Chapitre 8.3

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Des larmes coulèrent le long de ses joues. Il ne l'avait jamais vue aussi agitée et cela le troublait. Elle était toujours d'un calme et d'un contrôle hors du commun, quelle que soit la situation. La voir dans tous ses états lui brisait le cœur.

« Pardon », il dit simplement, plein de regret.

« Maintenant, il va falloir qu'on fasse quelque chose pour la calmer », elle dit, folle de rage.

« Comme quoi ? », il demanda, inquiet.

Il ignorait pourquoi il lui posait la question. Il en connaissait déjà la réponse. Mère allait exiger un sacrifice de plus.
Idi ne répondit pas, se contentant de le regarder en silence, ne sachant que faire de lui. Il pouvait la sentir, scruter ses pensées. Elle pouvait voir ses émotions de la journée. Toutes ces questions avec lesquelles il s'est torturé pendant des heures. Elle soupira de frustration.

« Tu es un idiot. Je te donne le pouvoir et la vie éternelle, et tu te tortures sur des problèmes insignifiants comme la valeur de la vie humaine. »

« Ce n'est pas insignifiant, Idi. Je n'ai jamais tué personne », dit-il en baissant les yeux.

Il se sentait honteux et faible. Il voulait être l'homme qu'elle voulait, mais il avait toujours une conscience. C'est ce qui l'arrêtait et le torturait. C'est ce qui l'avait empêché de faire demi-tour et d'aller éventrer le sans-abri en plein jour.

Ils restèrent un certain temps, enveloppés dans leur silence. Boss, les yeux rivés dans l'eau, et Idi, perdue dans les pensées de Boss. Après plusieurs minutes, elle brisa le silence et demanda d'une voix plus douce :

« Tu l'as senti ? »

C'était inutile de lui mentir ou d'essayer de lui cacher, elle pouvait lire en lui, elle avait ressenti ce qu'il avait ressenti dans ce parc. Cette faim insoutenable. Boss ne lui répondit pas. Elle se mit à genoux devant lui, faisant tanguer la barque, et posa ses mains sur ses genoux. Il la regarda droit dans les yeux quand elle dit ces mots qui changeront tout pour lui :

« Ce n'est pas de tuer qui va être difficile, Tom, c'est de t'arrêter. Ta conscience n'est pas une faiblesse. Il te faut garder cette part d'humanité en toi, elle seule te permettra de ne pas devenir un monstre. »

Il comprenait exactement ce qu'elle voulait dire. Sa conscience et son humanité étaient la seule chose qui l'avait empêché de commettre un massacre et d'éventrer toutes les personnes qui ont croisé son chemin. Il prit ses mains dans les siennes et y déposa un baiser reconnaissant. Si son humanité était ce qui lui permettrait de garder le contrôle, qu'est-ce qui l'empêchait, elle, de les tuer à sa guise ? Elle n'était pas humaine après tout. Il se força à chasser cette pensée de son esprit avant qu'elle puisse la lire.

Il allait donc devoir tuer de sang-froid. Il ignorait encore s'il en serait capable, mais il était maintenant prêt à essayer. De toute façon, il n'avait pas le choix. Il devait donner à Mère ce qu'elle réclamait et ainsi, il pourrait rester avec Idi pour toujours. Idi lui sourit. Elle avait réussi à le convaincre. Elle avait gagné. Elle gagnait toujours, mais cette fois, elle avait bien cru que Mère l'emporterait. Elle soupira de soulagement et se leva pour l'embrasser longuement, une main emmêlée dans ses cheveux mouillés. Elle le forcerait à laisser sa conscience et son humanité de côté, assez longtemps pour laisser place à son nouvel instinct de tueur. Il sera alors plus facile à contrôler.

Il mit fin à leur baiser pour lui demander :

« Qui sera le premier sacrifice ? »

Elle rit avant de dire :

« Pas besoin de sacrifier une jeune vierge. Mère n'en a rien à faire. »

Il sourit, embarrassé de sa naïveté, mais après tout, il ne connaissait pas les règles.

« Alors n'importe qui fera l'affaire ? », il demanda.

« Pas exactement. Mère exige de la pureté et de l'innocence », lui expliqua Idi très sérieusement.

Finalement, une jeune vierge n'était pas si stupide que ça. Où allait-il pouvoir trouver une personne pure et innocente ? Une vague d'horreur se forma sur son visage. Il lâcha les mains d'Idi avant de dire :

« Je ne tuerais pas d'enfant, Idi ».

Elle reprit ses mains :

« Moi non plus, nous n'avons pas besoin de tuer d'enfant non plus. N'importe qui fera l'affaire. »

Il ne comprenait pas.

« Comment savoir alors s'ils sont purs et innocents ? »

D'après sa brève expérience en tant qu'humain, aucun adulte n'était innocent ou même pur. Trouver la bonne personne sera difficile, en trouver une nouvelle tout les mois, sera impossible. Il sentait la panique le gagner. Mère les avait piégés avec une condition impossible à remplir. À cause de lui, ils allaient devoir faire deux sacrifices au lieu d'un ce mois-ci. Il était fini. Boss se maudit de sa stupidité et de son manque de foi.

« Laisse-moi faire sur ce point. Je saurais les trouver et je te les amènerais. Je te l'ai dit, tu n'es pas seul. »

Elle posa un baiser léger sur ses mains tendues. Il comprit qu'elle n'en dirait pas plus. Il ne saura jamais comment elle compte trouver ces personnes. Il devra lui faire confiance. Encore une fois, sa foi en elle était mise à l'épreuve. Il n'échouera pas une deuxième fois, il se promit.

Elle retourna s'asseoir de l'autre côté de la barque et lui fit signe de récupérer les rames. Il s'exécuta et lentement, rama vers la rive.

Quand ils arrivèrent sur la plage, Boss sauta à l'eau pour tirer la barque et tendit la main à Idi pour l'aider à descendre. Elle s'en saisit avant d'ajouter :

« Ce soir, il te faudra faire le premier sacrifice. Tu as offensé Mère et elle n'attendra pas la fin du mois. »

« Les deux à la fois ? », demanda Boss à voix basse.

Il ne voulait pas prendre le risque d'être entendu. Après tout, ils complotaient pour commettre non pas un, mais deux meurtres.

« Non, ce sera plus facile pour toi de n'en faire qu'un à la fois », répondit simplement Idi, comme si cela ne représentait rien.

Elle lui faisait peur parfois, mais il avait encore plus peur de ce qu'il allait devenir après ce soir. Il ouvrit la bouche pour lui en demander plus, mais elle posa un doigt délicat sur ses lèvres :

« Je vais m'occuper de tout, fais-moi confiance. Rejoins-moi avant minuit sur cette plage, elle est à seulement quelques minutes du cirque. »

Elle pointa du menton un coin éloigné de la plage, caché entre deux larges rochers. Ils seraient hors de vue à cet endroit. Il hocha la tête pour confirmer qu'il avait compris. Son cœur battit un peu plus rapidement, après ce soir, il ne pourrait plus faire demi-tour. Il serait damné pour toujours. Idi lui prit la main et ensemble, ils retournèrent au cirque. 

Le Cirque RossoliniOù les histoires vivent. Découvrez maintenant