Un vent sec agitait les auvents. La rue du port était étroite et, comme chaque soir, bondée d'une foule serrée et malodorante. Malgré ces centaines d'hommes, de femmes – et autres humanoïdes – y jouant de l'épaule, le silence était quasi électrique. L'on n'entendait que le grondement des cieux et, de temps à autre, une bourrasque de sable venant se heurter aux murs de terre cuite.
Kragen descendit, un peu plus bas encore, la capuche sur son visage.
La rue serpentait au cœur des plus sinistres quartiers de Çéol et, plus l'on s'y enfonçait, plus la tension y devenait palpable. Jetant un œil par-dessus son épaule, il vérifia que personne ne le suivait ... et, pour la dixième fois, palpa la bourse à sa ceinture. Aussi impressionnants pouvaient être les hommes-lézards, les voleurs ne manquaient parfois pas d'audace. Ici, plus qu'ailleurs, ces misérables étaient habitués à braver la mort.
Les yeux jaunes vifs de Kragen sautèrent d'un étalage à l'autre.
Rien. Il n'y avait que de pauvres babioles, des armes de seconde main, des tissus de piètre qualité. Rien, absolument rien, qui ne soit digne d'un empereur. Perchés sur de vieux promontoires grinçants, les rares esclaves à vendre avaient la même barbe négligée que les mendiants – assis par dizaines le long des murs. Coûtaient-ils une seule pièce d'argent ? se demanda-t-il, un rictus de mépris. Ils ne valaient guère mieux que tous ces rats, grouillant ci et là entre les ordures. Ils n'avaient ni l'œil brillant de l'homme éduqué, ni les épaules larges du travailleur. De la pure vermine, tout juste bonne à jeter aux chiens.
Sentant peu à peu la foule s'épaissir autour de lui, l'homme-lézard posa une main sur le sabre à sa ceinture. Les choses pouvaient aller vite, ici. Extrêmement vite. Et plus il s'éloignait du port, plus il pénétrait le domaine des criminels et des malfrats. Il s'imagina un instant la pointe d'une dague faire tout à coup pression au milieu de son dos, une voix graveleuse lui murmurer à l'oreille de ne plus faire un geste ... et voulut se tenir prêt ; il n'était pas homme à se laisser prendre en joue.
Aucun Zabas ne l'était, d'ailleurs.
C'est alors qu'il aperçut non loin, accrochés sur une vieille devanture de bois, quelques voiles fins et colorés voletant au vent. Parfait, se détendit-il quelque peu, peut-être avait-il enfin trouvé quelque chose. Sûrement était-ce sa dernière chance, aujourd'hui, de mener sa mission à bien. Il n'avait guère plus le temps d'arpenter davantage les sombres dédales de Çéol : le soleil – un disque timide ondoyant derrière les nuages de poussière rouge – commençait à décroître à vue d'œil ... et même un guerrier de sa trempe devait éviter de traîner, une fois la nuit tombée, dans ces ruelles malfamées.
Sans relâcher son attention, il se fraya un chemin jusqu'à la lugubre boutique. Celle-ci n'avait ni façade, ni vitrine, ni même un quelconque écriteau. Coincée entre une forge et un revendeur d'épices, elle n'était qu'une étroite bicoque harassée par le sable, et gardée par un inquiétant colosse au visage balafré. Au pied du mur de terre cuite, une bonne quinzaine de femmes de tous âges, aux cheveux voilés et à la mine sombre, étaient assises les unes contre les autres, plus serrées que du bétail. Leurs vêtements miteux étaient ceux des esclaves, et d'épaisses chaînes entravaient leurs poignets.
Peut-être même étaient-elles une vingtaine, se rectifia Kragen.
Sans un regard pour le garde, celui-ci posa sa main griffue sur la porte de bois – dont il s'imaginait déjà le grincement des gonds – et l'ouvrit en grand. La boutique qu'il pénétra alors avait la forme d'un long couloir. Dépourvue de fenêtres, elle était éclairée par quelques puits de jour, irrégulièrement creusés dans les plafonds. Ici aussi, plusieurs dizaines de servantes se serraient le long des murs, les jambes repliées contre le torse. Moins âgées que les autres, celles-ci n'étaient ni menottées ni voilées, mais maquillées et finement fardées. Leurs robes – quoi que tout aussi miteuses – étaient plus courtes, leurs cheveux plus propres et mieux coiffés. Toutes, sans exception, le dévisagèrent ... et Kragen sentit son sang tambouriner dans ses tempes.
VOUS LISEZ
Emeryde, tome 1
FantasyLes jours du Kâal vont bientôt commencer, et des gladiateurs du monde entier affluent vers la grande arène d'Idaryön pour y livrer bataille. Cette année encore, les festivités seront sanglantes : combats à mort, sacrifices humains & exécutions publi...