Chapitre 2 - Atiyan

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On a tous des piliers qui font nos fondations.

Parfois, ils se fragilisent ou se détruisent.

On s'appuie sur eux encore bâtis pour se relever de ce chamboulement.

Mais comment faire quand ils sont tous détruits ? Personne ne me l'a jamais dit.

Le mois de mai touche à sa fin, cependant mes mains sont encore gelées à chacune de mes sorties. Si mon père m'avait entendu me plaindre, il m'aurait rappelé que cela n'était qu'à cause de mon maigre corps, de mon squelette recouvert de ma simple peau. Mon sweat réchauffe mon torse, j'ai l'espoir que les poches qu'il possède donnent de la vie à mes doigts. J'accélère le pas malgré mes jambes gelées comme des glaçons. J'ai l'habitude d'emprunter cette route et de braver le froid. Je longe les trottoirs cabossés de cette putain campagne, aujourd'hui ça n'empeste pas le foin ou les produits agricoles. Les voitures klaxonnent, les conducteurs m'insultent, mais je les ignore. Je reste focalisé sur les bâtisses qui parsèment le long des voies. Je ne suis pas fan de la vie campagnarde, tout le monde se connaît, se salue, se balance des banalités, ou se jette des coups d'œil indiscrets. Je peux trouver des milliers de défauts à ce coin paumé, mais je préfère me concentrer sur ses qualités, du moins j'essaye. En presque vingt années vécues ici, je n'en ai trouvé que deux. Je ne suis pas le meilleur pour voir le bon côté des choses.

Il y a ces vieilles maisons où la pierre s'effrite toujours et qui ont été sculptées à la main. Parfois je décèle des petits symboles et dessins, ceux que je préfère sont ceux qui ornent la bibliothèque. Un petit soleil qui s'éclipse pour laisser place à la lune. Elle est dissimulée au bas de la porte. Je l'observe avant d'entrer, je la comprends. Ma pénombre a depuis longtemps éclipsé la lumière.

Je pousse la porte et me voilà arrivé dans le deuxième et dernier point positif de ce village. La bibliothèque de Madame Licolz. Quand je ne reste pas emmitouflé sous ma couette, c'est ici que je suis. Je ne viens pas spécialement pour lire, je prends un bouquin, l'ouvre au milieu et reste là à attendre, tournant les pages sans les avoir lues. Ça ne dérange pas Licolz, je suis son client le plus fidèle.

— Salut, mon pote ! me salue-t-elle d'un ton bien trop vieux pour paraître crédible.

— Salut, Romi. Tu vas bien ?

Plongée dans un nouveau problème informatique, elle me répond par un pouce en l'air qui a le don de me faire sourire. Je la laisse travailler et comme à mon habitude, je prends le premier livre qui me tombe sous la main. Je ne reste jamais longtemps assis, mon coccyx me faisant rapidement mal. Je suis trop maigre. Les mains défilant les pages, je m'intéresse une seconde au nom que porte ce ouvrage : L'Île Mystérieuse de Jules Verne.— Viens m'aider mon grand ! m'interpelle Licolz.

Elle me coupe dans ma lancée, alors que mon doigt est déjà sur le livre suivant. Cela ne me dérange pas, j'ai l'habitude de l'aider. Je la rejoins derrière son bureau. Sa courte chevelure poivre sel me donne toute la place dont j'ai besoin. J'effectue une manip toute simple quand je remarque ses yeux ridés m'observer.

— C'est simple, regarde, lui expliqué-je. Tu vois, en haut, ça te dit que l'application a buggé. Donc tu as juste à faire Alt-F4. Ça va fermer l'appli et tu auras juste à la relancer.

Je me retourne pour m'assurer qu'elle a bien saisi toutes les informations. Un bloc note à la main, elle note ce que je viens de lui dire.

— Et si ça fait longtemps que je travaille ? Je ne veux pas tout perdre.

— C'est pour ça qu'il faut penser à sauvegarder.

— Sauve... gar... der, épelle-t-elle tout en écrivant. Merci mon loup, tu m'as bien aidée.

Jusqu'au prochain brouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant