Chapitre 17

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Assise sur le canapé, je regarde la télévision d'un air fasciné. Les médias passent en boucle les mêmes images depuis plusieurs semaines. Des groupes de jeunes, issus de plusieurs régions du monde, ont commencé à se regrouper pour mener des actions locales dans lesquelles ils dénoncent la propagande des Grands Sages et où ils exhortent l'État à prendre des mesures radicales pour faire face au réchauffement climatique qui reste une réalité. Je n'ose pas y croire tant je suis émue. En même temps, je tremble devant les images qui s'affichent sur l'écran et dans lesquelles des centaines de CRS sont plantés devant les manifestants qu'ils bombardent à coup de gaz lacrymogène pour les faire taire.

            Le ministère de l'Information et des Médias tourne à plein régime. Célestin croule sous le travail. Tant mieux. Au moins, il ne pense plus à cette histoire d'enfant. Nous n'en avons plus reparlé mais un fossé encore s'est creusé entre nous. Nous agissons de plus en plus comme deux inconnus. On mange et dort ensemble, et nous vivons dans le même appartement. En dehors de ces banalités, nous n'échangeons presque plus rien.

            En ce moment, il continue de censurer des informations pendant que je me bats pour essayer d'apercevoir Romain parmi les manifestants. Je sais qu'il a participé à l'une des manifestations. Il me l'a fait savoir dans un devoir de classe. J'ignore comment il a fait pour échapper aux arrestations, mais je ne crois pas qu'il ait été repéré. J'ai peur pour lui et j'aimerais être dans les cortèges. Mon Certificat de Loyauté et mon statut d'Agent Stagiaire m'empêchent de me joindre aux manifestants, mais mon cœur et mon esprit sont avec eux.

            Un journaliste passe à la télé et interroge un policier. Celui-ci, le casque de travers, tente de justifier l'usage de la violence que la police manifeste face à cette foule de jeunes pacifistes qui dénoncent la manipulation de l'opinion.

—   Ils arrivent en masse et ne respectent pas le parcours que l'État leur a imposé, explique-t-il. Ces jeunes se prétendent pacifistes et non violents et nous accusent de contrer leur liberté de manifester et de s'exprimer, mais ce sont les premiers à ne pas avoir respecté la loi. Et que dire de la dégradation des infrastructures publiques ? Ils dessinent des slogans catastrophistes sur les murs et scandent des chants révolutionnaires. C'est une grave atteinte au Code Pénal International et à la bonne parole. Nous avons tenté de les faire reculer mais ils ont continué à avancer. Nous n'avons pas eu d'autres choix que de nous poster devant eux mais ils n'ont pas cessé de marcher. Alors oui, ordre nous a été donné de les interpeller et certaines arrestations ont dégénéré. Mais la police n'a toujours fait que se défendre et protéger la sécurité et l'intégrité de notre société.

            En voyant certains gamins mineurs être trainés sur le sol, les visages tuméfiés et les arcades sourcilières en sang, j'ai du mal à croire que les policiers n'aient fait que se défendre. Comment des enfants désarmés, munis de pancartes sur lesquelles on peut lire : « Pas de nature, pas de futur », « Plus de pingouins, plus de banquises et moins de pingouins au gouvernement » et « Sauvez notre planète », peuvent-ils constituer des menaces pour la sécurité ? À bien y regarder, c'est toujours la violence des opprimés qu'on montre du doigt et jamais celle dont use l'État. C'est comme s'il y avait une « violence légale » à laquelle nous devions consentir.

—   Éteins la télévision. Je n'arrive pas à me concentrer.

            Je me retourne vers Célestin, avec l'envie de lui jeter le coussin sous mes fesses dans la figure. Il a déjà replongé son nez sur son document et rature quelque chose. Je soupire et me lève du fauteuil. Je n'ai pas besoin d'en voir plus de toute façon. Ces images m'ont suffi. Je les vois en boucle depuis des semaines.

            Je m'avance vers Célestin et jette un regard sur le document qu'il est en train de « corriger ». Le rapport a été émis par le ministère de la Sécurité et de la Protection. C'est un compte rendu de police qui parle des manifestations contre le climat. Célestin est en train de transformer la répression policière en acte de protection et de défense des populations. Il n'en faut pas moins pour me mettre en colère.

2150, tout va bien ! [roman d'anticipation]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant