Célestin est debout, devant la fenêtre, lorsque je rentre du lycée. La pluie tambourine contre les carreaux. De violents orages grondent et l'eau tombe du ciel depuis plusieurs jours. Je suis à peine rentrée qu'il me désigne mon ordinateur, que j'ai laissé sur le comptoir de la cuisine en partant travailler.— Tu as reçu un message, m'indique-t-il.
Je plisse les yeux, sans comprendre. Sur la table, un verre d'eau est posé, abandonné là depuis ce matin. Célestin n'y a pas touché. Il préfère se contenter du café. Il doit boire au moins dix à quinze tasses par jour. Ce n'est même pas du vrai café, puisque nous manquons d'eau, mais plutôt un mélange de marc noir qu'il agrémente avec un gel épais peu ragoutant.
— Tu lis mes messages maintenant ?
— Tu lis bien mes rapports, rétorque-t-il.
Je ne relève pas. Il n'a pas apprécié que je prenne son rapport sur l'eau. J'ai oublié de le retirer de ma poche et il l'a découvert en rangeant le linge. La dispute qui s'en est suivie m'a conduite à partir deux jours dormir chez ma mère, qui n'a pas été très heureuse de me voir débarquer. Elle s'est enfoncée dans la déprime depuis la mort de mon père et passe ses journées à regarder la télévision, quand elle n'est pas à la banque où elle distribue les bons d'achats aux salariés en échange de leurs fiches de paies. C'est un boulot routinier et répétitif qui ne l'a jamais épanouie. Seul mon père parvenait à la faire sourire lorsque j'étais enfant. Mais depuis qu'il est mort, elle n'est plus que tristesse et laisser-aller.
Si elle voit d'un bon œil mon nouvel emploi au sein du ministère de l'Éducation Internationale, elle ne peut s'empêcher d'être suspicieuse à mon égard. Je pense qu'elle se méfie de moi. Depuis l'adolescence, elle me croit capable de tout, à juste titre. Lorsque je suis revenue à l'appartement, Célestin était calmé. Il a reconnu que sa réaction était excessive. S'en est suivi une longue discussion barbante à la fin de laquelle il m'a fait jurer de ne plus jamais emporter ses documents à l'extérieur. Ils devaient être détruits. C'était mieux ainsi. Si je voulais jouer la rebelle, c'était mon choix, mais il était hors de question qu'il soit impliqué où qu'il risque sa place. Il avait prêté serment. Nos certificats de loyauté, placardés sur le frigo, étaient là pour nous rappeler nos engagements.
— C'est le Comité d'Ethique et de Moral, m'apprend-il alors que j'ouvre ma boîte mail pour lire le message.
Je prends une forte inspiration et clique sur l'icône qui représente une petite enveloppe bleue.
« Mme Moulin,
Le Comité d'Ethique et de Moral a reçu hier un message de Mme. Thunberg, parent de l'élève Romain Thunberg, scolarisé en classe de 1re4 au lycée Condorcet, et qui s'inquiète de certains propos que vous auriez tenu à l'égard des élèves, suite à un cours de cartographie. Afin de mettre au clair cette situation, le Comité souhaiterait vous rencontrer au ministère de la Bonne Parole, jeudi prochain, à 14h35.
Nous vous demandons de vous présenter expressément à ce rendez-vous, sous peine de sanctions disciplinaires.
Bien à vous. Le Comité. »
Mes mains tremblent mais je fais bonne figure et sourit à Célestin. Il s'éloigne de la fenêtre et me jette un regard avant de s'asseoir à son bureau. Il attrape le brumisateur posé devant lui et envoi un jet d'eau brumisé sur son visage. Son geste me rappelle ma propre soif et me donne envie de faire de même pour faire face à la déshydratation procurée par l'eau de transit. À la place, je m'avance vers lui.
VOUS LISEZ
2150, tout va bien ! [roman d'anticipation]
Ciencia FicciónImaginez, la fin du monde. Ou plutôt, la fin d'un monde. 2150. Après que l'hémisphère Sud ait été engloutie par la montée des eaux, il ne reste désormais que l'hémisphère Nord, divisé en sept régions, dirigées par les Sept Grands Sages. Des sages...