Chapitre 28

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« Cher journal,

            Ce matin, je suis restée choquée en passant devant la télévision. Les informations tournent presque en continue chez ma mère. D'habitude, je les regarde d'un œil distrait, puisque tout ce qui est dit —  ou presque —  est un mensonge. Mais, comme j'aime bien étudier la stratégie de mes ennemis, je m'informe quand même quotidiennement. Cette fois, ce que j'ai découvert m'a profondément marqué et je suis partie au travail l'esprit hagard. Dans les rues, il y avait un climat étrange. Les gens étaient penchés les uns vers les autres et discutaient entre eux. Ils s'échangeaient des journaux et pointaient du doigt des pancartes placardées sur les murs. Mon regard a été happé par les vingt-trois visages qui m'observaient sur une grande affiche rouge sur laquelle on pouvait lire, en lettres majuscules :

Des libérateurs ?

La libération ! Par l'armée du crime.

            En dessous, on retrouvait le nom et la photographie de vingt-trois personnes, jeunes ou plus âgées, le visage fatigué, les yeux agressifs et l'air patibulaire. Puis, la liste de leurs « crimes » : affichage illégale, manifestation non autorisée, rassemblement et réunion pour comploter contre l'état, diffusion d'informations contraire à la bonne parole, consultation de sites internet non autorisés, discussion 2.0 avec des personnes fichées JCC...etc. Plus d'une cinquantaine de faits étaient recensées dans une liste improbable.

            Les vingt-trois personnes étaient taxées de terrorismes, parce qu'ils avaient seulement voulu dire la vérité au monde, pour dénoncer l'absence de considération des Grands Sages pour les préoccupations d'ordre écologique. Ils avaient seulement voulu dénoncer l'autoritarisme d'État et se battre pour faire reconnaitre l'urgence climatique.

            Ils avaient été fusillés. Tous. Pour l'exemple.

            J'ai eu envie de vomir, d'hurler, de mourir. J'ai eu envie de jeter l'assiette du petit déjeuner que ma mère était en train de manger devant la télé, le regard perdu dans ses pensées. Elle ne réagissait pas, comme si ce qu'elle voyait à la télévision était d'une extrême banalité. Et soudain, elle a eu un petit mouvement de recul. J'ai pensé qu'elle était indignée. J'allais réagir quand elle m'a dit : « C'est drôle. Celui du milieu me rappelle ton ami de l'université ». Je me suis avancée vers la télé et je l'ai reconnu : Guy. Un mois avant, il était bien vivant, dans le bar informel de la péniche bleue. Et ce matin, il était mort.

            Je lui dédie donc ce message que je suis en train de rédiger, sur ce carnet qu'il m'a donné, en échange de mon manteau. Guy, si tu m'entends, sache que ta mort ne restera pas impunie. La jeunesse te vengera. Nous ne baisserons pas les bras. L'armée du crime, c'est eux. Nous, nous sommes les libérateurs de l'humanité. Merci d'avoir donné ta vie pour que triomphe la vérité.

            Nouveau journal de Jo, 22 avril 2150.


Inspirée de l'affiche rouge réalisée par les services de propagande allemands, en France, durant la Seconde Guerre Mondiale. L'affiche a été placardée dans les rues de Paris et dans certaines grandes villes françaises, quelques jours après l'exécution de 23 résistants des F.T.P-M.O. I (Francs-Tireurs et Partisans —  Main-d'œuvre Immigrée).

2150, tout va bien ! [roman d'anticipation]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant