Chapitre 3 : Les Pierres de Sang (Partie 1)

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« Son corps était esclave mais pas son cœur. Son maitre pensait avoir dompté les deux, cela se retournerait bientôt contre lui »

Extrait de la Traite œuvre d'un Sachant

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Seis se réveilla à nouveau en sursaut. Cela faisait maintenant une semaine que le jeune homme avait débuté sa nouvelle vie dans les mines de Rita. Sept jours, sept nuits et sept fois le même cauchemar horrible. Il avait choisi un nouveau nom pour avoir un nouveau destin, mais pour l'instant, son passé venait le hanter toutes les nuits. En face de lui, Babeth levait les bras vers le ciel invisible et s'étirait. Dormir dans le sous-sol de Rita n'était pas une promenade de santé. 3407 lui tendit un gobelet en bois. Ils avaient le droit de garder un peu d'eau tous les soirs avant de retourner dans leurs cellules. La lumière de la lampe à mana n'était pas allumée. Cela voulait dire qu'il n'était pas encore l'heure de travailler. La lueur artificielle était le seul indicateur du temps qui passait à l'extérieur. Sans elle, ils n'auraient eu aucune idée de quel moment de la journée il était.

Il avait commencé à se rapprocher de ses colocataires de fortune. 3407 agissait comme une garde du corps pour les trois autres membres du dortoir. Sa grande taille, son visage effrayant et son mutisme l'avaient fait connaitre dans toute la prison. Personne n'avait envie de se frotter à elle. Cela amusait le Vieux Lou qui se permettait des bons mots et des provocations même aux gardiens, car ces derniers préféraient aussi se tenir éloignés de la grande muette. Seis trouvait amusant le contraste entre son image et la réalité qu'il avait vécue. Pour lui, 3407 était comme une grande sœur protectrice, elle venait toujours l'aider à porter les charges lourdes, lui donner de l'eau, lui toucher le bras lorsqu'il tremblait, elle lui donnait un morceau de son pain quotidien qu'il refusait tous les jours pour le donner à Babeth. Son visage peu attractif et sa moue renfrognée lui étaient devenus sympathiques.

Comme à son habitude, le Vieux Lou ronflait. L'homme n'était en fait pas si âgé, il avait à peine la quarantaine. La grisaille et les rides semblaient indiquer un plus grand âge. Lou avait eu une vie privilégiée avant de finir en prison dans le royaume de Burr. L'éminent personnage était, selon ses propres paroles, un savant de Balagad. Seis ne connaissait pas du tout ce pays avant de rencontrer le vieux Lou. Balagad se trouvait dans le grand désert au Sud d'Albion. L'enfant aimait écouter le lettré déclamer avec ferveur ces longs discours. Cela le détournait de ses pensées habituelles, des fantasmes macabres à propos du meurtre de son ennemi juré, le Comte Henri. Cependant, le Vieux Lou aimait autant parler qu'il détestait manier sa pioche. Il donnait constamment du travail en plus à 3407 qui devait alors redoubler d'efforts pour que leur dortoir dans son ensemble atteigne son quota quotidien. L'homme à la peau d'ébène n'en éprouvait aucune honte, il se vantait même parfois auprès des autres prisonniers. Il avait souvent constaté les regards désapprobateurs de Babeth, et lui avait juste ri au nez. Il justifiait ainsi tous les jours par la même exclamation. « Huspah ». Exécrée, la jeune rouquine l'avait alpagué :

- C'est quoi la Huspah ?

- Merci de me le demander. Pas Humchat, ça c'est de la nourriture, très bonne d'ailleurs. Je disais la Huspah. La Huspah est un concept de Balagad qui dit que dans la vie, il faut faire preuve d'audace extrême en toute circonstance. Qu'il faut sans honte, toujours essayer de tirer le maximum de chaque situation et qu'il faut avoir confiance en soi.

- Dans ton cas, ça ressemble plus à être un profiteur sans aucune morale, avait alors décoché Seis qui lui aussi n'aimait pas ce point chez le Vieux Lou.

- Ah tu parles comme les traditionalistes alors que tu es si jeune. Les anciens Balagadiens partagent ta vision et trouvent cela négatif, proche de l'insolence et de l'opportunisme. Mais chez les jeunes que nous sommes, la Huspah c'est le courage, c'est l'ardeur de ne pas craindre les conséquences pour obtenir les meilleures conditions pour soi-même.

Seis: Les Ruines du VentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant