ACTE 2 - Chapitre 10

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– Ce sera bientôt ton tour, gronda Magan.

Une amère odeur de sueur flottait dans les ténèbres. L'endroit était humide et chaud. Du sol au plafond, les murs d'acier étaient entièrement recouverts de fines gouttelettes de condensation. S'il y regardait de plus près, Laaov était presque certain de pouvoir trouver quelques champions verdâtres, ci et là, dans de sombres recoins oubliés. À moins, songea-t-il, qu'un millier de cafards affamés, grouillant dans le noir, n'aient d'ores et déjà tout dévoré.

– J'espère, soupira-t-il, usé d'attendre ici.

Le palais de Talaros était sans doute ce qu'il avait vu de pire, aussi loin que remontait sa mémoire. Il évoquait d'infâmes catacombes, que le garçon imaginait peuplées d'ombres et de créatures abjectes. Dans la lourdeur du silence, l'on n'entendait que les discrets gémissements d'une jeune fille gisant à terre, les mains liées dans le dos et une chaîne pendant à son cou. Sa bouche était scellée par une atroce muselière de métal, réglée à la taille de sa mâchoire par une petite manivelle vissée dans le mécanisme. Un relent d'horreur lui hérissant le poil, le garçon n'osa la regarder que du coin de l'œil.

Uniquement vêtue de lanières, la pauvre adolescente était presque nue. De la poitrine jusqu'aux hanches, son corps était tout entier zébré de rougeurs... et sur ses joues – pâles malgré sa peau mate – perlaient quelques larmes, accompagnées d'inintelligibles sanglots.

Sans doute était-elle l'une des nombreuses métisses d'Yralön, se dit-il. Ces longues boucles, noires et sèches, étaient celles des filles de l'ouest. Et comme multitude de ses consœurs, celle-ci semblait avoir été enlevée dans l'unique but de faire d'elle... cette obscène marchandise. Comment, sinon, se serait-elle retrouvée à gésir en ce sinistre endroit, une fine bande de cuir entre les cuisses pour guise de seul vêtement ? La beauté était aux femmes un dangereux fardeau ; beaucoup étaient prêts à dépenser sans compter pour disposer du corps jeune, souple et mince d'une captive bien docile.

Il leva alors le regard vers les flous contours de son propriétaire, assis à l'autre bout de la chaîne. Une lourde capuche rabattue jusqu'aux lèvres, celui-ci se terrait silencieusement dans l'obscurité. Tout le monde, ici, semblait avoir quelque chose à cacher... à commencer par son propre visage.

Le garçon plissa les yeux. Si l'homme n'était qu'une forme imprécise, qu'un spectre fondu dans les ténèbres, l'on distinguait tout de même ce lugubre tube d'anneaux, semblable à un boyau de plastique, qui courait de sa bouche à sa poitrine. Rabattu par-dessus son épaule, il s'en allait ensuite disparaître dans son dos, vers quelques étranges machines au discret grésillement. Lorsqu'un épais liquide gargouilla à l'intérieur, l'inquiétant personnage sortit de sa manche trois doigts écaillés et griffus – pareils à ceux d'un reptile – et les posa dessus.

Cette créature n'était pas humaine, trembla le garçon en détournant le regard... l'estomac soudain noué. Il était des choses, en ce monde, qu'il préférait sans doute ignorer.

– Et... reprit-il, après un long silence. Et tous ces gens ?

De part et d'autre du couloir, d'innombrables autres silhouettes se mêlaient aux ombres. S'agissait-il d'êtres de chair et de sang, d'étranges droïdes aux articulations rouillées ou d'antiques horreurs échappées des enfers, il n'aurait su le dire. Fermé par une grille aux larges barreaux, le modeste puits de lumière éclairant l'antichambre n'était guère plus grand qu'une main ouverte... et tous, sans exception, paraissaient fuir le rayon doré du jour – comme autant de goules lovées dans la nuit.

– Ils attendront le leur, répondit Magan, les bras croisés sur sa poitrine massive et velue.

Parcourant la pénombre du regard, le garçon aperçut ici quelques restes de repas, là-bas une couche de peau tannée. Assis contre le mur, un homme – dont le turban tâché ne laissait paraître que les yeux, semblait même s'assoupir doucement.

Emeryde, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant