Romain,« Tout doit finir et on ne choisit malheureusement pas toujours la fin qui nous revient ». Demain, je vais mourir. Mais avant cela, on m'a laissé le soin de rédiger une dernière lettre et j'ai choisi de te l'adresser, même si je sais que c'est te faire porter une lourde responsabilité.
J'ai comparu devant le tribunal du ministère de la Justice. Sans même écouter ma défense, les juges ont prononcé leur verdict : la mort. De toute façon, les preuves étaient accablantes et irréfutables. J'étais condamnée d'avance. On m'a accusé d'être une traite envers l'État et d'avoir usé de ma position d'autorité pour tenter de pervertir l'esprit de mes élèves. Donc le tien. Tout cela alors même que le Comité d'Ethique et de Moral m'avait déjà mis un avertissement pour avoir fait « usage de pédagogie implicite ». Cette fois-ci, mon journal faisait preuve. Ma pédagogie avait beau être implicite, mes motivations étaient claires. Lorsque j'écrivais et confiais mes pensées à ma plume, je ne lui mentais pas. Jamais. C'était un contrat de confiance entre elle et moi. J'ai couché toutes mes pensées sur le papier et je me suis trahie. Ou plutôt, il m'a trahi. Lui. L'amour de ma vie : Célestin.
Jamais je ne l'aurais cru capable de me dénoncer. Jamais je n'aurais cru possible qu'il viole ainsi mon intimité en lisant mon journal et en le confiant au ministère de la Justice. Plus que la condamnation, c'est cette trahison qui me fait mal et qui brûle mon cœur. Je ne suis pas triste à l'idée de mourir, mais je suis en colère de l'être à cause de lui. Et surtout, je suis déçue. Tellement déçue. La décision du gouvernement et la sentence de la justice ne m'étonnent pas. Mais la sienne ! Nous nous étions jurés fidélité et résistance, avant même de prêter serment pour l'État. Sa loyauté, il leur a donné, alors qu'il me l'avait promise. Sache donc que Célestin Ganelon est un félon et que tout ce qu'il écrit et publie dans la presse n'est que propagande. Ne crois jamais un seul mot des médias, ils ne font que réécrire l'histoire officielle pour cacher la vérité et mentir aux populations.
Mais, tu sais quoi ? Je n'ai pas envie de mourir pleine d'amertume. Je ne regrette pas ma vie, ni ma mort. Je vais mourir en martyr, pour ma planète et pour une cause en laquelle je crois. Mourir pour ses idées, je ne pouvais pas rêver mieux. Ils ont tenté d'acheter mon silence et de me faire taire mais ils n'y sont pas parvenus. La mort ne m'impressionne pas. Je savais depuis toujours que ma lutte exigeait des sacrifices. J'y ai toujours consenti, sans hésiter. Je pense qu'il vaut mieux perdre la vie que perdre ses raisons de vivre.
Ce sont ces raisons de vivre que j'espère t'avoir transmis, à toi, et à d'autres élèves. C'est à la jeunesse que je confie la mission de parler et en qui je place tout mon espoir. Je sais que vous trouverez de quoi sauver une infime partie de l'humanité pour reconstruire un monde meilleur. Des solutions existent et ce sont vos choix qui conditionneront ce que sera votre avenir, et le chemin que vous prendrez. J'espère que vous pourrez profiter du départ des Grands Sages et de la classe des dirigeants corrompus pour conduire l'humanité sur un meilleur chemin. Il est encore possible d'y croire. En tout cas moi, je ne perds pas espoir.
Ma dernière pensée sera pour elle : ma chère planète. Si tu savais comme je l'aime. Je regrette de la quitter en sachant toutes les souffrances qu'elle endure et celles qui l'attendent encore. J'ai tenté de l'aider comme j'ai pu. J'ai donné ma vie pour que les êtres humains ouvrent les yeux. Je n'ai jamais cessé de lutter, malgré les sentiments de déprime ou d'impuissance qui m'ont parfois submergé.
J'aurais bien aimé vivre au temps où la Terre étais encore en bonne santé. J'aurais aimé parcourir les forêts amazoniennes et découvrir l'Australie. J'aurais voulu grimper au sommet de l'Himalaya, admirer les glaciers et voir l'Arctique et l'Antarctique avant qu'ils ne fondent. J'aurais aimé pouvoir remonter le temps pour empêcher l'industrialisation du monde, le développement des énergies fossiles et le pillage des ressources. Sous couvert de progrès, nous autres, les êtres humains, avons pollué notre Terre. Nous avons abusé d'elle et nous en payons aujourd'hui les conséquences.
Mais tu sais, j'ai foi en la nature. Parfois, je me dis que si l'espèce humaine disparait, ce ne sera pas un mal. Au contraire, ce serait peut-être une bonne chose pour lui permettre de se régénérer et de supprimer les stigmates dont nous l'avons marqués. Comme je te l'ai déjà dit, ce n'est pas la planète qui est danger, c'est l'humanité. Comme les dinosaures, nous allons peut-être nous éteindre mais elle, elle survivra. J'ai confiance. Les forêts renaitront. Les déchets enfouis dans le sol finiront par disparaitre et le plastique qui pollue les océans se dissoudra. Tout cela prendre du temps. Des milliers, peut-être des millions d'années. Pendant ce temps-là, l'espèce humaine, la faune et la flore, ne seront peut-être plus. Mais ensuite, peut-être qu'une nouvelle civilisation, plus respectueuse de la Terre, nous succédera ? Après tout, l'histoire n'est-elle pas censée être une source de progrès ? Ne doit-on pas aller vers un monde meilleur ? J'ai envie de continuer à y croire.
Excuse mon écriture, mon cher Romain, et mes paroles confuses. Je n'ai qu'un tout petit bout de papier sur lequel rédiger ces mots et mon esprit divague sur de multiples sujets.
Je sais que ma mort ne sera pas inutile grâce à toi. Je prie pour que ma mémoire puisse servir à construire un monde où il y aura de l'eau, des forêts, des animaux et une nature belle et luxuriante que nos successeurs seront préservés. Je m'en remets à toi car j'ai foi en l'espoir que tu portes. Tu as été ma révélation et ma plus grande fierté et je te passe désormais le flambeau.
Continue de lutter pour tes idées. Continue de te battre pour l'humanité. Même si certains hommes sont mauvais, l'humanité est belle et la Vie sur terre vaut la peine d'être défendue.
Jo Moulin. »
Dernière lettre de Jo, transmise à Romain Thunberg, le 8 juillet 2150
« Lettre de Pierre Rigaud à son épouse en mars 1924 », La vie à en mourir. Lettres de fusillés. 1941-1944, Edition Tallandier, 2003, Paris, p. 131
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2150, tout va bien ! [roman d'anticipation]
Science FictionImaginez, la fin du monde. Ou plutôt, la fin d'un monde. 2150. Après que l'hémisphère Sud ait été engloutie par la montée des eaux, il ne reste désormais que l'hémisphère Nord, divisé en sept régions, dirigées par les Sept Grands Sages. Des sages...