Chapitre 33

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A travers l'étroit puits de jour, brillaient les dernières lueurs du jour. Recroquevillé dans un coin de son étroite cellule, Laaov regardait changer le ciel, les bras autour des jambes. Le ciel rougissait et, peu à peu, le garçon pouvait sentir poindre la fraîcheur de la nuit. Un soupir lui échappa. Il n'y avait rien d'autre à voir, ici. Dépourvus de fenêtre, les quatre murs de sa prison étaient tristement vides. Des pierres empilées les unes sur les autres, un mortier grossier ... et rien. Strictement rien de plus.

Voilà près d'une heure peut-être qu'il avait rouvert les yeux, allongé là sur une dalle maculée de sang. Sa nuque craquait bruyamment dès qu'il bougeait la tête et, tout le long de son dos, courait une douleur électrique. Après ce qu'il avait vécu dans l'arène, jamais il n'aurait pensé se réveiller. Peut-être était-il plus solide que lui-même ne l'aurait cru.

Il posa une main sur son cou. Personne ne viendrait de toute façon le sauver, cette fois-ci. Magan était mort, la belle était prisonnière des griffes du tyran ... et plus personne, en ce bas monde, ne se souciait plus de lui. Attaquer Talaros avait été sa dernière erreur. Dans quelques heures -ou peut-être dans une poignée de minutes- Laaov serait certainement exécuté ... sans ne jamais plus l'avoir revue.

Une larme sèche au coin de l'œil, il serra un peu plus ses jambes contre lui. C'était terminé. Et sûrement était-ce mieux ainsi. Bientôt s'en irait-il en silence, aussi nu et anonyme qu'il était venu au monde, ce jour-là, dans ce lointain désert.

Laaov. Ç'aurait été son seul nom. Il n'aurait jamais découvert celui qu'il avait un jour porté, dans cette autre vie dont il n'avait nul souvenir. Cela n'importait que peu, en fin de compte. Étrangement, il n'avait jamais tellement cherché à savoir celui qu'il avait jadis été. Cette question ... aussi essentielle aurait-elle pu paraître à d'autres, n'avait pas hanté ses nuits. Il n'était rien d'autre que lui, que ce en quoi il croyait, que ce qu'il faisait, chaque jour. Il n'était que lui ... que Laaov, quelque puisse être son mystérieux passé. Il prit une profonde inspiration. A quoi bon tout cela, finalement ? N'aurait-il mieux valu disparaître tout là-bas, au beau milieu des dunes d'Aksatra ?

Recroquevillé sur lui-même, il accusa un frisson glacé. Imaginer ce monstre poser les yeux sur son corps gracile lui était insupportable. Le deviner glisser les doigts dans ses cheveux, ivre de désir ... lui était pire que la mort. Et le savoir s'emparer bientôt d'elle ... non. Il regarda les murs de pierre. Peut-être pouvait-il se jeter dessus, la tête la première ? Il avait tant usé de ses forces qu'il n'avait plus le courage de vivre. Aurait-il au moins celui de mourir ?

C'est alors que la porte de la cellule s'ouvrit dans un soudain fracas. Éclairé par le sombre rougeoiement d'une torche, la silhouette sanguinolente de Kragen se dessina sous le linteau. Une plaie béante au milieu du ventre, il paraissait à l'article de la mort.

–Laaov, siffla-t-il, une grimace de douleur lui tordant le visage.

Les yeux du garçon s'arrondirent ; le corps du Zabas vibrait tout entier. Les tripes à l'air, il ressemblait à un cadavre décomposé que de sombres maléfices parvenaient à animer. C'était à se demander comment il pouvait même tenir sur ses jambes.

–Que t'est-il arrivé ?!

–Peu importe ! Mais toi et moi, cracha-t-il, allons mourir ce soir.

Laaov hocha la tête.

–Je sais.

Jamais encore le garçon n'avait vu, aussi loin s'en souvenait-il, une lueur si solennelle dans ses yeux jaunes de reptile. Tous deux ne s'étaient jamais aimés -ils ne s'étaient même jamais vraiment parlés ... alors que faisait-il là, le vêtement maculé du sang des gardes ? S'avançant d'un pas boiteux, Kragen vint tendre un glaive au jeune homme. Son glaive, remarqua aussitôt le garçon, proprement rangé dans sa gaine. Où l'avait-il eu ?

Emeryde, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant