Il avait couru aussi vite qu'il le pouvait tout en criant son nom. Le vent contre son visage le rendait muet. Il avait beau lui crier de s'arrêter, et de revenir, qu'il l'aiderait, que Boss l'aimait toujours, rien n'y faisait. Elle continuait de courir et se jeta dans les vagues sans hésitation. L'eau devait être glacée, mais elle ne s'arrêta pas pour autant, comme insensible au froid. Il ne s'était pas non plus arrêté, courant à sa suite aussi vite qu'il le pouvait. Ses poumons étaient en feu et ses jambes criaient de douleur. Il était à bout de souffle, mais il continua. Il devait la sauver.
Il arriva trop tard. Elle était complètement immergée et il ne pouvait plus la voir. Il s'arrêta au bord de l'eau, sentant l'air polaire lui fouetter le visage et appela son nom aussi fort qu'il le put. Des larmes lui coulaient le long des joues. Elle était partie, emportée par les vagues. Il l'avait crue morte. Il s'était écroulé à genoux dans l'eau glacée et avait pleuré. En cet instant, il avait haï Boss de toutes ses forces. Comment pouvait-il rejeter un être aussi pur et parfait ?
Il avait hurlé de douleur et de colère, quand une tête surgit de l'eau. Celle d'Idi. Elle le regardait, surprise. Choquée de la voir resurgir, il l'appela et l'incita à revenir sur la rive. Il fit quelques pas de plus dans l'eau, prêt à plonger pour aller la chercher avant de se rappeler qu'il ne savait pas nager. Les vagues étaient violentes et l'eau glaciale. Il ne ferait pas un mètre avant de se noyer. Il cria son nom, désespéré, et elle lui sourit. Il se rappelait encore avec vividité son sourire, calme et serein. Elle n'avait absolument pas l'air d'être en train de se noyer, au contraire, elle semblait être de retour chez elle. Elle lui fit un signe d'au revoir de la main avant de plonger de nouveau dans les vagues, fouettant derrière elle une large queue de poisson argentée. Il était resté longtemps sur la plage, les pieds dans l'eau, à regarder les vagues, choquée de ce qu'il venait de voir. Il était une des premières personnes du cirque à avoir découvert sa vraie nature, et il avait gardé son secret religieusement.
« Maitre Pelli ? », appela Idi.
Il revint au moment présent, laissant le passé derrière lui. Oui, il connaissait la vraie nature d'Idi.
« Est-ce que cela a un rapport avec ce que tu es ? », demanda-t-il, intrigué.
« Oui, mais cela vous concerne également Maitre Pelli »
« Moi ? »
Qu'avait-il à faire là-dedans ?
« Mère m'a permis de rester sur Terre de façon permanente ... », elle expliqua.
« Mère ? », demanda Maitre Pelli.
« Une sorte de déesse des Océans », expliqua brièvement Boss.
Idi lui jeta un regard noir. Comment osait-il réduire Mère au simple titre d'être potentiellement divin ? Elle était bien plus que ça. Elle fit un signe de la main, signifiant qu'elle laisserait passer cette offense, mais qu'il ferait bien de tenir sa langue.
« Mère est puissante et peut faire don de cadeaux sans prix à ceux qui aident ses enfants. »
« Des cadeaux ? »
La curiosité de Maitre Pelli était piquée au vif. Boss se racla bruyamment la gorge, récoltant un nouveau regard noir d'Idi.
« Ses cadeaux ne sont pas réellement sans prix, Idi, et c'est bien pour cela que nous sommes là. »
« Le prix d'une vie humaine, Tom, n'est rien comparé à l'éternité ! », s'indigna Idi.
Elle ne pouvait supporter qu'on insulte Mère et Boss se montrait particulièrement ingrat et irrespectueux.
« Pardon ? », les interrompit Maitre Pelli, « Une vie humaine ? L'éternité ? Mais, de quoi parlez-vous ? »
« On te parle de la vie éternelle en échange d'une vie humaine de temps en temps. Qu'est-ce que t'en pense ? »
Boss s'impatientait et les ronds de jambes d'Idi l'agaçaient. Cette dernière, vexée, croisa les bras devant sa poitrine. Il allait le payer plus tard, il le savait, mais elle s'en remettrait. Elle ne restait jamais très longtemps en colère contre lui.
Maitre Pelli les regarda, choqué. La vie éternelle ? Est-ce qu'ils se moquaient de lui ? Les mines graves d'Idi et Boss, en face de lui, disaient le contraire. Il n'avait jamais imaginé un jour avoir cette conversation. C'était digne d'un de ces contes qu'il aimait à lire. Un génie approche le héros et lui propose d'exaucer ses vœux les plus chaires en échange de son âme. Son âme ?
« Est-ce que je dois vendre mon âme à Mère ? », demanda Maitre Pelli, perspicace.
Idi le regarda, surprise. Il était vraiment intelligent. Boss avait mis des lustres à comprendre que le marché impliquait d'échanger son âme contre la vie éternelle. Elle ne lui avait pas avoué avec ces mots du coût du marché, de peur de le voir changer d'avis et refuser. Il n'avait compris que bien après l'échange fait. En revanche, elle ne pouvait pas tromper Maitre Pelli et sa fine intelligence. Elle ne répondit pas, mais son silence en disait long. Maintenant, elle devait attendre de voir à combien Maitre Pelli estimait son âme. Ce dernier aurait aimé pouvoir faire les cent pas dans sa roulotte pour réfléchir, mais entre les livres qui jonchaient le sol et ces deux invités, il n'avait pas la place de bouger.
« En échange de mon âme, je pourrais avoir la vie éternelle ? », il demanda à Idi pour être sûre.
« Oui », elle répondit aussitôt.
Mère avait accordé plus que la vie éternelle à Boss. Elle avait fait de lui un nouvel être, proche de ce qu'elle était. Boss ne réalisait pas encore l'étendue de ses nouveaux pouvoirs, et tout ce dont il était capable. Mère n'offrirait pas ce don à une autre personne, mais elle lui accorderait certainement des serviteurs. Vendre l'âme de Maitre Pelli pour une éternité de servitude, était quelque chose qu'elle accepterait sans doute de faire, mais seulement si Maitre Pelli se montrait digne d'elle. Il n'avait pas besoin de savoir qu'il n'aurait pas les mêmes pouvoirs que Boss. Il s'arrêterait simplement de vieillir.
« Peut-elle aussi me rendre normal ? », demanda Maitre Pelli, plein d'espoir.
Idi hésita avant de répondre :
« Non »
Maitre Pelli baissa les yeux au sol, un peu déçu. Une vie éternelle dans ce corps. Voulait-il vraiment ça ?
Maitre Pelli n'était pas un homme religieux. Il n'avait pas été élevé dans la religion non plus, et contrairement à Boss, il ne craignait pas la damnation éternelle. Cependant, Idi avait passé assez de temps avec les humains pour savoir qu'il ne fallait pas sous-estimer le pouvoir de leur superstition. Bien qu'athée, Maitre Pelli pouvait très bien croire à l'existence de l'âme et refuser de faire l'échange. Idi pouvait sentir le débat intérieur qui s'opérait chez Maitre Pelli et elle doutait cette fois qu'elle gagnerait. Elle voyait l'hésitation de Maitre Pelli et elle n'aimait pas ça. Pourquoi hésitait-il alors qu'elle lui offrait la vie éternelle ?
Idi, et son physique parfait, ne pouvait comprendre ce que c'était d'être différent. Elle croyait que l'hésitation de Maitre Pelli était seulement lié à la perte de son âme.
Après un silence interminable, Maitre Pelli finit par dire :
« Que dois-je faire ? »
Il avait pris sa décision. Le pouvoir que lui apporterait l'immortalité rendait son apparence physique insignifiante. Avec le temps, il pourrait accumuler assez de pouvoir, de richesse et de connaissance pour être bien au-dessus de n'importe quel être humain. Il y a bien une chose que Maitre Pelli comprenait, c'était que l'argent pouvait tout acheter.
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Le Cirque Rossolini
HorrorTW : Description de scènes à caractère sexuel, violence et langage grossier. Le Cirque Rossolini enchante les foules avec ses numéros époustouflants et ses artistes excentriques, mais cache un sombre secret : Idi, une sirène immortelle, vit parmi e...