Chapitre 18

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4 septembre 2015La soirée n’aura servi à rien

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4 septembre 2015
La soirée n’aura servi à rien. Charles n’a pas voulu m’adresser un mot. Il s’est empiffré comme un cochon, alors que moi je n’ai rien pu avaler, entre lui et la nourriture, j’étais dégoutée. Depuis notre repas, il n’est pas revenu nous voir. Ni lui, ni Mathis, ni personne. Ce silence est bizarre. D’habitude, il ne se passe pas un jour sans qu’il ne vienne. Pas que je le réclame, mais ça m’inquiète un peu. J’ai peur du contrecoup, de cette retenue qui va éclater.
— Constance ?
La voix lourde de Joan me transperce et me ramène à ses côtés. Pour une fois, il semble détendu, ses traits sont moins crispés et son corps.
— T’aimes la musique ? En dehors de Phil Collins, je veux dire ?
Il m’adresse un beau sourire. Je suis particulièrement touchée qu’il garde en mémoire ma chanson.
— Si je te dis que je vis avec mes écouteurs sur les oreilles, ça répond à ta question ?
Il acquiesce et semble ravi par ma confession.
— Et toi ? Enfin je veux dire que je sais que la musique, c’est ta passion, mais est-ce que tu as un style préféré ou un artiste que tu adores ?
Il me fixe et réfléchit. Les secondes s’écoulent sans bruit.
— C’est difficile de choisir. Je n’aime pas me limiter à un genre musical, j’ai un véritable besoin de m’enrichir de tout ce qui m’entoure, de vibrer sur différents tempos ou rythmes. Et toi ?
Hors de question de répondre la vérité. J’ai trop honte de lui avouer que je suis une de ces groupies prêtes à assister à tous les concerts. Je cherche tant bien que mal une réponse à lui donner, mais je ne trouve pas.
— J’ai l’impression que tu n’oses pas me le dire… Tu sais je ne te jugerais pas. Si tu aimes les One Direction, Slipknot ou Johnny Hallyday, c’est bien que quelque chose te touche dans leur musique.
Je m’imagine en train d’écouter notre rockeur national et pouffe de rire. J’ai beau être très ouverte cela n’arrivera pas.
— Non, je suis bien plus classique que ça… Je suis fan de Ed Sheeran, avoué-je, gênée. Je trouve que c’est un artiste complet, pour moi c’est un des meilleurs auteurs-compositeurs qui existe. J’aime sa voix, ses textes, ses mélodies. Quand il chante, ça me transporte ailleurs…
J’ai certainement l’air d’une ado prépubère qui fantasme sur un mec mignon, mais ce n’est même pas le cas. Je suis tout bonnement en admiration devant son talent et sa simplicité.
— Tu as raison, il est vraiment brillant, c’est un génie de la musique. Tu as pu le voir en concert ? me questionne-t-il sans jugement.
Je me souviens des trois spectacles auxquels j’ai pu assister. Si pour le premier j’étais à peine majeure et surtout totalement surprise par la foule ; pour les deux autres, j’ai réellement pu profiter à fond. C’était fou de voir à quel point le public était en osmose avec lui.
— Oui j’y suis allée en novembre 2014, en avril 2017 et en juillet 2018 à chaque fois à Paris. C’était magique ! On n’était pas seulement une bande de gamines en transe, c’était juste un moment hors du temps.
Je me perds dans mes souvenirs et me rappelle cette sensation que j’avais pu ressentir au moment du concert. Les premières notes de Thinkin out loud me reviennent en mémoire. Je ferme les paupières et me laisse emporter. Mes doigts battent le tempo et j’ai l’impression d’être de retour de ma chambre. Je m’accorde quelques secondes hors de ce lieu.
— Loving can hurt, loving can hurt sometimes
Joan se met à chantonner et j’ouvre immédiatement les yeux. Je reconnais les premiers mots de la chanson. Je suis touchée par ce geste. Je l’écoute attentivement et lui offre un sourire rempli de gratitude.
— But it’s the only thing that I know
When it gets hard, you know it can get hard sometimes
It is the only thing makes us feel alive…
Sa voix douce m’apaise et je reste là, à savourer ce moment. Il enchaîne quelques morceaux et je le remercie de m’offrir ce cadeau.
Assis sur notre matelas, calé contre le mur, j’essaie de fermer les yeux. Charles me torture sur le plan psychologique, mais avec Joan, il déverse sa rage. Je suis inquiète, car la dernière fois que nous l’avons vu, il s’est montré plutôt calme avec moi. Je ne sais pas quel programme tordu il est encore en train de manigancer, mais je crains le pire.
Malheureusement mon ventre me rappelle subitement à l’ordre et je n’arrive pas à songer à autre chose qu’à la faim qui me tiraille.
— Repose-toi, ça va aller… murmure-t-il en se rapprochant de moi.
Je décide de poser ma tête sur son épaule et de me coller contre lui. Il cale son oreille sur le haut de mon crâne et je me sens immédiatement enfermée dans une bulle. Je profite de cet instant de tendresse inavoué et décide de me détendre. Je ne sais pas combien de temps cette accalmie peut durer alors je prends tout ce que Joan peut me donner…
Le bruit sourd nous réveille. La lame du parquet qui grince nous fait tout de suite frissonner. Le répit vient de se terminer et notre situation nous éclate au visage. Mon regard se perd dans celui de Joan. J’essaie de m’accrocher, de ne pas paniquer, mais ça me broie le bide. Je comprends que je n’ai plus simplement peur pour moi, mais j’angoisse pour lui. Ses doigts s’entremêlent aux miens. Je serre ma paume contre la sienne. Je ne veux pas le lâcher. Le battant s’ouvre et se claque violemment sur le mur. Je crois qu’aussi bien lui que moi savons très bien que ce n’est pas Mathis qui se présente à nous. Ce regard hautain et ce sourire carnassier nous assènent le coup de massue.
— Ah comme je suis heureux de vous voir, savoure-t-il en se frottant les mains. J’espère que vous avez profité de ces journées d’accalmie. J’ai hâte de pouvoir profiter de toi ma Constance, mais avant c’est ton tour.
Il désigne Joan et affiche un rictus à faire pâlir tout être humain normalement constitué. Je n’aime pas la façon dont il regarde mon compagnon. J’ai peur pour lui, je sais qu’il ne lui épargne aucune violence physique. J’imagine déjà Joan revenir le visage en sang, le corps immaculé de bleus. Cette pensée me donne la nausée. Je ne veux pas qu’il lui fasse de mal.
— Prends-moi, s’il te plaît, tenté-je.
Je ne sais pas quelle idée suicidaire me pousse à me désigner, mais je ne veux pas laisser Joan y aller. J’ai un mauvais pressentiment.
— C’est délicieux de t’entendre me supplier, mais ce n’est pas ton jour ma douce.
Je me place devant Joan même si je sais que c’est peine perdue. Mon partenaire tente de m’en empêcher, mais je ne veux pas céder. Il ne peut pas y aller. Seulement, je n’ai pas le temps de faire face à Charles que je sens le canon froid se coller contre ma tempe.
— Je n’aime pas me répéter et gâcher mon énergie à des fins inutiles.
Joan se lève et le rejoint sans broncher. J’ai envie de hurler ma colère au monde, mais je sais que cela peut avoir des conséquences terribles. Alors je me tais lâchement, lamentablement. Et je le regarde me donner un dernier coup d’œil avant de quitter la pièce.
Je n’ai pas bougé, je n’y arrive pas. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé, mais c’est interminable. La petite clarté qui traverse salle commence à faiblir. C’est le signe que les heures s’accumulent et qu’il aurait dû être de retour. Un cri strident me provient et mon cœur semble s’arrêter.
Mon cerveau imagine le pire. Et s’il ne revenait pas ? Si Charles le tuait ? Ma poitrine se comprime. Ma gorge se serre. Je ne veux pas le perdre. Les larmes commencent à monter et je réalise mon attachement pour lui. Il est devenu mon tout. Celui qui m’écoute, qui me console, qui me rebooste, qui me réchauffe, qui m’aide à espérer. Il est ma lumière dans ce bordel. J’ai l’impression qu’on m’enfonce un couteau dans le ventre. Je veux qu’il revienne. Inconsciemment, je fais la première chose qui me vient en tête, celle que faisait chaque jour ma grand-mère.
— Notre père, je sais que ce n’est pas dans mes habitudes, mais je t’en supplie, ramène-le moi. La vie de cet homme ne peut pas s’arrêter ici. Entends ma prière et exauce ma demande.
Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal.
Amen.
Je joins mes mains et ferme les yeux. Je la récite plusieurs fois. J’ai espoir que cela fonctionne.
Il faut qu’il revienne, je ne peux pas le perdre, c’est inenvisageable. J’ai besoin de lui à mes côtés.
Couchée sur le matelas, j’ai l’impression d’entendre cette lame de parquet, celle qui indique qu’il arrive.
Soudainement la porte claque et je réalise que Joan est enfin de retour. Je me retourne et le vois semi-allongé par terre. Je me relève et me dirige vers lui. Il est là devant moi, c’est inespéré. Sans attendre, je me baisse à sa hauteur.
Son visage est marqué de bleus et son torse semble lacéré. J’aimerais pouvoir le soigner, mais je n’ai rien pour. Je suis complètement démunie. J’observe avec minutie chaque trait et constate les dégâts. C’est plus fort que moi, les larmes montent et je retiens un sanglot.
— Ça va aller, ne t’inquiète pas, murmure-t-il difficilement.
Comment peut-il encore tenter de me rassurer alors qu’il est en si mauvais état ? J’oscille entre la tristesse et l’envie de tout défoncer. Si seulement j’avais pu trouver une issue ou une solution pour lui échapper. Mais nous sommes là, enfermés et torturés.
J’essaie de le soulever tant bien que mal pour l’installer sur le matelas. Il émet un grognement, mais avance jusqu’à ce qui nous sert de lit. Il se pose dessus et se roule en boule.
Les dégâts sont pires que ce que je pensais. J’essaie de ne pas m’affoler, mais je ne sais clairement pas comment faire pour le soigner. Il faut que je demande à Mathis. Il est l’unique personne ici qui peut m’aider. Je me lève, frappe à la porte et tente le tout pour le tout.
— Mathis ! Mathis ! S’il te plaît j’ai besoin que tu m’aides. Je veux juste des pansements. Mathis !
J’ai conscience que j’ai une chance sur trois pour que ce soit lui qui entende mon appel au secours, mais je dois le tenter.
— Mathis !
Je ne veux pas crier pour ne pas risquer la colère de Charles, mais j’espère de tout mon être, être entendue.
Le temps passe et je suis toujours seule avec Joan. Positionnée au-dessus de lui, je dégage une mèche de sa tempe et caresse doucement sa pommette. A défaut de pouvoir le guérir, je veux lui montrer mon soutien. Ses paupières s’ouvrent lentement. Ses yeux bleus rencontrent les miens et j’ai la soudaine sensation d’être mise à nue. Il transperce mon âme et semble me découvrir entièrement, sans compromis, sans masque.
Il se redresse douloureusement et me fait face. Il porte sa main à mon visage et frôle ma peau. Son front se colle au mien.
— J’ai cru que c’était fini, chuchote-t-il.
Ses doigts se faufilent sur ma nuque et dans une douceur nouvelle, ses lèvres se posent sur les miennes.
Je suis à la fois surprise et pourtant soulagée. Comme si ce contact si naturel, je l’avais attendu depuis notre rencontre. Je bouge à son rythme et me laisse faire. Je ne veux pas que cette bulle éclate. C’est un mélange de tendresse et d'un besoin vital. Ce baiser est magique, il est comme une bouffée d’oxygène. Je respire à nouveau. Mais au bout de ce qu’il me semble être bien trop court, il s’arrête et se détache.
— Pardon, je ne voulais pas te fort —
Je ne laisse pas finir et pose de nouveau ma bouche sur la sienne. Je sais que c’est surréaliste au vu de notre situation, mais il est devenu mon pilier, mon ancre, mon repère. Mon sang pulse à tout rompre et je réalise que le lien qui nous unit va au-delà de ces murs.
Mes mains se posent sur ses joues et je me laisse guider. Mon cœur va finir par exploser et c’est la première fois depuis mon arrivée que je me sens heureuse.
Le souffle commence à lui manquer et je finis par rompre le contact. Je remarque qu’il faiblit et l’aide à se rallonger. Je prends place à ses côtés en veillant à ne pas lui faire de mal.
— Merci, Constance, merci pour tout…
C’est à moi de le remercier, parce que sans lui, j’aurais sûrement abandonné…

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