colère... seulement inquiète.

— Je crois que je préfère encore passer mes derniers moments avec elle dans une prison que dans des égouts à pas savoir ce qui se passe, lâcha-t-elle.

Ponce fut pris de court. Il s'apprêtait plus ou moins à lui servir la même engueulade qu'à Antoine. Il était tellement persuadé qu'ils allaient les revoir que l'idée de ne pas pouvoir dire au revoir à ceux qui restaient ne lui avait pas effleuré l'esprit.

— Dis pas ça... souffla-t-il. Pars pas du principe que c'est perdu.

— Mais...

— Je sais... on dirait que c'est foutu. Mais... j'ai un plan. On a un plan. Crois-moi, je quitterai pas ce monde sans Zera.

Baghera hésita un moment. Elle avait les larmes aux yeux. Il lui tendit une main qu'elle saisit et le suivit jusqu'à l'ouverture. À l'extérieur les bruits de bottes s'approchaient de plus en plus. La salle de spectacle résonna d'un rythme beaucoup moins entraînant.

Antoine venait de poser le pied sur les premiers barreaux de l'échelle, il releva la tête.

— On aura jamais le temps, lâcha-t-il.

— Ferme ta gueule et bouge-toi, répondit Ponce.

Il nota mentalement qu'il faudrait s'excuser auprès de lui. Pour l'instant, le cocktail d'efficacité et de panique qui contrôlait ses gestes en était incapable. Il fit signe à Baghera de se préparer à prendre la suite du pianiste renommé et jeta un coup d'œil entre les rideaux.

La Troupe des DamnésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant