Chapitre XVI : Des aveux avant le départ

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« Mieux vaut une vérité douloureuse que mille mensonges apaisants. »

*

Le bruit creux, irrégulier et agaçant de sa canne de bois s'abattant sur les dalles de pierre n'avait de cesse de blesser les tympans d'Agar. Il avançait difficilement dans la froideur du couloir carcéral, cherchant celui qu'il s'était juré de ne plus jamais revoir.

Assis dans un coin, le dos vouté, les vêtements déchirés et couverts de multiples taches rouges virant au brun, Melio contemplait le vide de sa cellule. Sa tête, posée sur le mur formant l'angle, montrait des cernes creusées et une peau terne, encore plus blanche que lorsqu'il était arrivé.

- Monsieur Séria ?

La voix hésitante d'Agar attira l'attention de l'askanien qui s'attendait certainement à la visite de soldats et non de celle d'un elfe tout juste majeur.

- Je m'appelle Agar et je...

- Je sais qui tu es, le coupa Melio. Tu as son visage.

Sa voix était calme et assurée, et il le fixait d'un regard vif qui surprit Agar. Ses iris grises semblaient lire en lui comme dans un livre en cherchant la moindre faille dans laquelle il pourrait s'engouffrer. Malgré son état physique, l'askanien dégageait toujours cette prestance, ce respect digne d'un officier dalrenien.

- Qu'est-ce que tu veux petit ? Ton père n'a pas le cran de venir alors il t'envoie ? Blessé qui plus est.

Agar serra le pommeau de sa canne en bois sombre face au ton sarcastique de l'homme. Son père ne l'aurait jamais autorisé à venir le voir. Il le tuerait d'ailleurs sans hésiter s'il apprenait qu'il était venu en cachette.

- Il ne sait pas que je suis là, lâcha-t-il comme pour se défendre.

Le prisonnier décolla la tête du mur, intrigué.

- Pourquoi tu es là ?

Agar hésita. Ses pupilles tremblaient de culpabilité face au père dont il avait perdu l'enfant.

Celui-ci se leva avec difficulté, grimaçant face à la dureté de la tâche, puis il vint se poster devant la grille, laissant ses mains passer au travers des losanges de fer.

- Je te suggère de te dépêcher avant que quelqu'un ne te trouve ici.

Le ton rassurant que Melio avait employé encourageait gentiment Agar à s'exécuter et apaisait sa peur comme si ces simples mots avaient réussi à balayer les tourments de son Esprit.

- Je voulais que vous soyez au courant, vous avez le droit de savoir.

- Tu comptes voguer autour du port encore longtemps ou tu peux accoster ?

- J'ai perdu votre fille, avoua-t-il enfin sans un souffle.

La gorge serrée, Agar ne pouvait plus qu'attendre avec inquiétude, la réaction de l'askanien qui écarquillait les yeux, la bouche ouverte.

- Tu as quoi ?! enragea Melio en empoignant les barreaux.

Agar recula, manquant de tomber lorsque sa canne glissa entre deux dalles. Devant lui, le père de famille avait perdu sa quiétude au profit d'une colère noire, et son regard s'était embrasé d'une flamme dangereusement vive.

- J'ai tenté de la protéger. J'vous le jure ! Seulement...

- Qui a fait ça ? coupa l'homme.

- Des askaniens, répondit Agar immédiatement.

Sa voix tremblait contre son gré. Il avait l'impression que l'étau autour de sa gorge venait de se resserrer. Pourtant, il était tout aussi inquiet que le prisonnier en ce qui concernait la situation de Nyha.

Face à lui, Melio semblait s'être légèrement calmé. Certainement pensait-il que sa fille était en sécurité avec les elfes lunaires. Il ne pouvait pas se douter à quel point il avait tort.

- C'est eux qui t'ont fait ça ? demanda l'homme en laissant de nouveau ses mains glisser dans les losanges.

Étonné, Agar mit un moment à comprendre la question. Qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ?

- Ton père est peut-être un kayko* de première, mais tu n'as pas l'aire de lui ressembler sur ce point, le rassura l'askanien comme s'il avait lu en lui.

« Kayko ». Ce mot inconnu aux oreilles d'Agar sonnait pourtant comme une insulte, un compte à rendre à son père. Mitigé entre le fait de défendre Fariun et donner raison à son ennemi, un léger sourire choisit de se dessiner sur son visage.

Tout en réfléchissant à la situation, un détail resurgit dans l'Esprit d'Agar. Une futilité, une chose insignifiante qui était pourtant restée sans réponse.

- Vous connaissez des askaniens qui portent des tatouages blancs ? Tenta-t-il alors.

La question surprit Melio. Les poils de ses bras se hérissèrent tandis qu'il tentait de contenir un souffle de rage.

Il sait, pensa Agar.

- Ils ont Nyha ?

Le jeune adulte affirma pendant que le brasier repartait de plus belle dans les yeux de l'askanien.

*****

Passé la porte de l'infirmerie, le Soleil aveugla Agar. Il n'était pas sorti depuis qu'il avait repris connaissance, si bien qu'il dut placer sa main devant son visage de façon à ce que ses iris dorées soient dans l'ombre.

L'agitation habituelle de l'avant-poste le fit sourire. Rien n'avait changé. Les hommes et les femmes peuplant les lieux vaquaient à leurs occupations dans une jolie pagaille organisée. Il repéra son père à l'autre bout de la cour. Fariun finissait de charger des sacs de vivres sur une charrette attelée à deux chevaux.

Agar s'avança jusqu'à lui d'un pas qu'il trouvait atrocement lent. La douleur le faisait boiter malgré sa canne. Les quatre jours de repos lui avaient laissé le temps de se maudire d'avoir été aussi brusque avec Nyha, mais il avait également pu attiser sa haine féroce et sa soif de vengeance envers ces elfes tatoués que Melio surnommait « les parias ».

Pour l'heure, il devait guérir et se contenter de ce long voyage jusqu'à Kéniré, cette ville incroyable dont Yta avait loué les merveilles en lui racontant de fabuleuses histoires.

Pure poudre aux yeux, pensait-t-il.

Lorsqu'il arriva enfin devant le cheval noir de son père et son propre destrier à la robe gris cendre, Fariun finissait de donner des directives à un soldat qui hocha la tête puis partit après l'avoir salué.

- Vous les malmenez même en votre absence ?

Fariun rigola légèrement en se tournant vers lui.

- Il faut bien que quelqu'un le fasse.

Agar leva les yeux au ciel en caressant affectueusement son destrier harnaché à la charrette. Son père avait la fâcheuse habitude de mener la vie dure à ses hommes aussi bien qu'à sa hiérarchie.

Les seuls qui échappaient, de temps à autres, à sa tyrannie, étaient leurs deux chevaux. Éclair, le destrier noir de son père avait pourtant galopé jusqu'à l'épuisement lorsque Agar avait été secouru au lac. L'apprenti soldat le remercia en passant affectueusement sa main libre sur son encolure.

- Si tu as fini, nous devons partir, déclara son père déjà installé sur la charrette, les rênes des deux animaux en mains.

*

*Kayko : connard en Elivenien

Hé voilà pour un nouveau chapitre. Celui-ci est raisonnablement calme pour changer un peu ^^"
La semaine prochaine on retrouve notre petit Deli ! :3

La Guerre de l'Aube et du Crépuscule [Tome 1 : Les prémices d'une guerre]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant