L'étang
Elle marcha ainsi, seule, une bonne dizaine de minutes, descendant un chemin qui serpentait au milieu d'eucalyptus avant de rejoindre l'étang. Au loin, des diplodocus, immenses tours de vingt-sept mètres, se dressaient à l'horizon. Certains broutaient sur les bas-côtés. Des hommes et des femmes perchés sur leur dos attendaient sagement la fin de cette dégustation. Cette vision lui était cocasse, voir de tel colosse servir de quoi ? de bus peut-être ? Elle en rit presque.
Dans un coin plus reculé, Abi profita du calme pour se débarbouiller sans pour autant oser se dévêtir entièrement. Mille questions se bousculaient dans sa tête. Alexander aurait probablement enfin les réponses à celles-ci ? Elle ne savait même pas s'il avait prévu de l'attendre.
Avait-il repris la route sans elle ?
Elle enfila rapidement cette robe confectionnée dans un tissu de lin épais. L'étoffe en disait long sur la vie que menaient Alexander et sa fille, d'un beige naturel qui évoquait la simplicité de la vie à la campagne. Les manches longues étaient amples et légèrement évasées, offrant une grande liberté de mouvement en cas d'attaque. Le corsage, ajusté, mais confortable, était orné de broderies délicates représentant des motifs floraux. Ils n'étaient donc pas si pauvres.
Alexander, avait-il toujours été mercenaire ?La jupe était ample et plissée, descendant jusqu'aux chevilles. Avec précaution, Abi enfilait la robe, s'assurant que chaque détail était parfaitement ajusté. À présent, elle ne jurait plus avec ce monde, elle allait pouvoir s'adapter, elle s'en sentait capable.
Abi ajusta sa ceinture en cuir autour de sa taille, y laissant pendre son petit couteau. Alexander avait pris la peine de l'armée, cela prouver à ses yeux une grande stupidité ou simplement de la bienveillance. Peut-être une trop grande confiance en ses propres capacités. Il ne craignait pas qu'elle se retourne contre lui. Il ne se méfiait pas le moins du monde de cette inconnue en détresse.
Abi se pencha une dernière fois au-dessus de l'étang. Outre son reflet chaotique, elle remarqua une paire d'yeux jaunes émerger de la surface de cette eau sombre.
― Qu'est-ce que...
Avant qu'elle ne pût réagir, la bête émergea violemment de l'eau dans un rugissement terrifiant.
Cette chose avait faim.
C'était un dinosaure aquatique massif qu'elle ne reconnut pas dans l'action. Elle recula instinctivement, et porta la main à sa ceinture. Mais le monstre de l'étang se montra plus rapide qu'elle ne l'avait imaginé. Il se jeta sur elle avec une agilité impressionnante, ses griffes acérées et sa gueule ouverte. Ses dents pointues prêtes à la déchiqueter.
Abi réagit et attrapa le couteau à sa ceinture. Elle leva le bras pour se défendre et assainit le premier coup à l'œil droit. Dans un cri d'horreur, l'animal secoua la tête avant de se reprendre.
Elle l'avait éborgné.
Mais cela ne suffirait pas à l'arrêter. Elle pouvait voir dans son œil restant la détermination d'en finir. Elle rampa sur les berges, elle ne devait surtout pas se laisser glisser dans l'eau ou elle serait perdue. Ce liquide vaseux, c'était l'élément de la bête, pas le sien. Cet univers, il en était le roi suprême. Elle rampa, se traînant sur l'herbe humide.
— Tu ne peux pas mourir bouffé par un putain de dinosaure ! Hurlait-elle pour elle-même en agitant ses pieds et son couteau dans tous les sens.
Si un jour elle avait su se battre, si les Massaï était si fière des compétences qu'ils lui avaient fait acquérir au fil des années en leur compagnie, aujourd'hui elle n'en montrait rien. Elle perdait les pédales. Sa jupe partait en lambeau sous les griffes. Le prédateur prenait son temps cette foi-ci, plus méfiants, humant sa proie.