Chapitre 18

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      - La petite Apolline est attendue à l'accueil, déclara Béatrice en me souriant gentiment. Allé, file de là et repose toi bien, c'est fatiguant d'apprendre autant.

      - Déjà ? S'étonna Edgar, exprimant tout haut ce que je pensais tout bas. Le temps est passé si vite. Ah, et attends avant de partir.

     Et il se leva pour aller saisir deux épais livres puis revint pour me les mettre dans les bras.

     - Voici des ouvrages sur la flore et la faune d'ici. J'espère que tu y trouveras ton bonheur.

     Je lui adressai un sourire éclatant.

     - Merci beaucoup !

     Et je retraversai la maison -suivie de près par Sully- pour sortir. Là Ben et Olka m'attendaient.

     - On a failli attendre, me lança cette dernière en se décollant de l'arbre sur lequel elle était adossée.

     Ben vint à ma rencontre en souriant et, tout en me soulageant des deux épaisses encyclopédies, il me demanda avec entrain ;

     - Alors c'était comment ces cours particuliers ? T'en as appris beaucoup ?

     - C'était génial mais j'ai toujours l'impression d'en savoir si peu !

     Nous étions alors sortis et commencions à partir à pied du quartier.

     - Et tu n'es pas fatiguée ?

     - Pour tout te dire, je suis épuisée.

     Il me sourit.

     - Je sais ça m'avait fait la même chose.

     Et alors je compris. Je compris ce qui m'avait, jusque-là posé problème.

     - Mais au fait ? Qu'est-ce que tu fiche là !!? Lui demandais-je à brule pourpoint en m'arrêtant de marcher. Tu... tu n'es pas censé être de ceux d'En-Bas ??

     - Ce n'est que maintenant que tu te rends compte que y'avait un truc qui ne tournait pas rond ? Je vais tout t'expliquer mais avec un petit smoothie, ça te va ?

     Je restais un instant coite, hésitante. Essayait-il de m'acheter avec un smoothie ? Cherchait-il à se défiler ? J'adorais vraiment les smoothies mais je faisais de moins en moins confiance à Ben et surtout, je voulais des réponses.

     En entendant Olka piaffer d'impatience une dizaine de mètres plus loin, j'acceptai finalement la proposition du garçon et me pressai de rejoindre la jeune fille.

     ***

     Le regard de Ben passait de ses pieds au smoothie à la fraise posé devant lui comme agité par un tic nerveux. Olka, après avoir pris nos trois boissons avait prétexté un besoin pressant pour s'éclipser, nous laissant en tête à tête.

     Depuis son départ, mon interlocuteur n'avait pipé mot. Perdu, il ne semblait pas savoir par où commencer.

     Et moi, pendant ce temps, je ne pouvais empêcher mon cerveau d'échafauder des théories aussi bien fumeuses qu'improbables. Partant du fait que Ben soit un espion ou qu'il vienne en réalité d'une tout autre galaxie en passant de l'hypothèse que, par une morsure de dragon, il soit devenu un habitant d'En-Haut.

     - Te connaissant tu dois être en train de partir mentalement dans une autre dimension en t'imaginant des tas de trucs bizarres sur moi, commença finalement le garçon en rompant le silence qui s'était installé et en levant les yeux vers moi. Alors je vais dissiper tes doutes.

     - Eh bien, mieux vaut tard que jamais, maugréais-je en verrouillant mon regard sur ses yeux bleus. Allez vas-y accouche, on n'a pas toute la soirée.

     - D'accord mais, s'il te plait, ne m'interrompt pas ;

     « Il était une fois, deux jeunes gens qui s'aimaient... »

     Je levai les yeux au ciel en grimaçant. Une histoire d'amour ? Et puis quoi encore ! J'espère au moins qu'elle finira mal.

     - Ne fais pas cette tête j'en pourrais presque lire dans tes pensées. Comme je disais... ;

     « Il était une fois, deux jeunes gens qui s'aimaient. Tous deux étaient brillants intellectuellement, liés à deux dragons qui s'aimaient aussi et la femme était même enceinte.

     Ils avaient tous deux tout pour réussir et ils étaient heureux. Si ce n'était sans compter sur l'existence d'un troisième personnage qui détruisit cet idyllique portrait.

     Ça va te sembler cliché mais ce second homme était complètement fou amoureux de la jeune femme et souffrait d'un gros complexe d'infériorité vis-à-vis de l'homme, et ce depuis l'enfance. Il allait même jusqu'à la courtiser ouvertement et publiquement, frôlant plus d'une fois l'indécence.

     Un jour, ou plutôt, un soir, le bébé naquit. C'était un garçon et les deux parents se chamaillèrent quelques peu pour le choix du prénom qu'ils n'avaient toujours pas défini. La mère décida alors d'aller se promener au clair de lune malgré l'hiver néanmoins doux En-Haut, emportant avec elle le nourrisson.

     Et le troisième personnage, ce grossier homme, tenta de l'enlever. Il l'a fit monter de force sur son dragon et vola jusqu'au bord de l'île, jusqu'au vide. Et, d'ici, jeta le bébé ; fruit d'une union qu'il haïssait.

     Le dragon d'âme de la femme, qui, dès qu'il eu perçue la détresse de sa liée lors de son enlèvement, avait volé à son secours, plongea pour tenter de secourir la petite chose qui chutait.

     La mère, terrifiée et horrifiée se débattit et l'homme, voulant l'immobiliser, la fit tomber de là où elle était.

     Pendant ce temps, le dragon avait réussi à secourir le bébé qui pleurait puis, sentant son humaine tomber dans le vide, il se précipita dans sa direction. Le méchant homme, quant à lui, aveuglé par sa folie ne tenta même pas de secourir celle qu'il aimait pourtant.

      Le dragon d'âme de la jeune femme ne pu arriver à temps. Cette dernière s'était empalée sur les rochers d'une île mineure.

      Fou de détresse, le dragon descendit En-Bas et trouva une maternité. Et comme le hasard fait bien les choses, dans le froid de janvier, un autre bébé venait, lui aussi, de décéder. D'une insuffisance cardiaque.

      D'un sort habile, le dragon échangea les deux nourrissons, effaça la mémoire des infirmiers et des infirmières présents et reparti sans un regard en arrière.

      Il vola de nouveau jusqu'au cadavre de celle avec qui il avait été lié, pleura quelques instants puis s'envola en ligne droite vers le ciel noir d'encre de la nuit où l'on ne percevait même pas la grande île qui portait Elzémir.

      Et il s'arrêta de voler.

      Il chuta quelqu'un instant puis s'écrasa violemment contre les rochers en contrebas, et rejoignit son humaine d'âme dans la froide étreinte de la mort. »

      Ben avait fini son récit.

      Pour un fois j'aurais préféré que l'histoire d'amour finisse bien.

      Mais du coup Ben venait bien d'En-Haut.

      Le jeune garçon avait les joues et les yeux légèrement rouges et il gardait ces derniers rivés sur son verre à moitié plein. Je pris ses mains dans les miennes et les lui frottait doucement.

      - Dire que depuis tout ce temps tu étais quelqu'un d'En-Haut. Je comprends mieux qu'elle était cette « colonie » où tu passais toutes tes vacances.

      Il me sourit faiblement.

      - Je...

      - Bon désolé de vous interrompre mais j'ai des trucs à annoncer à Apolline avant qu'elle ne retourne à l'hôpital, déclara Olka avec désinvolture en s'asseyant avant de saisir sa boisson et d'en prendre une longue gorgée.


ElzémirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant