Fossilia
Alexander avait tenu parole. Dans l'arène, les combattants divertissaient la foule, tandis qu'Abi déambulait dans les gradins pour servir les spectateurs déchaînés, enivrés par la violence du spectacle. Elle servait des rafraîchissements aux nobles assoiffés de sensations fortes, tout en gardant un œil inquiet sur le déroulement du combat.La structure tremblait, manquant de lui faire perdre l'équilibre, en contrebas un pachycephalosaure venait de percuter un pilier massif, son crâne épais enfonçant la pierre avec une force dévastatrice. Les éclats de pierre se dispersaient en mille morceaux, créant un chaos supplémentaire dans l'arène déjà chaotique.
Alexander, conscient de la distraction causée par l'effondrement du pilier, profita de l'opportunité pour abattre son épée sur l'une des créatures, lui infligeant une blessure fatale.
La situation restait tendue. Les autres dinosaures continuaient à attaquer sans relâche. Les combattants se frayaient un chemin entre les imposants dinosaures. Les cris d'excitation et les acclamations de la foule en délire résonnaient dans l'air, alimentant le spectacle sauvage qui se déroulait sous leurs yeux avides.Alexander, n'en était pas à son premier affrontement brutal face aux terrifiants dilophosaures cracheurs de venin. Leur peau rugueuse et leurs mâchoires armées de crocs acérés étaient une vision cauchemardesque. Ils attaquaient en horde, se jetant sur le combattant avec une férocité terrifiante. Le gladiateur brandit son épée avec habileté, esquivant les jets de venin toxique et parant les morsures visqueuses des créatures. Il se mouvait avec grâce et précision, profitant de chaque ouverture pour porter des coups ciblés.
À ses côtés, d'autres gladiateurs se battaient également pour leur survie. Certains utilisaient des lances pour garder les dilophosaures à distance, tandis que d'autres maniaient des épées avec une maîtrise.Alors que le tumulte se poursuivait, Alexander jeta un regard vers les gradins, cherchant Abi parmi la foule. Leurs regards se croisèrent brièvement, un échange silencieux de soutien. Dans cette arène où la vie était mise en jeu, la seule pensée qui guidait Alexander était de protéger Abi de cet enfer.
— Attention derrière toi !
Dans un moment de panique, Abi lâcha son panier pour courir vers la balustrade, les boissons s'éparpillèrent aux vents et les cris de mécontentement des spectateurs se firent entendre. Alexander se roula au sol de justesse tandis qu'une nouvelle fois, le dinosaure au crâne imposant se ruait sur lui.
Abi sentit une main claquer sur son postérieur, elle se retourna les joues cramoisis de colère, un noble plus que joyeux par la boisson l'interpella:
― Eh ma jolie, tu gâches la vue.
Abi lui aurait bien mis son poing en pleine face si Alexander ne lui avait pas fait jurer de se faire discrète depuis la dernière fois où elle avait cassé un pichet sur la tête d'un ivrogne qui vidait sa boisson dans l'arène, rendant plus fou les dinosaures qu'ils ne l'étaient déjà.
Alors cette fois-ci elle se contenta de sourire et de continuer son chemin. Elle se baissa pour ramasser ce qui avait survécu dans son miteux panier en osier quand la main s'abattit une nouvelle fois sur ses fesses.Et puis merde.
Elle attrapa sa noble tête et l'envoya valser contre l'accoudoir de son siège. Ce qui dans son état déjà peu convenable, l'envoya dans les bras de Morphée pour un bon gros somme.
Le combat s'achevait avec de nombreuses pertes, qu'elles soient humaines ou animales, mais pour Abi et les hommes, la journée de travail n'en finissait jamais. Lorsque les spectateurs quittèrent un à un l'estrade, l'équipe commençait le nettoyage du chaos laissé par la mort.
Abi regarda un long moment ce corps, ce gladiateur qui lui disait toujours merci quand elle lui donnait le pain du soir, avant d'aider à porter sa dépouille jusqu'à la fosse. Les dinosaures étaient les plus nombreux à périr et les plus longs à découper et dépecer, pour une viande et des peaux qu'ils ne leur profiteraient pas. Jusqu'au bout, chacun de ces hommes étaient exploités.
Lorsqu'ils eurent terminé, la nuit couvrait le ciel. Dans leur misérable enclos, Abi passait dans les rangs. Elle s'occupait de nourrir et panser chaque blessure de ces gladiateurs qui peu à peu devenait une seconde famille. Ils étaient rustres, parlaient peu ou principalement de femmes mais Abi les respectait tous car derrière la fermeté de leurs traits, on pouvait percevoir la lueur d'une camaraderie profonde et d'une volonté inébranlable de défendre ceux qu'ils aimaient.
Comme chaque soir, elle s'installa au côté d'Alexander. Le mercenaire semblait avoir pris dix ans de plus. Il dormait peu et se battait fréquemment. Pour elle, elle en avait conscience.
— Ils n'ont pas l'air dans leurs assiettes ce soir, constata-t-elle à la suite de son tour quotidien.
— Demain ce sera du un contre un, ami contre ami, c'est pour ça qu'ils n'ont pas le moral. Nous serons piochés au sort. Dit-il la bouche pleine.
— Je vois, elle baissa les yeux sur son propre morceau de pain rassis.
— Tu sais je t'ai vu assommer cet homme, si tu continues à t'obstiner à te faire remarquer je mettrais un terme à nos entraînements, que t'ai-je appris ?
— À me battre que pour ce qui en vaut la peine, mais crois-moi, ça en valait la peine.
Malgré son agacement, Alexander ne peut s'empêcher de rire avec elle.
— Et crois-moi, il était bien trop saoul pour s'en souvenir demain, il aura juste une bonne migraine bien méritée qu'il mettra sur le compte de la boisson.
— Et comment expliquera-t-il la bosse ?
— Comme il lui plaira !
— Ton sale caractère nous perdra, ma fille, dit-il doucement.
Abi mima une moue vexée. Ce petit surnom réveillait en elle une joie immense d'avoir trouvé sa place, bien que celle-ci soit dans les excréments de dinosaures et le sang, elle avait trouvé une famille. Alexander se souciait d'elle, plus que son véritable père ne l'avait fait durant toute une vie. Il lui arrivait de se demander ce que le père Leakson pouvait bien être en train de faire ? Surement pleurer son assistant et alors se réconforter en cherchant d'avantage de fossile. Et puis finalement il lui arrivait de se demander si son autre vie avait réellement un jour existé, tout cela lui semblait si loin.
— Abi, est-ce que tu pourrais venir vérifier la plaie d'Oscar? J'ai l'impression qu'il est bouillant de fièvre, l'interpella un combattant au crâne rasé.
Elle se leva de sa couchette, Oscar était arrivé bien après eux et avait du mal à se faire à la vie de gladiateur. Lui qui toute sa vie avait travaillé dans les champs. Un été plus sec que les autres, ses récoltes avaient brûlé, l'obligeant à voler pour se nourrir lui et les siens. À présent, il était un gladiateur mal en point et sa famille devait s'entretenir sans lui.
— Ne te couche pas trop tard gamine, demain je t'entraînerai aux aurores avant le tirage au sort, dit Alexander avant de s'allonger sur son tas de pailles.
— Ne t'en fais pas, je serai prête à t'affronter.