L'aspirine tombe dans l'eau et se dissout dans le verre. Tilla me le tend, accoudée au comptoir, son tablier autour de son jean. Ma main plaquée contre mon front, ma migraine ne veut pas partir, je reste adossé au mur en pierre qui m'apporte une fraîcheur jouissive. Je tiens le verre dans ma main, fébrile, j'attends que le cachet finisse de fondre pour l'avaler d'une traite.
Dégueulasse.
— Quelle idée de se mettre une mine en semaine aussi, soupire Tilla.
J'ai surtout de la chance que Monsieur Horan n'ait rien dit en partant. Maintenant, je dois gérer la clientèle sans dégueuler. J'évite de trop débattre de mon état lamentable avec Tilla qui a déjà envie de m'étrangler vif. Les bras croisés, elle part servir un premier client tandis que je m'éclipse discrètement dans la réserve.
— Si, c'est pour te cacher ici tout le midi autant que tu rentres, souffle-t-elle, désespérée.
— Nan t'inquiète, j'arrive, je vais gérer.
Je ne sais pas à qui cette phrase est adressée, à elle ou à moi. Reprends-toi. Le menton le plus haut possible, je sors de ma cachette et dépose mon verre près des machines. Tilla me fixe, suspicieuse. Je la comprends, je ne suis pas des plus présentables pour les clients. Le torse bombé, j'avance vers la caisse, négligeant ma tête qui tourne plus qu'un manège.
— Qu'est-ce que je vous sers ? demandé-je d'une voix bien moins enthousiaste que d'habitude.
La capuche noire face à moi redresse la tête. Je reconnais ses yeux gris et mon cœur manque un battement.
— Un chocolat chaud.
Son ton froid me fait perdre mes moyens. Je reste figé et sens la main de Tilla me remettre la commande du client. Je la lui tends, ses doigts attrapent l'autre côté. Il tente de le récupérer, mais je ne lâche pas ma prise, ça doit sortir.
— Je suis désolé pour ta copine, balbutié-je sans plus aucune fierté.
Je retire ma main. Sa boisson récupérée, son regard me fixe toujours. Au lieu de s'en aller, il s'avance d'un pas.
— Pourquoi tu t'excuses auprès de moi ? C'est pas moi que t'as blessé.
Je veux lui répondre, mais sa silhouette fait déjà sonner la cloche de la boutique avant de retourner dans son antre. Totalement démuni, je me sens tellement minable. La honte est pire qu'une gueule de bois. Je retourne dans la réserve sans me soucier de la fureur qui émane de Tilla. Mes jambes aussi faibles que du coton, je me laisse tomber. Les genoux collés à mon torse comme un enfant.
— Tu m'expliques ? s'emporte-t-elle une fois que plus aucun client ne règne dans les lieux. Et pas de blabla, viens-en au fait.
— Je... j'ai merdé avec Elya hier. J'arrivais pas à lui dire que je ne voulais pas. Avant qu'on rentre chez moi, je lui ai fait croire que j'avais une panne mais elle a saisi que je lui mentais.
Les doigts entre ses sinus, Tilla ne cache pas sa déception.
— Sérieusement Léno ? Elya c'est une des meufs les plus sympas, elle aurait compris.
— Je sais, je sais.
Je sais pertinemment qu'elle aurait été indulgente, mais pour ça j'aurais dû lui expliquer pourquoi je ne voulais pas qu'elle rentre chez moi et hormis à Sacha, je n'ai réussi à en parler à personne. Je n'essaye même pas d'en parler, j'ai abandonné.
Tilla est prête à déverser ses plus beaux jurons pour me remettre à ma place. Par chance, une cliente la coupe dans son élan. Sa voix s'apaise même si je peux encore percevoir sa rancune en fond de gorge. Je n'ai pas compté le nombre de clients qui ont défilé, mais quand elle revient vers moi, ses nerfs ont cessé leur éruption. Elle ne me regarde plus qu'avec une certaine pitié qui est pire que tout.
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Jusqu'au prochain brouillard
RomansaMa pénombre a depuis longtemps éclipsé la lumière. Ponctuée de noirceur, la vie d'Atiyan n'est pas au bout de ses chamboulements. Pris dans une tempête personnelle, il s'est protégé de tout, sauf de l'espoir et encore moins de la forme qu'elle alla...