Chapitre 10.3

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Idi, suivie de Boss, entrèrent en silence dans la roulotte de Maitre Pelli, qui ferma la porte à clé derrière eux. Il valait mieux s'assurer qu'ils ne seraient pas dérangés.

On pouvait aisément deviner la profession de Maitre Pelli en entrant dans sa roulotte et également que Madame Francine et son balai à brosse n'y étaient pas les bienvenus. Les quelques surfaces de la roulotte croulaient sous les carnets de notes, feuilles volantes et livres. Des étagères avaient été construites exprès pour y ranger les centaines de livres que Maitre Pelli possédaient, mais elles n'étaient pas suffisantes, car plusieurs piles de livres jonchaient également le sol. Il était difficile de comprendre comment Maitre Pelli arrivait à travailler dans ces conditions ou même comment il arrivait à dormir dans un endroit pareil. Son lit était caché derrière plusieurs piles de livres et seule une personne de sa petite taille aurait pu passer entre les montagnes de papier pour accéder au lit. En voyant l'état de sa roulotte, Boss se promit immédiatement de lui en acheter une plus grande. Cela ne faisait aucun doute cependant que Maitre Pelli arriverait à remplir une roulotte plus grande avec encore plus de bazar pour arriver au même résultat. Idi regarda autour d'elle à la recherche d'une surface où s'assoir, mais elle ne trouva qu'une pile de livre plus ou moins stable pour faire office de chaise. Boss resta debout à ses côtés.

« Que s'est-il passé ? », demanda Maitre Pelli en allant s'assoir sur son lit.

Idi savait très peu de Maitre Pelli, mais elle avait la plus haute estime pour lui. Elle pouvait sentir qu'il était un être d'une grande intelligence dont la difformité physique n'avait pas limité son ambition. Elle savait qu'ils pouvaient compter sur lui et que s'il ne pouvait pas les aider, personne d'autre ne pourrait.

Boss en savait un peu plus : Maitre Pelli était plus vieux de quelques années et exerçait déjà le rôle de comptable et d'avocat au cirque à son arrivée. Il parlait rarement de sa jeunesse, mais comme Boss, il avait fui un passé violent et pauvre. Il avait fui pour survivre et, comme beaucoup, avait trouvé refuge au cirque. Rapidement, Boss et Maitre Pelli s'étaient liés d'amitié. Maitre Pelli lui avait appris à lire et à compter. Il lui avait prêté de nombreux livres qu'il avait dévorés la nuit avant de retourner nettoyer les cages des animaux. Maitre Pelli était trop jeune pour être son père, mais il était certainement le frère que Boss aurait aimé avoir. Il était le frère qu'il avait choisi et s'il devait dévoiler son secret à quelqu'un, ce serait à Maitre Pelli, mais il ne savait pas par où commencer. Idi fut la première à parler :

« Maitre Pelli », elle commença doucement, « Vous m'avez sauvé la vie, à plusieurs reprises. »

Maitre Pelli fronça les sourcils et croisa les bras devant lui. Cela devait être très grave pour qu'elle commence de cette façon.

« Je vous tiens en haute estime et j'aimerais vous remercier pour tout ce que vous avez pu faire pour moi. »

Maitre Pelli leva un sourcil interrogateur. Il ne comprenait pas ce qu'il se passait.

« Qui y a-t-il Idi ? », demanda-t-il, inquiet.

Boss savait que Maitre Pelli avait toujours eu un faible pour Idi. Personne ne lui était insensible, elle était magnifique. Beaucoup d'hommes, en revanche, n'auraient pas accepté de voir la femme qu'ils désirent dans les bras d'un autre, mais pas Maitre Pelli. Il avait accepté de la voir avec Boss et il ne lui en avait jamais tenu rigueur. De plus, ses sentiments pour Idi n'avaient jamais affecté leur relation, et pour ça, Boss lui en était extrêmement reconnaissant. Il ne savait pas où il serait aujourd'hui sans le cerveau et le bon sens de son ami.

« Vous savez ce que je suis, n'est-ce pas ? Vous m'avez vu sous ma vraie forme », Idi continua.

« Oui », répondit simplement Maitre Pelli avec un air très sérieux.

Il craignait de nommer ce qu'elle était, mais en effet, il savait depuis longtemps.

La présence d'Idi avait changé sa vie sous bien des formes. Sa vision du monde avait été chamboulée et pour un littéraire comme lui, amoureux de la mythologie et des sciences, Idi lui avait ouvert la voie vers un nouveau monde. Un monde fait de créatures mystiques et de magie. De quoi transformer la vie de n'importe quel homme. La première fois qu'il avait vu Idi sous sa vraie forme était par accident. Elle était au cirque depuis seulement quelques mois et il avait surpris une conversation animée entre elle et Boss. Idi était clairement enceinte et il avait cru qu'ils se séparaient. Il ne pouvait entendre la nature de leur conversation, mais il imaginait très bien qu'un jeune homme de tout juste 20 ans ne voulait pas assumer la charge d'un nouveau-né. Il avait prévenu pourtant Boss. Il lui avait expliqué les conséquences évidentes de leur relation passionnée, mais Boss était bien trop amoureux et envouté par cette magnifique créature pour écouter ses leçons de biologie. Tout ce qu'il voulait était de se rassasier de ce corps parfait, et il ne pouvait pas lui en reprocher. Lui-même en avait rêvé de nombreuses fois.

Pensant que la dispute du jeune couple était liée à cette grossesse involontaire, Maitre Pelli s'apprêtait à intervenir pour leur expliquer qu'il y avait des solutions. Avorter à son stade avancé était dangereux, mais encore possible, sinon elle pourrait toujours trouver un couple heureux d'adopter. Il n'eut pas le temps d'intervenir cependant qu'Idi partait en courant en direction de la mer. Boss la regarda partir sans la retenir, les larmes aux yeux.

En revanche, Maitre Pelli la suivit, pensant qu'elle s'apprêtait à faire quelque chose de stupide. Il ne savait pas exactement l'âge d'Idi, mais elle était assez jeune et amoureuse pour être à ce point dramatique. Elle courait, pieds nus, vêtue seulement de sa robe de nuit.

Comment Boss avait-il pu la laisser partir dans cette tenue en plein hiver ? Elle allait attraper la mort !

Il l'avait suivie en courant, et l'avait appelé à plusieurs reprises, mais elle ne semblait pas l'entendre. Elle courait trop vite pour lui et ses courtes jambes. Il avait tout de même réussi à ne pas se faire distancer. Il se rappelait encore comment cela s'était passé. Ils étaient aux pays de Galles à l'époque. Il se rappelait la neige et la fraicheur de l'hiver, et il paniqua quand elle courut droit vers la mer. Elle allait se tuer ! 

Le Cirque RossoliniOù les histoires vivent. Découvrez maintenant