La cité royale
Abi avait déjà eu à fuir précipitamment les bars dans des situations délicates, durant des parties de poker à Shanghai, ou simplement une soirée trop alcoolisée à Bali, pendant que son père cherchait des investisseurs pour leurs prochaines fouilles. Une fenêtre dans des toilettes et le tour était joué. Seulement ici, elle ne se trouvait pas dans un bar, mais une forteresse. Jamais elle n'aurait imaginé un jour se retrouver dans une telle situation. Pourtant, son père soufflait, souvent désespéré : "Tout est possible avec elle". À l'époque, elle aimait prendre cette réflexion pour un compliment, aujourd'hui, elle aurait tant préféré qu'il se trompe et que l'impossible le reste.
Raph ouvrit une petite porte dans un coin du château et lui fit signe d'y entrer.— Et dépêche-toi surtout !
— Ça risque d'être difficile, dit-elle en lui montrant ses liens, à moins que tu veuilles m'aider...
— Ne me tente pas, passeuse, dit-il d'une voix grave.
À cette insinuation, elle grimaça de dégoût.
Finalement, elle fera avec ses liens. La porte claqua au nez du malotru et elle découvrit avec effroi que la seule lumière dans cette pièce exiguë ne provenait que des latrines elles-mêmes. Aucune fenêtre, aucune issue, Abigail avait très mal suivi ses cours sur le Moyen âge lors de sa quatrième. Les murs de la forteresse semblaient se resserrer autour d'elle, alors qu'elle cherchait désespérément un moyen de s'échapper. Elle savait que chaque instant comptait.
— Dépêche-toi ! tambourina Raph contre la porte.
— C'est dégoûtant là-dedans ! hurla-t-elle.
Abi frottait énergiquement ses liens contre un rebord à la couleur plus que douteuse, retenant des hauts le cœur. Son ravisseur s'impatientait dans l'autre pièce, prêt à la ramener de force. Son regard s'arrêta sur les latrines et cette lumière qui appelait à la liberté. Elle se pencha par-dessus, se retenant de vomir par la même occasion. En contrebas, à plusieurs mètres de là, se trouvait la douve dans laquelle les excréments atterrissaient aussitôt expulsés. Ce passage peu orthodoxe devenait potentiellement prometteur pour échapper à son assaillant, elle espérait juste qu'il y aurait assez de profondeur. Risquer sa vie ici ou là-bas, elle fit rapidement son choix.
Avec une légère hésitation, elle prit une profonde inspiration, rassembla son courage.
— À trois ! Un, deux... Un, deux...Plus elle s'approchait et plus son âme menacée de s'échapper par son œsophage. La porte trembla sous les coups que lui donnait Raph. Il commençait à s'impatienter, à se dire que finalement il aurait dû attendre son frère.
— Et puis merde, je suis prête pour le grand saut !
L'hésitation s'estompa en un instant. Elle se glissa à l'intérieur de l'étroit conduit. Les jambes suspendues dans le vide, L'odeur âcre et désagréable l'envahit instantanément, mais elle réprima sa répulsion et continua à se faufiler pour sortir de cette obscurité oppressante. Les parois étroites se refermaient sur elle. Et si le passage n'était pas assez grand ? Elle n'eut pas le temps de se poser la question, qu'elle sentit enfin le vent sur son visage.
Elle volait, la liberté l'attendait.
Non, elle dégringolait.Dans sa chute, un cri étouffé se mêla aux éclaboussures dans l'eau boueuse des douves. Le contact de l'eau froide raidit tous ses muscles. Un peu plus loin, un homme, témoin de la scène, pêchait tranquillement dans la vase et les excréments.
Elle ne pouvait s'attarder. Entravée par ses liens et ses vêtements, elle émergea avec difficulté des eaux troubles, tremblante et trempée. Elle devait continuer sa fuite.