Les catacombes
La reine se tenait devant la grande fenêtre de sa chambre, observant le paysage, plus particulièrement le ciel. À cette heure-ci, Bellamy ne devrait plus tarder à revenir de son habituelle excursion nocturne. La lune baignait les vastes étendues du royaume, illuminant les forêts environnantes de sa douceur. Rose se frayait un chemin, battant des ailes dans le ciel étoilé. Un sourire se dessina sur les lèvres de la reine, remplissant son cœur de joie maternelle.
— Notre rejeton est rentré sain et sauf si je comprends bien, se moqua le roi Briar entre deux quintes de toux.
Le mal gagnait du terrain, le roi peinait de plus en plus à ne serait-ce que respirer. Il ne pouvait plus participer pleinement à la vie politique de la cour et sortait rarement de sa chambre, seulement pour de grande occasion. Hildegarde avait pris le pouvoir sans jamais se passer des conseils de ce meilleur ami qu'ils avaient partagé avec son frère Edmund. Pourtant, aujourd'hui, elle préférait lui tenir secrète certains agissements de leurs fils, dans l'espoir de le ménager un peu. Mais être stupide n'était en aucun cas l'un des défauts du roi. Briar se leva difficilement de sa couche se retenant au mur. Il lui fallut quelques secondes pour habituer ses yeux à la noirceur de la nuit extérieure. Bellamy était sa plus grande fierté, la chair de sa chair, son sang. Bien qu'il aimait aussi son premier fils Darian, il l'aimait différemment, un amour empli de tristesse qui n'était pas passé inaperçu aux yeux de ce premier fils. Sans jamais pouvoir se l'expliquer.
— C'est donc elle, la fameuse dame de Terraxia, dit-il lorsqu'une seconde silhouette se détacha du dos de Rose, aidé par Bellamy. Élégante à n'en point douter, peut-être que l'un de nos fils connaîtra finalement l'amour.
— Probablement, répondit-elle sans grande conviction.
Certes, Darian et Lysandra, sa propre cousine, ne s'aimaient pas, au contraire même, ils se détestaient, mais le couple royal ne regrettait pas leur décision. Lys, fille d'Edmund, avait sa place à la forteresse royale et nulle part ailleurs, certainement pas à Aquanburg sur les terres de sa mère. Mais beaucoup se questionnaient, se demandant si l'aversion des deux époux était dû à cette infécondité qui empoisonnait leur arbre généalogique.
Hildegarde observa cette jeune fille, quelconque à ses yeux. En dépit de toutes les intrigues et les sombres machinations qui entouraient le trône, elle trouvait du réconfort dans le bonheur de ses enfants. Elle savait que son fils pourrait trouver l'amour auprès de Rowena, bien que des doutes subsistaient dans son esprit préoccupé. Il était évident que Rowena détestait à présent la famille royale. Les Terraxiens, pouvaient-ils à eux seuls causer la perte de leur puissante lignée ? Avait-elle fait entrer le prédateur dans sa douce bergerie. La reine se demandait si elle devait intervenir, si elle devait partager ses préoccupations avec son fils. Mais elle décida de garder sous silence ses craintes et d'observer de loin, laissant le temps dévoiler la vérité. Peut-être étaient-ce simplement les inquiétudes d'une mère surprotectrice, et sa fiancée saurait se ranger ?
Cependant, ces pensées troublantes ne pouvaient être contenues plus longtemps. La reine ressentait le besoin de consulter une source de sagesse plus ancienne, un confident qui ne pouvait lui répondre qu'à travers les souvenirs et les soupirs du passé. Elle prit une profonde inspiration et se dirigea résolument vers les profondeurs de la forteresse, vers les catacombes royales.
Les catacombes étaient un labyrinthe de sombres couloirs et de chambres funéraires, où les rois et les reines de génération en génération, les grands héros étaient honorés dans la mort, à l'exception de la prophétesse qui avait trouvé son repos sur l'île de Drakonia. Les murs étaient ornés de magnifiques fresques et de sculptures figées dans le marbre. Des statues d'héros valeureux se dressaient fièrement, témoins silencieux de l'histoire et du pouvoir du continent jurassique.
La lumière était rare dans ces souterrains, seules quelques bougies par-ci par-là créaient une atmosphère mystique et solennelle. Les ombres dansaient avec lenteur. Les pas de la reine résonnaient sur les dalles de pierre, créant une symphonie légèrement sinistre dans le silence sépulcral.
Des chuchotements.
Elle n'était pas seule. Arrivée devant la chambre funéraire de son frère. Elle pouvait presque sentir sa présence dans l'air stagnant. Doucement, elle poussa la porte et entra dans la pièce où reposait la statue grandeur nature de son frère. La reine marqua une pause. Vêtue d'une longue cape noire, la femme agenouillées se retourna.
— Majesté, l'intruse inclina la tête et retira son capuchon.
Un frisson parcourut la reine lorsque son regard se posa sur les yeux figés de marbre de son frère. Il l'observait, sa posture noble et sa sagesse gravées pour l'éternité. La reine s'avança lentement, le cœur lourd d'émotions contradictoires. Elle voyait toujours en elle cette enfant gâtée qui obtenait tout ce qu'elle désirait d'un claquement de doigt, après tout elle avait réussi à épouser Edmund.
— Mélisandre, je ne pensais pas te trouver ici.
Hildegarde s'agenouilla à ses côtés. Sa belle-sœur portait le deuil à merveille et ça, la reine avait beaucoup de mal à l'accepter.
— De mon côté, je ne suis pas étonnée. Elle fixa les nombreuses lettres et bougies autour de la statue avant d'ajouter : même mort, mon cher époux a encore de nombreuses prétendantes.
— Il avait le don de se faire aimer.
Son sourire devint amer. Mais Hildegarde ne releva pas, faisant preuve de la plus haute retenue pour ne pas lui demander de s'en aller, après tout elle avait été sa femme. Elles restèrent là, dans cette salle silencieuse. Quelque part dans le calme des catacombes, elle trouva une certaine paix que Mélisandre troubla de nouveau.
— J'ai entendu dire...
— Vous entendez beaucoup de chose, ma chère et tendre belle-sœur, mais moi je me demande, quand comptez-vous rejoindre vos terres ? Aquanburg et votre spinosaure ne vous manquent-ils pas ?
— Ma place est là où se trouve ma fille, j'ai entièrement confiance en mon cousin pour gérer la cité. Cependant, je n'ai aucune confiance en vous pour prendre soin de ma fille et encore moins en votre fils.
— Darian est son époux, c'est à lui que revient le devoir de protéger Lysandra.
— C'est là ma plus grande crainte. Dit-elle en se relevant, cette conversation était intéressante Hilde, elle m'a rappelé de bons souvenirs.
La reine entendit la menace sous cette phrase anodine, sachant pertinemment qu'elle n'irait jamais plus loin. Mélisandre avait trop à perdre et Hildegarde avait malheureusement promis à son frère de prendre soin de sa famille. Dans le claquement de la porte, de nombreuses bougies moururent. La reine se trouva enfin seule avec ses prières.
Elle effleura la pierre froide, le doux visage d'Edmund que cette statue trahissait. Elle ne lui rendait pas hommage, ni a son visage anguleux, ni à ses lèvres pulpeuses et encore moins à ses yeux bleus envoutants. Hilde se souvenait ces mèches blondes qui capturaient les rayonnements du soleil lorsqu'il chevauchait son ptérodactyle, qu'il revenait victorieux des batailles. Son allure, à la fois gracieuse et puissante, cette statue ne rendait pas hommage au héros qu'il avait été et qu'il restera à jamais.
Son visage perdu contre la pierre, celle-ci absorba ses larmes. Elle pleurait toujours sa perte, pour ce monde, pour elle, pour le roi Briar son meilleur ami et surtout pour leurs fils.