Mes émotions sont mes démons.
Profanant mon monde, ma tombe.
Les fleurs ont cessé de faner dans mon Jardin d'Éden.
Elles n'ont laissé que le silence et vos présences.
Il est deux heures du matin quand je me répète ces phrases dans mon esprit saccagé. Ce piteux poème fait partie de ceux que j'ai réussi à assembler quand la vague d'émotions m'embarque, quand le souffle me manque et que j'essaye de verbaliser ce qui m'enrage. Ça ne m'a jamais soulagé, je le marque juste dans ce foutu carnet. Ma tête posée sur cet oreiller molletonné, je ne suis pas à plaindre, j'ai tout ce dont je peux rêver. Un lit, un ordinateur, de la nourriture à foison, tout. Et pourtant j'ai ce trou dans ma poitrine comme si une case avait disparu. Je me retourne et plonge mon visage dans la taie. J'aime cette sensation, l'air est coupé, mon cœur ralenti, je ne ressens plus rien. Cela ne dure jamais longtemps, jamais assez longtemps. Les pieds hors du lit, je me redresse, fuyant la tentation d'errance. Sur mon bureau, le point de lumière de mon ordinateur est le seul à éclairer ma chambre. Je m'installe devant, la luminosité brûlant mes rétines. D'un clic, je lance un des seuls jeux qui m'empêche de réfléchir : Call of Duty. Je ne sais pas si cela fait de moi un sociopathe, mais ça me soulage de tuer. Le menu s'affiche à l'écran, le son m'explose les tympans. J'oublie toujours combien j'écoute la musique beaucoup trop fort. Je baisse le son et prépare mon jeu en tapant sur quelques touches.
Mon téléphone s'allume, une notification me distrait. Je reconnais la photo de profil d'Elya, ma meilleure et seule amie. Ça fait quoi ? Six ou sept ans qu'on se connaît. On est devenu amis quand je persistais encore à aller en cours. Je récupère mon téléphone et regarde ce qu'elle m'a envoyé, une note vocale.
— Coucou toi ! s'enjoue-t-elle d'un ton bien trop euphorique pour moi. Je voulais savoir si ça te dirait qu'on se voie demain. Au p'tit resto café ou tu vas tout le temps.
Elle adopte un air pensif.
— De toute façon t'as pas le choix, je viendrai te chercher dans ta tanière.
Je ne sais pas pourquoi elle est amie avec moi ni pourquoi elle s'obstine toujours à me faire sortir, elle sait que je n'aime pas ça. Mais pour une fois qu'elle ne me propose pas de partir à l'autre bout du monde...
Atiyan : OK
Il ne faut pas longtemps pour recevoir une réponse.
Elya : ♡♡
J'éteins mon téléphone et retourne à mon écran d'ordinateur. Mon doigt sur la souris, je fixe le menu, mon envie est déjà passée. Je me relève et sors de ma chambre, le pas traînant, sans craindre de faire du bruit. Le long couloir qui me fait face est digne des meilleurs films d'horreur, il est sombre avec des portes et une vitre dans le fond. L'ordinateur éclaire suffisamment pour me permettre d'avancer sans me casser la gueule. Le bois couine sous mes pas alors que je descends les escaliers. Le bruit ne réveille personne, il ne réveille jamais personne, il n'y a plus personne. Ce n'est qu'arrivé au rez-de-chaussée que je me force à allumer pour mieux y voir. Les marches mènent toujours sur la porte d'entrée. Je peux encore y voir la couronne de Noël que ma mère s'obstine à accrocher tous les ans.
Je continue ma marche nocturne jusqu'à atteindre la cuisine qui s'ouvre sur la salle à manger. C'est la dernière folie que ma mère a achetée avant de partir. Je ne comprends toujours pas pourquoi se donner tant de mal dans une maison pour la vendre ensuite. Bientôt je n'aurai plus rien.
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Jusqu'au prochain brouillard
RomanceMa pénombre a depuis longtemps éclipsé la lumière. Ponctuée de noirceur, la vie d'Atiyan n'est pas au bout de ses chamboulements. Pris dans une tempête personnelle, il s'est protégé de tout, sauf de l'espoir et encore moins de la forme qu'elle alla...