Conquérant en tenue de sauveur

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NOVEMBRE 2016

Après quelques mois de remise en forme et de redécouverte du monde extérieur, mon esprit se trouvant plus assaini et dans un corps suivant la même démarche, je me sens comme pressé de rattraper le temps perdu. Vers le mois de novembre, je rencontre une fille qui me plaît via une application de rencontre : Mademoiselle M.

Elle est attirante, a une forme de complexité dans son caractère et puis, nous avons différentes choses en commun. Une certaine connexion s'opère et je dois dire que je commence à me sentir de plus en plus attiré par elle, mais je dois faire face à une réalité arrivant parfois dans ce genre de circonstance : je ne lui plais pas ou plutôt, pas en tant que potentiel partenaire amoureux. J'en serai très frustré puisqu'elle revient sans cesse me parler et j'interprète ainsi des signes, là où il n'y en a pas ou presque.

Je me rends compte, bien des années après ma longue quarantaine, que je développe une espèce de dépendance affective lorsque je tombe sur des personnes qui me témoignent de l'intérêt dans des situations similaires et que j'ai une fâcheuse tendance à me positionner en tant que sauveur, mettant alors en avant ce caractère de grand altruiste aux personnes assimilées à un profil de victime.
Il faut dire que je suis de nature à écouter et apporter du soutien aux autres, la personnalité de l'altruiste n'étant alors pas très éloignée de la personne que je suis. Mais toutefois et dans certaines circonstances, ces attitudes sont adoptées pour obtenir de la valorisation en retour. Je me fais alors passer pour un chevalier servant au service d'une demoiselle en détresse à sauver avant de passer par une position de bourreau lorsque, mon petit manège n'aboutit pas là où je veux qu'il aboutisse. C'est bien des années après, que j'ai découvert que nous entrions tous dans ce carnaval de rôles toxiques en vue d'obtenir un peu de sentiment d'appartenance et de reconnaissance, rôles entrant dans ce qui s'appelle le triangle dramatique et étant l'un des éléments principaux de la scène des jeux psychologiques.

Et puisque pour jouer, il faut être deux, Mademoiselle M. rentre elle-même, très facilement dans le profil de la victime puisque, à la moindre action qu'elle entreprend et visant à évoquer du mal-être, de la frustration ou simplement, en se plaignant sur des motifs avérés, quand ils ne sont pas purement gratuits, je lui sors ma plus belle panoplie de gestes de réconfort et d'empathie.

Nous discutons pendant près de deux mois et après qu'elle ait stipulé avec véhémence que rien n'arrivera jamais entre nous, puisqu'elle vient dans le même temps de rencontrer quelqu'un, je transforme le masque du sauveur que j'ornai en celui du bourreau — victime avant de continuer mon chemin.

FÉVRIER 2017

Après cet acte manqué et pas vraiment au beau fixe avec ma propre considération et mon intégrité, je rencontre quelqu'un au mois de février, toujours sur une application de rencontre. C'est elle qui vient me parler et je dois dire qu'à première vue, elle ne m'intéresse pas tant que ça, je réponds et puis... Voilà. C'est triste à dire, et ce sans déconsidérer autrui, mais c'est la dure réalité du fonctionnement de ce marché aux rencontres virtuelles que nous rencontrons à notre époque, tel un employeur cherchant sa perle rare dans un fouillis de curriculums. Et pour être tout à fait franc, je me demande si je ne l'ai pas liké sans même avoir vraiment regardé son profil en m'adonnant à une série de swipes massifs, une espèce de roulette russe du marché sentimental ce qui, je ne vous le fais pas dire, n'est pas incroyable côté valeurs. Après plusieurs semaines sans discuter avec elle, elle me relance et je réponds. Je vous passe les détails, mais un bon mois plus tard, nous nous rencontrons et cette rencontre, sans être magique, était relativement agréable ! Nous continuons donc à discuter et je dois dire qu'un feeling s'installe, ce qui nous conduit vers l'évidence d'un autre rendez-vous où là, c'est une tout autre personne que j'ai devant moi. La rencontre se passe dans un petit restaurant assez cosy situé au bord d'un cours d'eau, après tout, la première rencontre s'était bien passée et n'avait pas été désagréable du tout alors, pourquoi ne pas partager un moment autour de quelque chose qui peut avoir vocation de créer des liens, la nourriture.

Mais si vous me permettez un conseil alors que vous commencez à flirter avec quelqu'un : n'allez pas au restaurant. C'est vrai, non ? Et bien au-delà de ma propre histoire, c'est un vrai challenge que d'aller au restaurant avec son flirt, on doit faire attention à la manière dont on mange et à ce qu'on mange, car on veut faire bonne impression, viennent également le choix de la tenue, le partage de la note, l'alcool si vous en consommez, moi je vous le dis : ÉVITEZ !

Une fois arrivé sur place, je me rends très rapidement compte que l'ambiance est assez tendue. En fait ce n'est pas difficile à comprendre, après une heure, elle ne dit toujours rien, n'enclenche aucune discussion et surtout, ne répond que très sporadiquement à celles que je lance pour essayer de la connaître un peu mieux, en ajoutant à cela que, l'un des parasols chauffants de la terrasse est bien dirigé en face de moi et me fait ainsi suer à grosses gouttes. À ce moment-là, j'ai juste envie de fuir et c'est même très lâchement que j'ai regardé s'il n'y avait pas une sortie de secours ! Ma voiture étant en face de notre emplacement de table, il m'aurait été difficile de prendre la tangente et puis il faut avouer que ça ne fait pas très gentleman non plus. Le plat étant terminé, je lui dis que je n'ai pas l'impression que nous allons nous revoir puisque le rendez-vous était dans une ambiance très différente de notre première rencontre et que celui-ci n'était pas vraiment, le date idéal que j'imaginais. Elle me demande pourquoi, avec une forme de stupéfaction... Je lui dis que je suis un peu mal à l'aise, car nous n'échangeons pas vraiment et que, je n'ai pas l'impression que l'étincelle soit en phase d'allumer la mèche, bien que nous ayons eu un échange plutôt sympathique à l'occasion de notre première rencontre. Elle peine à trouver ses mots, bafouille çà et là avant d'éclater en sanglots tandis que je m'enfonce d'un cran au fond de mon siège, un de plus me direz-vous. Et sans rentrer dans les détails, elle me confie alors différents problèmes personnels et inter-relationnels, qu'elle me trouve attirant et que ça lui plairait de mieux me connaître, mais elle est un peu dépassée émotionnellement et ne sait pas comment faire. Et d'après vous, quelle est la posture que je commence alors à prendre ? Bien sûr que ce sera celle du grand chevalier servant, du confident à l'écoute, de l'amant attendrissant et bref, du sauveur en face d'une nouvelle victime en attente d'un sauvetage du prince charmant.

Plusieurs autres rendez-vous se passent, certains très maladroits et me faisant penser que je devrais définitivement faire machine arrière, et d'autres, beaucoup plus sympathiques. Je constate à ce moment-là qu'elle a quelque chose qui me plaît, elle a du caractère et ça, ce n'est pas peu dire ! Mais ça tombe bien, car j'en ai aussi et c'est quelque chose que j'apprécie chez l'autre et puis, elle se dévoile peu à peu en laissant tomber ce masque froid et rigide en laissant apparaître, une forme de tendresse sous cette carapace de glace. Arrive un certain moment, où un déclic fait qu'on arrive à s'entendre et c'est la lune de miel, elle me donne ce que je cherchais, de l'amour, de la tendresse, de l'affection, et cette lune de miel dure ainsi pendant quelques mois. Tout va alors s'enchaîner très vite pour moi, en réalité, après avoir passé 15 jours très agréables en étant en vacances tous les deux à la fin du mois de juin, elle me suggère d'aller vivre chez elle. Je suis un peu pris de panique... je lui suggère que je ne sais pas, c'est tellement inattendu et puis, j'aime aussi ma petite vie comme elle est, car, quelque chose qui fait partie de moi et qui ne transparaît pas vraiment dans ce récit, c'est que je suis un solitaire et que j'aime avoir mes moments pour moi. Peut-être une autre conséquence de mon isolement ? Je dirai avec les années que j'aime fonctionner ainsi.

Mais, en revenant à l'histoire, elle me dit alors que ça pourrait être aussi une manière de voir si nous sommes fonctionnels dans notre vie de tous les jours. Après un jour ou deux, je regarde les murs de ma petite chambre et je me décide que c'est l'occasion pour moi d'avancer, malgré une voix me criant gare du coin de ma tête. Au mois de juillet de cette année-là, je m'installe avec elle et je ne peux pas cacher que cette année-là fut une belle année malgré ce qui va suivre. Nous commençons ainsi par engager réellement notre aventure à deux, découvrons le quotidien de l'un et de l'autre, formant une espèce de cocon, je lui présente ma famille et elle me présente la sienne, avec laquelle nous passerons de très bons moments ensemble aux prémices de notre relation. Je me vois avancer, je me sens émancipé et j'en suis moi-même à construire quelque chose, à la manière de ceux que je jalousais quelques mois auparavant.

Mais... quelque chose ne sonne pas juste dans la partition que nous jouons tous les deux.



À LA RECHERCHE DE CELUI QUE JE SERAI - TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant