Chapitre 26

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La pâle lueur de l'aube se devinait, timide et silencieuse, derrière l'horizon. Loin à l'est, le rose nacré du jour naissant se noyait dans l'étincelante profondeur des ténèbres. Et comme chaque matin, Laaov s'était assis au bord de l'étang. Une jambe repliée contre le buste, il regardait la belle glisser délicieusement dans les eaux argentées. Le croissant de lune se reflétait à la surface de l'oasis, un léger clapotis berçait le silence ... mais rien, à ses yeux, n'était aussi exquis que la fine silhouette de son aimée, se baignant à la discrétion de la nuit.

Ombre dans la pénombre, les mains ruisselantes de la demoiselle caressaient ses bras dénudés. Comment une jeune esclave, vêtue d'un pauvre sac de jute, pouvait-elle se mouvoir avec tant de grâce ... ? Sûrement aurait-il pu la contempler ainsi jusqu'à la fin des jours. Ç'aurait même été son souhait le plus cher, se dit-il en baissant un instant les yeux vers l'ondoiement de la lune.

Mais avait-il le choix ? Il était pareil à un navire perdu en mer, ballotté par les tumultueux flots d'un destin en colère. Ses jours appartenaient à de cruels seigneurs, dont les caprices pourraient bientôt le conduire à la mort. Dirmorah, Narmur, Thalaros ... sa vie leur appartenait toute entière. Ils en contrôlaient chaque aspect, chaque détail : la nourriture qu'il avalait, les adversaires qu'il combattait, la mort qu'il connaîtrait. Et lorsque viendrait l'heure de s'allonger sous le ciel d'azur, songea-t-il, il le ferait sans une complainte. Mais ne pouvait-il, ce matin au moins, leur désobéir ... pour la toute première fois ?

Son regard embrassa à nouveau ses contours, à peine découpés par la clarté de l'aube. Glissant doucement les doigts le long de ses cheveux trempés, la belle ressemblait aux chants des poètes ... et aux muses enchanteresses qui les inspiraient. Serait-ce folie que de rester là, avec elle, jusqu'à l'ouverture des jeux ? Abandonner le camp d'entraînement, une matinée toute entière ... rester seul, rester avec elle. Les quelques arbustes, derrière lui, remuèrent sous l'effet d'une brise tiède.

Non, se répondit-il. C'était même exactement ce qu'il comptait faire.

Au diable les combats, les repas de misère et les brimades. Puisque ce jour serait peut-être son dernier, il en savourerait chaque instant ... et ferait tout ce qu'il n'avait jamais osé faire, s'exhorta-t-il. Voilà près d'une semaine qu'ils venaient là chaque matin, avec une jeune génisse pour seule escorte ... et pourtant, pas une fois il ne lui avait encore adressé la parole. Cette magie qui, dans le silence de l'aurore, avait fait scintiller leurs yeux, s'était jusqu'alors suffie à elle-même.

Ils avaient marché côte à côte, s'étaient regardés quelques fois, s'étaient tus. L'air avait crépité d'une invisible lueur et, lorsqu'ils s'étaient souris en silence, Laaov avait senti s'embraser son âme.

S'il n'osait aujourd'hui, se dit-il, jamais n'aurait-il connu le son de sa voix.

Était-ce le moment ? Devait-il se lever, l'approcher ... lui parler ?

Levant un instant les yeux vers les étoiles, il réalisa qu'il avait encore le temps. Les combats ne commenceraient avant que le soleil ne soit déjà haut dans le ciel et, jusqu'alors, personne ne viendrait les chercher ici.

Il allongea la lame bleutée de son glaive sur ses genoux et, fermant les yeux, appuya sa tête contre le tronc du petit arbuste. Enveloppé d'un rare bien-être, ses paupières lui parurent lourdes. Ne pouvait-il se laisser aller un moment -un court moment- à un si paisible repos ... ?

Le sol, tout autour de lui, était jonché d'outres encore vides. La génisse décharnée avait été libérée de son joug et, quelques pas plus loin, broutait de maigres feuilles à même un buisson. Si sa sieste n'était troublée de cauchemars, sans doute serait-elle la plus douce qu'il n'ait jamais connue, pensa-t-il.

Emeryde, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant