Chapitre 19

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     « Elle pourrait quand même rester polie, grogna Elzémir de sa voix caractéristique. »

       Je tressailli violemment et avalais une gorgée de travers.

      « Depuis tu es réveillée toi d'abord ? Lui demandais-je. »

      « Depuis le début du récit du p'tit gars. Mais je me suis faite discrète jusque-là pour ne pas déranger. »

      En effet, sa présence ce fit d'un coup plus importante.

      - Oh, oh. Ce n'est pas qu'on te parle mais si en fait.

      C'était Olka qui venait de dire cela.

      - Donc, comme je viens de le dire, reprit la jeune fille une fois que j'eus levé les yeux sur elle. J'ai trois nouvelles à t'annoncer. On va commencer par la bonne !

      Elle commençait par la bonne ? Cela signifie qu'il y en avait une mauvaise voir deux mauvaises...

       - On a fini de récupérer toutes tes affaires d'En-Bas. Elles sont, pour la plupart, en ce moment même entreposées dans des locaux de la poste et le reste a été déposé à l'hôpital où tu séjournes pour le moment. Y compris ton violoncelle.

      - Woaw merci ! M'exclamai-je. Et...

      - Attends de savoir la suite avant de me remercier. Tu pourrais le regretter, me rabroua-t-elle en me coupant la parole. Prend le comme tu le veux mais tu vas devoirs prendre des cours avec... moi.

      « Comment ça ? Demandais Elzémir tandis que je répondais à la phrase d'Olka par un regard perplexe. »

      - C'est-à-dire..? Demandai-je.

      - C'est-à-dire que tu auras cours avec Edgar le matin mais que l'après-midi je vais t'entrainer à la survie et au combat. Enfin bref ce n'est ni une option ni facultatif alors tu auras les détails demain après-midi.

      - Quoi ? Mais...

      - Tatata, laisse-moi finir, on ne coupe pas la parole aux gens. Mauvaise nouvelle tu ne pourras plus jamais revoir tes petits amis d'En-Bas.

       Mes yeux se bloquèrent sur les lèvres de celle qui venait de lancer cette phrase d'un ton égal, presque indifférent. Mes oreilles bourdonnèrent et il me sembla que le monde devenait flou.

      Il est vrai que c'était logique mais... ne plus jamais les revoir. Je me repassai mentalement et un à un les visages de mes camarades et amis, et m'arrêtai sur Daphnée. Daphnée qui rit, Daphnée qui boude, Daphnée qui se moque de moi, Daphnée qui me fait des grimaces en espagnol... Daphnée, morte, le regard vide, le corps en sang.

      Peut-être au moins on ne me traitera pas de monstre ou de meurtrière...

      « Ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer, m'intimai-je mentalement sans remarquer que j'avais aussi partagé cette pensée à Elzémir. »

      « Tout va bien ma cocotte, et tout ira bien, me murmura cette dernière en resserrant l'étau de sa conscience autour de la mienne. »

      Je ne savais pas qu'elle était capable d'une telle tendresse et j'appréciai cette étrange mais réconfortante étreinte.

     « Tu vas rencontrer des tas de gens ici, tu sais, reprit la femme qui parlait dans ma tête avant de reprendre en s'agaçant légèrement. Oh et puis tu ne vas tout de même pas passer ta vie à te lamenter sur ton pauvre et misérable sort. Relève-toi, ressaisi-toi et bas-toi ! »

      Olka, qui s'était rapprochée de moi, m'avait pris la main, me ramenant à la réalité.

      - Et euh... Ben et moi on est en train d'essayer de négocier mais... tu ne pourras peut-être plus revoir ta mère non plus.

      Je relevai d'un coup la tête pour plonger mon regard dans les prunelles profondes de la jeune fille avant de me tourner vers Ben qui garda les yeux rivés sur son verre vide.

      - La famille d'En-Bas de Ben a déjà eu la mémoire effacée, dit Olka aussi doucement que possible. Et on a passé l'après-midi à réclamer à ce que celle de ta mère reste intact et que tu puisses la revoir au moins de temps en temps. Mais je ne te garantis rien. On est du genre assez à cheval sur les règles ici...

     Je pensai à mon ami qui venait de perdre ceux qu'il considérait comme ses parents et sa petite sœur et qui, pourtant, se démenait pour ma mère et moi. Il était davantage près à tout cela mais il était surtout bien plus fort que moi.

     - Je suis désolée pour toi, Ben. Dis-je finalement tandis qu'il me regardait enfin. Et merci pour tout.

     Je me levai. Autant s'accrocher tant que c'était possible et avancer autant que faire se peut.

     - Vous avez fini ? Demandai-je en me forçant un peu à sourire. On y va ou pas parce que moi j'ai du rangement là !

     Olka qui avait commencé à se balancer sur sa chaise s'arrêta net et m'adressa un grand sourire. C'était le premier qu'elle me faisait et ça lui allait quand même vachement bien.

     Elle se leva à son tour, suivie par Ben.

     - Carrément.

     Alors je tournais les talons et commençai à partir.

     - C'est dans l'autre sens miss ! S'exclama Ben.


     Une fois à l'hôpital, je commençai à ranger mes affaires avec l'aide de Ben dans le peu de placards et d'étagères que possédait ma petite chambre.

     Un mi grave résonna dans la petite pièce. Ben avait trouvé mon violoncelle que j'avais décalé plusieurs minutes plus tôt. Sans même me retourner, je lui lançai ;

     - Tu es trop haut, met ton doigt un peu plus haut sur la corde et soit moins bourrin avec l'archet.

     Il me fit une nouvelle tentative et je me retournai en soupirant exagérément.

     - T'es trop bas là.

     «Vraiment, pas doué. Ajouta Elzémir qui ne devait rien y connaitre.»

      Je m'asseyais alors à côté de Ben, m'octroyant au passage une pause dans mon rangement. Je passai mon bras derrière ses épaules pour poser correctement son doigt sur la corde et attrapai sa main qui tenait l'archet pour faire sortir un son grave et doux à l'instrument.

      - Tu vois que j'y arrives, plaisanta Ben.

     Il se retira de sous le violoncelle en dégageant mon bras, me plaça maladroitement l'instrument à cordes dans les mains où il se tenait quelques instants plus tôt et glissa le protège-parquet sous la pique.

     - Joue, me dit-il, accroupi, avant d'ajouter. S'il te plait.

     Je replaçai le violoncelle, remettais de la colophane sur les crins de l'archet puis entamais quelques gammes. Appréciant les vibrations de l'instrument contre mon corps. Ben, lui, me regardait en silence, attendant que je joue son morceau préféré qui était aussi le mien.

      Alors je m'arrêtai, plaçai doucement les doigts sur les cordes et commençai à jouer, un peu lentement peut-être, la suite pour violoncelle en sol majeur de Jean-Sébastien Bach.

      Sol ré si la ré la ré, sol ré si la ré la ré, sol mi do si do mi do mi...

      Je me plongeai avec délice dans la musique baroque et fermai les yeux. La partition, comme gravée sous mes paupières se mit à faire défiler ses notes noires sur un fond blanc usé au rythme de mes coups d'archet.


ElzémirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant