Aussi loin qu'il s'en souvenait, jamais la grande arène n'avait grouillé d'une foule si nombreuse. Mêlés en une sombre marée humaine, des milliers d'hommes et de femmes applaudissaient en hurlant, frappaient des pieds et, au rythme des tambours, scandaient les noms des combattants.
Un vent chaud lui caressant la peau, il parcourut les gradins du regard.
Ces gens, pourtant parés à la manière des peuples civilisés, étaient aussi déchaînés qu'une meute de loups se disputant une carcasse fumante. Ils éructaient, crachaient et gesticulaient comme autant de bêtes enivrées par l'odeur du sang. La mort les transportait-elle à ce point ?
Debout au milieu de la multitude, Laaov était seul. Le poing serré autour de son glaive, il porta les yeux sur la silhouette ondoyante de la guerrière, environnée d'un panache sable roulant doucement sur le sol. Plantée face à lui, elle le dévisageait férocement -un rictus bestial dévoilant ses dents noires et jaunes. Ses yeux, cernés à la façon des barbares, brûlaient d'un feu ancien, primitif, d'une fougue oubliée des races sophistiquées. Ils avaient quelque chose d'animal, de déstabilisant ... de transcendant.
C'est alors que, s'élevant au-dessus du chaos, les baguettes des percussionnistes frémirent à la surface des tambours. Le gong ne tarderait donc plus à retentir, songea Laaov en lui tenant durement le regard.
Jamais -ou presque- il n'avait vu tant de sauvagerie crépiter au fond d'une paire d'yeux noirs. Le visage atrocement scarifié, la jeune femme semblait incarner, à elle seule, une époque où hommes et bêtes se distinguaient à peine de par leur posture, où la race humaine balbutiait timidement ses premiers mots. Il n'aurait pas affaire à une combattante ordinaire, maniant l'art de l'escrime à la façon des peuples éduqués ... mais à une démone des temps anciens, portée par l'instinct le plus primaire. Elle avait, au fond de l'œil, un éclat de pure cruauté. Comme les Hostiles chassant le voyageur égaré à travers la plaine, il l'imaginait se ruer sur sa proie toutes griffes dehors et, en un sanguinaire corps-à-corps, la déchirer tout entière.
Le combat serait violent et bref, quel qu'en soit le vainqueur. Ce serait sans doute la seule clémence dont serait capable la guerrière, si elle gagnait leur duel : le tuer vite, abréger ses souffrances d'un grand coup de hache dans la nuque.
Il inspira profondément. Sans tout à fait comprendre pourquoi, Laaov demeurait étrangement calme face à la mort. La peur qui s'était emparée de lui, tous ces jours durant, semblait s'être soudain envolée ... quand bien même il se tenait là, seul au cœur de la tempête. Que lui arrivait-il ?
Laissant sa tête basculer vers le ciel, il ferma les yeux.
Un instant encore, il voulut apprécier le vent chaud du midi. Peut-être était-ce la toute dernière fois que les rayons du jour caressaient sa peau cramoisie ... la dernière fois qu'il pouvait savourer la vie.
Sitôt ses paupières closes, son visage revenait le hanter. Il voyait paraître ses yeux ... ses longs cheveux ondulant dans la brise. Il se souvenait les courbes de sa silhouette, découpées dans la lueur du matin. S'il mourrait aujourd'hui, tant de choses demeureraient inaccomplies. Tant de questions resteraient sans réponse, tant de rêves s'envoleraient en silence. S'il voulait avoir une chance -une simple chance- de la revoir ... il devait vivre.
Lorsque les tambours soudain se turent, l'impérieuse vibration du gong résonna dans les airs.
Il devait vivre ... se répéta-t-il en rouvrant les yeux. Il devait vivre, quand bien même l'ennemie, écumant comme un Hostile enragé, le chargeait alors.
Un instant encore, il se plut à contempler la silhouette de son aimée illuminée d'aurore, penchée sur l'eau claire de l'oasis. Comme elle était belle. Elle était désormais sa raison de s'accrocher, corps et âme, à la vie. Sa raison de se battre, se dit-il en décrochant la chaîne qui ceinturait ses hanches, sa raison de vaincre. Après ces longues journées de doute, d'hésitation et d'angoisse, Laaov était prêt.
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Emeryde, tome 1
FantasiLes jours du Kâal vont bientôt commencer, et des gladiateurs du monde entier affluent vers la grande arène d'Idaryön pour y livrer bataille. Cette année encore, les festivités seront sanglantes : combats à mort, sacrifices humains & exécutions publi...