Chapitre 5 - Atiyan

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***

Tout s'est effondré, tous mes piliers.

Je marche avec un boulet au pied.

Tentant de rattraper l'euphorie de ces moments de vie.

Mais je finis par tomber, épuisé avec la seule envie d'abandonner.

Le dernier message d'Elya date d'il y a deux heures, c'est que tout doit bien se passer. Pendant ce temps, je suis là, autour de cette foutue table, seul avec moi-même. Les sept autres chaises viennent me rappeler leurs absences. Ils se sont tous envolés, ils sont tous heureux. Aurai-je cette chance aussi un jour ou suis-je condamné à être prisonnier de ces murs, de cette table vide ?

Ma fourchette roule entre mes doigts. Mon repas n'est qu'un reste de pâtes aux lardons défraîchi. L'assiette est ornée d'une phrase : Welcome home. Home ? Je souffle sans vraiment de raison. Etalé telle une épave, mon visage brille à cause du lustre suspendu au plafond, des petites boules de cristal en pendent et se reflètent contre les murs. Je n'arrive pas à manger, ma bouche est comme cloisonnée par du béton armé. Le dégoût me contracte la mâchoire.

Tu ne manges pas ?

Ma langue est pâteuse, mon ventre gargouille. Je me force et mâche du mieux que je peux. Mon corps se raidit sans que je ne puisse rien y faire.

Vérifie qu'il ne se fait pas vomir.

J'avale, le souffle coupé avant d'inspirer tout l'air possible. Une sueur traverse ma colonne, mes mains se mettent à trembler. Je remplis ma fourchette et reprends une bouchée. À peine la saveur touche mon palais que la nausée monte. Je crache sans réfléchir et éloigne l'assiette.

Tu fais pas d'effort, t'as juste à te forcer.

Les larmes m'envahissent, mais je résiste. Je me dégoûte, je n'arrive même pas à manger, je reste prostré sur ma chaise, mon corps est tétanisé. Tous mes muscles se crispent, mes poings se referment. Faut que ça cesse. Mes ongles frôlent ma paume. Faut que ça se taise. Les larmes inondent mes joues, ma respiration est incontrôlable. Ça doit s'arrêter !

Cesse d'exagérer, tu veux juste de l'attention.

Mes ongles cisaillent ma peau. Ça doit me faire mal ! Mon corps, les tremblements, la nausée, tout continue. Je les enfonce un peu plus profondément avant de retenir un cri.

De toute façon, je ne voulais pas de toi.

Je n'ose plus respirer, je sens le sang couler le long de mes doigts. Dans un élan de panique je me lève. Mes jambes tanguent et je m'agrippe à la table pour ne pas m'écrouler.

Regarde-toi !

Mon épaule rase les murs qui me semblent être à des kilomètres. L'air me manque, mais aller dehors ne changerait rien. J'évite du mieux que je peux les canapés en cuir du salon qu'on a hérité de mon grand-père. L'entrée m'est abstraite. Je me contente d'atteindre les escaliers. Chacun de mes pas est plus lourd que le précédent. C'est un exploit que je parvienne à rejoindre l'étage sans ramper au sol.

Tu es si faible.

Mon corps se balance de mur en mur, le front luisant de sueur.

Pathétique.

J'appuie sur l'interrupteur de la salle de bain. Le carrelage me glace les orteils. Je claque la porte derrière mon passage et la verrouille par sécurité. Devant l'évier, l'eau dévale telle une cascade. Je détends mes doigts, le sang séché colle à mes plaies. J'écope de l'eau et m'asperge le visage. Je me redresse, mon corps basculant comme un bateau. Mon regard croise mon reflet, je baisse la tête, honteux.

Jusqu'au prochain brouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant