« Cher journal,Mme Moulin a été arrêtée cet après-midi. Tout s'est passé très vite et je n'ai rien pu faire. Nous étions en classe quand ils sont entrés et l'ont saisie. J'ai vu son regard changer quand ils ont fracassé la porte et se sont avancés vers elle. Je crois que ce n'est pas vraiment les Agents de l'Ordre qu'elle regardait, mais l'homme qui se tenait derrière eux. Il se rongeait les ongles, l'air hagard. Les policiers l'ont saisie par le bras et l'ont penchée en avant, contre le bureau.
J'étais tétanisé. Mes camarades de classe n'osaient pas bouger. Ils ont commencé à fouiller ses poches pour s'assurer qu'elle n'avait d'armes. Elle n'avait qu'un feutre, qu'elle s'apprêtait à utiliser pour écrire sur le tableau. Son arme d'expression. à un moment, nos regards se sont croisés. J'aurais voulu me lever pour m'interposer mais son regard m'en a dissuadé.
Les Agents ont fouillé son bureau et récupéré ses papiers. Ils nous ont ensuite ordonné de rendre tous les documents, comme s'ils étaient empoisonnés. Ensuite, ils l'ont emmené. Où ? J'aimerais le savoir pour aller la chercher. J'aimerais savoir où ils l'ont conduite et ce qu'ils vont lui faire. Je ne peux pas me résoudre à l'idée qu'elle ne reviendra plus jamais.
Deux professeurs sont venus nous chercher. Ils nous ont rassemblé dans une salle de permanence et nous ont expliqué que Mme Moulin était une terroriste. Elle avait tenté de faire entrer du poison dans nos esprits et de nous corrompre, mais l'État l'en avait heureusement empêché et nous étions sauvés.
Mes camarades étaient affolés. Lilly n'arrêtait pas de sautiller sur sa chaise et échangeait avec Lucas des propos dénués de sens. Mme Moulin était vraiment une terroriste ? Pourtant, elle avait l'air si bien. Comme quoi, on ne pouvait jamais faire confiance à personne.
Je n'ai pas participé à leurs discussions. Je suis resté sans bouger et sans savoir quoi faire. On nous a proposé de rentrer chez nous pour éviter de ressasser cette histoire et l'École a appelé nos parents pour les prévenir. Sur le chemin du retour, je n'ai fait que penser à elle. Je revoyais les policiers forcer la porte et se saisir de son corps avec fermeté. Elle qui est si frêle et qui n'a pas cherché à se défendre. Je trouve qu'elle a fait preuve d'un sang-froid exceptionnel. Elle n'a rien dit et elle n'a pas cherché à les contredire, comme si elle cherchait à nous protéger.
J'ai marché un moment le long des quais et je me suis arrêté pour fixer la Seine qui coulait à mes pieds. Puis j'ai relevé la tête et j'ai vu une trainée jaune, comme une comète, qui passait dans le ciel. Je me suis demandé si c'était les Grands Sages et les côlons qui s'enfuyaient. N'était-ce pas le jour du grand départ ? Mon père ne nous avait même pas fait ses adieux. Nous avions déjeuné tous les trois, avec ma mère, lui lisant son journal, elle sur sa tablette Apple et moi le nez plongé dans mes céréales. Il nous avait salué, comme à l'accoutumé. Jusqu'au bout, j'avais espéré qu'il nous dirait au revoir.
En rentrant chez moi, j'ai trouvé la maison vide. Le journal de mon père trainait sur la table non débarrassée, comme une nature morte. Je m'en suis saisi et je l'ai jeté dans la cheminée que j'ai allumée en craquant une bougie et en jetant le petit bois qui restait de l'hiver. Je l'ai regardé se consumer, le regard vide.
Ensuite, j'ai marché dans le couloir. Je suis passé devant la chambre de mes parents et je n'ai pas pu m'empêcher d'y entrer. Leur placard à vêtements était en parti vide et la porte était ouverte, comme si mon père était partie à la hâte. Sur le lit, une petite feuille, pliée en deux, indiquait d'une écriture précipitée : « Pardonnez-moi. Papa ».
J'ai fait demi-tour et j'ai rejoint ma chambre. Je me suis effondré sur mon lit et j'ai pleuré. Je ne me souviens plus combien de temps que je suis resté ainsi, étendu sur le lit. Je n'ai même pas entendu ma mère rentrer et elle m'a trouvé recroquevillé. Je lui ai désigné sa chambre à coucher. Elle est partie précipitamment et n'est revenue qu'une heure plus tard, les yeux rouges. Nous avons échangé un long regard, dans le silence. Aucun mot n'aurait pu exprimer notre douleur.
A l'heure où je t'écris, il fait presque nuit. Il est interdit de sortir dans la rue, mais je n'en ai pas envie ce soir. Je viens d'allumer une bougie que j'ai déposé devant ma fenêtre. Cette petite flamme, elle est pour elle : Joséphine Moulin.
Parce que, que je la revois ou pas, je sais que la flamme de la résistance qu'elle a allumée ne doit pas s'éteindre, et qu'elle ne s'éteindra pas.
Journal de Romain, 5 juin 2150
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2150, tout va bien ! [roman d'anticipation]
Science FictionImaginez, la fin du monde. Ou plutôt, la fin d'un monde. 2150. Après que l'hémisphère Sud ait été engloutie par la montée des eaux, il ne reste désormais que l'hémisphère Nord, divisé en sept régions, dirigées par les Sept Grands Sages. Des sages...