Les premiers passeurs
Aucune trace, pas un écrit ; nul n'avait le souvenir de l'existence d'autres passeurs avant les prétendus originels. Pourtant, il devait y en avoir, mais ils avaient probablement été dévorés avant même d'entamer toute colonisation de ces terres dangereuses. L'antre jurassique où l'Homme ne pouvait régner en maître.
Dans l'autre monde, les disparitions devenaient fréquentes : une femme fuyant son doux foyer, un adolescent rebelle en fugue, peu importaient les raisons innombrables, ils étaient souvent retrouvés. Mais il existait des cas plus tragiques, ceux qu'on ne retrouvait pas, perdus à jamais.
Qui pourrait affirmer ce qui leur était arrivé ?
Parfois, c'étaient même des civilisations entières qui disparaissaient mystérieusement de la carte, raflées par le sable ou englouties par les eaux. Les Rapa Nui, sur l'île de Pâques. La civilisation minoenne, tirant son nom du célèbre roi légendaire Minos. Les Khmers en Indochine avec leurs somptueux temples. Oserons-nous également prononcer le nom d'Atlantide ?
Si l'autre monde peinait à se souvenir, les Drakoniens conservaient en mémoire chaque nom prononcé par les passeurs. Les conteurs existaient pour cette raison précise : on pouvait toujours déchirer un livre, mais la mémoire des adeptes de la prophétesse, elle, ne faiblirait jamais.
Ces voyageurs traversant un monde à l'autre, ouvrant des brèches fragiles entre deux temporalités qui n'auraient jamais dû se rencontrer.
Et alors un jour, les originels arrivèrent par la mer. Des épaves de la dynastie mongole, égarées sur la route de la soie, accostèrent sur les berges d'une ville qu'ils nommeraient : Saurium. Bientôt suivies par des navires européens. Mais cette terre mit rapidement fin à la domination mongole, nivelant chaque homme, militaire, commerçant ou simple voyageur, sur le même pied d'égalité : tous n'étaient plus que des proies.
La terre de Saurium ne tolérait aucune autorité humaine. Les premiers arrivants furent rapidement confrontés à une réalité implacable. Les dinosaures, des créatures titanesques et préhistoriques, régnaient en maîtres sur ce territoire hostile.
Pour survivre, les rescapés se réfugièrent dans les grottes côtières, utilisant la topographie du terrain pour échapper aux regards voraces des dinosaures. Les grottes offraient un abri naturel, une protection temporaire contre les créatures qui rôdaient à l'extérieur.
Les passeurs comprirent rapidement que Saurium était un endroit unique, où le temps et l'évolution avaient suivi des chemins différents, la première ville de ce nouveau continent. Les grottes devinrent alors des passages, des sanctuaires éphémères pour échapper aux mâchoires aiguisées.Chaque incursion hors des grottes était une confrontation avec l'inconnu, avec des bêtes préhistoriques auxquelles l'humanité n'était pas préparée. La survie dépendait de la ruse, de la coopération, et parfois de la chance : Peu à peu, des dieux émergèrent, d'une nature reptilienne. Si les offrandes avaient le pouvoir d'apaiser la fureur des grands prédateurs de ce monde, les prières, quant à elles, demeuraient impuissantes à changer le cours des choses. Les passeurs, devenus les gardiens du savoir sur Saurium, transmettaient des légendes et des techniques de survie, forgeant ainsi une nouvelle identité parmi les souterrains sombres et les rugissements du monde extérieur.
Ils aspiraient à retrouver un jour leur patrie qu'ils voyaient évoluer à travers les dires des nouveaux passeurs devenu de plus en plus rare. Mais au fil des générations, la notion de foyer s'amenuisait. Les anciens, soucieux de préserver leur histoire, commencèrent à consigner chaque souvenir, ainsi que ceux des futurs passeurs naufragés.
Au cœur de Saurium, terre des temps anciens,
Les passeurs bravèrent les océans incertains.
Des épaves, leurs navires,
Leur destin s'entrelaçait, dans ce monde qui se tient.
Les grottes devinrent refuge, sanctuaires cachés,
Où les hommes trouvèrent un abri protégé.
Les dinosaures, rois d'une ère lointaine,
Forçaient l'humanité à une lutte sans chaîne.
Exilés sans patrie, à rêver du retour,
Mais la notion de maison s'étiolait chaque jour.
Les anciens gravaient les souvenirs sur les feuilles et les pierres,
Les légendes des passeurs, une mémoire à faire.
Des dieux reptiliens surgirent, majestueux,
Offrandes pour calmer, dans l'ombre des lieux.
Saurium, terre des défis, de l'infini voyage.
Le temps, tissu fragile, dans leur mémoire,
Les passeurs écrivent l'épopée, leur histoire.
Dans les grottes, l'ombre danse avec la lumière,
Ballade des passeurs, échos d'une terre première.