« Le véritable visage d'un sauveur ne devrait pas changer la beauté de son acte. »
*
- Likar ! Il faut gonfler davantage les voiles !
L'elfe contempla les grands rectangles de tissu gris d'un air perdu qui fit légèrement rire Nyha.
- Tirez sur ce bout là ! indiqua-t-elle en montrant un cordage depuis son poste de commande situé derrière le grand gouvernail.
Likar la remercia d'un geste de la main et donna gentiment une petite claque dans le dos d'un homme pour qu'il vienne l'aider.
Lorsqu'ils avaient embarqué, le groupe avait retrouvé quatre elfes - arborant tous des tatouages blancs - qui avait été chargés de garder le navire. Une fois à bord, Fiève - l'archère - et une autre femme avaient emmené Narel dans une cabine à l'intérieur de la cale du navire pour tenter de lui prodiguer des soins. Les autres askaniens étant restés sur le pont avaient rapidement remarqué l'absence de l'un des leurs ce qui avait forçé Shaïon à leur apprendre l'affreuse nouvelle.
Ne voulant pas perdre un autre camarade, l'équipage avait levé l'ancre et déployé les voiles, faisaient cap plain Ouest. Finalement, après une vingtaine de minutes à constater l'inexpérience des elfes et à les voir s'afférer avec difficulté sur les cordages sans parvenir à bien orienter les voiles, Nyha avait - avec l'accord de Shaïon - pris le commandement de l'Orytam. Contrairement à eux, la navigation coulait dans son sang. Elle remercia son père d'avoir longuement insister pour lui apprendre à naviguer contre son envie.
Petite, il l'emmenait en mer pendant de longues semaines interminables et ennuyantes afin d'atteindre les ports marchands de l'Askan ou du Dalren. Nyha en sortait toujours avec des ampoules sur les mains et des coups de soleil sur les épaules. Elle détestait d'autant plus ces voyages car son père lui interdisait de mettre le pied à terre lorsqu'ils accostaient sur la terre solaire.
Malgré tout, ces moments détestables lui servaient à présent. L'Orytam était certes bien plus grand et bien plus imposant que le navire de son père qui ne possédait qu'une voile comparé aux trois immenses que comportait ce monstre de bois, mais le principe restait sensiblement le même.
- C'est bon je pense ! cria Likar depuis l'autre bout du pont en faisant un nœud avec le cordage pour immobiliser la voilure principale qui se gonflait sous le vent.
- Parfait, remercia Nyha.
La navigation avait le don de lui vider l'Esprit. Elle se sentait bien, agrippée à ce vieux gouvernail trop grand pour elle.
Shaïon l'avait compris.
Il devait préférer la voir active, presque souriante, plutôt que prostrée dans un coin de la cabine de Narel en refusant de se nourrir. Son estomac voulait presque s'octroyer une pause pour qu'elle puisse reprendre des forces tant qu'elle était détendue. Ces dernières journées - et semaines - n'avaient guère été très nutritives d'autant plus que Nyha avait refusé de manger à plusieurs reprises. La faim n'était d'ailleurs plus une sensation pesante en elle, mais plutôt une impression presque imperceptible.
- Tu es certaine de ne pas vouloir te reposer ? Dim pourrait prendre la barre et je peux t'apporter des fruits ou du poisson si tu veux, lui proposa Shaïon en la rejoignant sur le pont supérieur à l'arrière du navire.
Nyha lui soutint qu'elle n'avait pas faim et qu'elle pouvait rester ici malgré la peur de l'adolescent vis-à-vis des conséquences sur sa santé.
- Tu as maigrie et tu ne t'alimente toujours pas, ou peu, ajouta celui-ci en désignant son Corps encore plus frêle qu'avant leur voyage.
- Je vais bien, assura la namaïenne avec aplomb.
Shaïon soupira.
- Je ne vais pas te forcer davantage dans ce cas. Suis simplement la course du Soleil couchant. C'est notre cap conclut l'adolescent en la laissant.
Nyha hocha machinalement la tête en réfléchissant. Leur direction les éloignait de la côte et il n'y avait rien vers là-bas, au delà des flots.
Rien à part...
Les Îles Solitaires !
Le sang de Nyha se glaça dans ses veines. Elle regarda tour à tour chaque elfe se trouvant sur le pont. Ces elfes n'étaient pas des askaniens, mais les descendants des parias, des traitres exilés par Kya elle-même !
L'envie de partir, sauter à la mer et tenter d'atteindre le rivage à la nage s'immisça dans son Esprit, lui faisant presque lâcher le gouvernail.
Presque.
Quelque chose la retenait, lui suppliait de se raviser.
- Hé ! Fais gaffe tocan* ! J'ai pas envie de finir borgne moi ! grommela Likar.
Dim le regardait en rigolant. Il levait les mains pour s'excuser et le laisser passer tout en tenant encore son épée qui pointait à présent vers le ciel. Le pauvre Likar avait tenté de se rendre à l'avant du pont pour y déposer une caisse de bois mais s'était malencontreusement retrouvé au milieu d'un combat amical que s'étaient lancé Dim et une femme portant un magnifique tatouage composé de multiples fleurs immaculées sur le bras gauche et qui faisait partie de l'équipage resté sur l'Orytam.
Tout le monde explosa de rire lorsque Dim tapota gentiment la tête de Likar avec le côté plat de son épée. Celui-ci fit volte-face, lâcha sa charge, et sortit son épée, un sourire vengeur aux lèvres. Les deux amis entamèrent alors un combat théâtral sous les rires des autres. Même Shaïon - assis sur les marches menant au pont supérieur - se laissa aller au rire.
Face à cette scène de jeu, Nyha se ravisa de partir, sa peur ayant disparu dans le vent. Les elfes qu'elle avait rencontré et choisi de suivre ne ressemblaient en rien aux monstres des Divisions Delin que décrivaient les nombreuses histoires et légendes relatant leurs crimes envers la déesse, les Orems et les Lylluns de l'Askan.
Certes, tous avaient un certain don pour le combat. Mais ils se servaient de leurs talents pour aider les askaniens avec bienveillance.
- Zig ha en tocan morn yulim* ! rigola Likar lorsqu'il s'aperçut que Dim avait coincé son arme dans un des mats en voulant lui porter un coup.
Non, ces descendants des Divisions Delin n'avaient décidément rien à voir avec leurs ancêtres. Nyha ne pouvait pas se permettre de les quitter et ne le voulait nullement en réalité. Elle avait autant besoin d'eux et de la famille qu'ils lui offraient, qu'eux avaient besoin d'elle pour naviguer.
*
*Tocan : idiot en Etlinien
*Zig ha en tocan morn yulim : tu es un idiot mon frère, en Etlinien
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La Guerre de l'Aube et du Crépuscule [Tome 1 : Les prémices d'une guerre]
FantasiaSur un continent unique fracturé par une rivière... Quatre destins, tantôt entremêlés, tantôt déchirés à cause d'une guerre qui les dépassent. Quatre vies. "Je pensais que vous seriez toujours avec moi." "Je les aiderai quitte à y laisser la vie." "...