Je retiens ma respiration. J'attends le moment fatidique où il m'annoncera qu'il me quitte et que notre couple s'en est allé. J'ai beau retenir mes larmes, je les sens à la limite de couler. Pourtant, je suis consciente que nous ne partageons plus rien et qu'il vaudrait mieux arrêter maintenant plutôt que de nous faire plus de mal. Mais Célestin est dans ma vie depuis cinq ans et je n'imagine pas mon quotidien sans lui. J'ai besoin de sa présence, même si son manque de soutien me blesse et que j'aimerais qu'il me témoigne plus d'affection. Je préfère encore sa présence silencieuse que de le voir disparaitre de ma vie.Il se lève et se dirige vers son bureau. Je le suis du regard. Il récupère un document et le chiffonne entre ses mains.
— J'ai écrit au Comité de Régulation des Naissances et leur réponse est positive.
Je reste sans réaction, incapable de comprendre le sens de ses paroles. Pourquoi a-t-il écrit au ministère de la Population et de la Famille ? N'est-ce pas les ministères qui, d'habitude, lui envoient des rapports et non le contraire ? Une information m'aurait-elle échappé ?
— Que veulent-ils ?
Il fronce les sourcils, puis répond :
— C'est moi qui veux quelque chose.
Je ne comprends toujours pas. Il soupire. J'ai beau me creuser les méninges, mon esprit pourtant très affuté, qui a l'habitude de réfléchir, ne parvient pas à trouver de réponses.
— Que leur as-tu demandé ?
— Un bébé.
Là, je reste sans voix. Un bébé ? Comme un bébé humain ? Qu'est-ce qui lui est passé par l'esprit ? Pourquoi aurait-il besoin d'un bébé ? Il est journaliste. Il écrit et corrige des rapports. Il n'est pas maïeuticien, ni directeur de crèche et il ne m'a jamais parlé d'un désir secret de changer de profession pour devenir assistant maternel. J'insiste :
— Pourquoi aurais-tu besoin d'un bébé ?
Il s'avance vers moi et dépose le document. Le Comité de Régulation des Naissances a validé sa demande. Célestin a apposé sa signature en bas à gauche, mais il manque celle de sa compagne, en bas à droite. Il me regarde avec insistance. Mon regard retourne vers le document, puis remonte vers lui. Le document. Lui. Le document. Lui. Et soudain tout s'éclaire.
— Tu veux que nous ayons un bé-bé ?
Je détache chacune des syllabes. Il hoche la tête et me sourit. Je manque de tomber à la renverse. Célestin tend ses bras et me rattrape alors que mon corps vacille. Je m'agrippe contre lui et serre mes bras autour de son torse. Il me dépose sur le sol et court chercher un linge qu'il mouille avec de l'eau du robinet. Il revient le déposer sur mon front. J'ai la tête qui tourne. Cela ne peut pas être vrai. Il est devenu fou. Un bébé. Est-il vraiment sérieux ? Nous ne pouvons pas avoir d'enfant. Nous en avons déjà discuté. Il me semblait que nous étions d'accord à ce sujet et que la discussion était close. Pourquoi faire naitre un enfant sur une planète qui s'apprête à disparaitre ? Et surtout, un enfant, c'est plus de 60 tonnes d'émissions de CO2 par an. Alors dans une époque où il est plus qu'urgent de réduire nos émissions, pour éviter d'augmenter les catastrophes, mettre au monde un bébé est pour moi aussi absurde que de détruire les dernières forêts qu'il nous reste.
Célestin continue de me sourire alors que ma tête bourdonne. J'ai envie de vomir la tarte aux légumes OGM que je viens d'avaler. Mais où avait-il la tête quand il a formulé cette demande au Comité ? Qu'espère-t-il obtenir en devenant père ? Plus de bons d'achats ? Un plus grand appartement ?
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2150, tout va bien ! [roman d'anticipation]
Science FictionImaginez, la fin du monde. Ou plutôt, la fin d'un monde. 2150. Après que l'hémisphère Sud ait été engloutie par la montée des eaux, il ne reste désormais que l'hémisphère Nord, divisé en sept régions, dirigées par les Sept Grands Sages. Des sages...