BOURREAU DES COEURS - TOME 2

CHAPITRE 17 - Isabella

Le tempo envahit l'espace et menace de nous entraîner dans une spirale infernale indestructible. Une main sur ma hanche, l'autre tenant fermement une des miennes, nous attendons que notre professeur nous laisse nous laisser porter par la musique. Victor plonge son regard boisé dans le mien. Le battement de nos coeurs s'accorde progressivement, quand tout à coup, Dan nous donne le feu vert :

— Et 3... 4... Go !

Ses bras tendus s'abaissent devant lui pour nous donner le départ. Le monde apparaît soudainement comme terne tout autour de nous, uniquement coloré par nos pas de danse. Nous bougeons comme au rythme des vagues dans un océan tourmenté, sous l'œil expert de Dan, qui claque des doigts pour donner l'allure en continuant de nous toiser continuellement.

Dans la Dark Room qui n'offrait jadis que des teintes sombres du sol au plafond, le parquet sous la moquette rouge devient comme le pont d'un bateau, valsant, dansant, se trémoussant. Lorsque Victor me fait tourner sur moi-même, j'ai presque l'impression de me laisser pousser des ailes et de m'envoler pour planer dans les airs.

­— Sois plus souple au niveau des bras ! Ordonne alors la voix gutturale de Dan au jeune homme. Garde de la fluidité dans tes mouvements !

Les bras croisés, il s'assied maintenant sur le canapé en cuir, et admire nos pas de danse endiablés en respirant profondément. D'un claquement de doigt léger contre sa poitrine, il suit le rythme à la lettre, observant nos mouvements dans le moindre détail.

— Plus tendue, la jambe ! Me conseille-t-il. Et courbe le dos, Isabella !

Dan se lève d'un bond et, au moment où nous passons devant lui, il se colle contre moi pour me montrer le mouvement. Son torse collé au mien me fait l'effet de courants électriques qui me tueraient presque. Il tire sur mes épaules et me force à le suivre, au rythme de Victor, qui mène la danse. Ma nuque effectue plusieurs mouvements rotatifs, envahissant alors le visage de Dan avec mes longs cheveux.

— Voilà ! Maintenant, en arrière ! Laisse-le te guider, voilà, oui, c'est parfait !

Mes hanches doivent être mobiles, libres. Alors, Dan descend ses mains et roule des hanches en rythme, forçant mon corps à le suivre. Son entrejambe robuste frotte contre le bas de mon dos. Or, il n'y a plus rien de sexuel dans nos ondulations incessantes. Il n'y a que la grâce, la passion, et la sensualité.

— Développe bien tes mouvements, Victor ! En profite l'homme.

KKKKSHHHHHH !

— AIE ! Hurlé-je en reprenant mes esprits.

Lorsque j'ouvre les yeux, Dan se tient devant moi, le bras en arrière. Toutes les images qui attestaient de ma folie disparaissent rapidement, en me laissant chuter dans notre monde, entre ces quatre murs témoins de mes hurlements et de ma douleur. Ma joue me brûle. J'aurais aimé y porter une main pour me soulager avec ma peau froide, mais je suis encore attachée, contre cette croix épouvantable en bois rude qui me cisaille le dos.

— T'en veux une deuxième pour te remettre les idées en place ?! Me menace mon bourreau en rapprochant une nouvelle fois son énorme paume de mon visage.

Les picotements dans ma joue droite m'indiquent que la teinte de mon épiderme doit certainement être vermeille à l'heure qu'il est. Peut-être même violacée. La violence du coup était telle que je ne sais pas vraiment si je suis consciente ou encore à moitié dans les vapes.

Tout à coup, un léger goût de fer envahit ma bouche. Je me passe la langue sur les lèvres et constate que ma lippe inférieure est légèrement ouverte. Dan approche et, sans crier gare, saisit mon menton entre ses doigts et sort sa langue visqueuse pour lécher la goutte d'hémoglobine qui macule ma peau humide. J'ai honte de me l'avouer, mais cette chaleur qu'il répand sur ma peau crée des courants électriques entre mes cuisses.