Chapitre 24

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24 septembreJe ne cesse de repenser aux mots de Joan : c’est toi

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24 septembre
Je ne cesse de repenser aux mots de Joan : c’est toi. Toi, ma motivation, toi qui a redonné du sens à ma lutte. Toi qui m’as convaincu de ne pas abandonner.
S’il savait comme lui vient de me donner une dose de douceur et d’amour. Je sais que c’est étrange que ce ne soit ni le lieu ni le moment, mais je crois que je suis en train de tomber réellement amoureuse. Il est bienveillant, tendre, attentionné, courageux. J’ai envie de me dire que c’est dans ce genre d’instant qu’on découvre la vraie nature d’un homme. Et j’aime ce que je vois. Je me tourne sur le côté pour mieux l’observer. Une légère gêne physique m’arrache une grimace.
Le massage de Joan m’a fait beaucoup de bien, mais mon corps me commence à ressentir les différentes épreuves. Je m’apprête à le réveiller lorsque mon ventre se met à grogner fortement. Mon Dieu, j’ai honte.
— Dis-lui de ne pas me manger s’il te plaît, sourit-il les yeux encore fermés.
— Je ne garantis rien, répondé-je, en rentrant dans son jeu.
Sa main tâtonne ma place et il finit par attraper mon avant-bras pour m’attirer contre lui. Blottie contre lui, je savoure la tendresse qu’il m’offre. Je me colle à lui et pousse un petit cri quand mon bassin rencontre d’un peu trop près le sien. Je n’ose plus bouger, je ne sais plus où me mettre.
— Désolé Constance, je reste un homme… Et ce réflexe continue de fonctionner parfois, malgré la situation.
Je hoche la tête, bien trop gênée par cette nouvelle proximité. Lui au contraire ne semble pas du tout mal à l’aise. Ça se trouve c’est un tombeur, un collectionneur de femmes. À vrai dire, je ne sais pas grand-chose. Nous avons eu des conversations sur plein de sujets variés, mais nous n’avons jamais évoqué cela. Il a peut-être quarante ans, il est marié, père de quatre enfants. Ou il a trente ans, a enchaîné des dizaines de conquêtes et je ne suis qu’une de plus. Une boule se forme au fond de ma gorge. Je ne veux pas qu’il soit un autre Quentin, je crois que ça m’achèverait. J’ai besoin de savoir, curiosité quand tu nous tiens.
— Joan, faut que je te demande quelque chose, enfin plusieurs choses…
Il acquiesce dans mon dos tandis que mes doigts trouvent un soudain intérêt pour le bas de ma robe. J’ai peur de ses aveux.
— Tu as quel âge ? Tu as beaucoup de partenaires ? D’ailleurs, est-ce que tu as une petite amie ? Ou tu es peut-être marié ? Est-ce que tu —
Il me coupe dans mon élan, me sert contre lui et dépose un baiser dans ma nuque. Je sais que c’est aussi sa façon de me rassurer, mais j’ai besoin de plus, il me faut des réponses.
— J’ai vingt-quatre ans, je les ai eus ici en août. Je ne suis ni fiancé, ni marié, ni père de famille. Ma précédente véritable histoire d’amour date de Mars dernier. J’ai eu quelques relations, mais je ne les collectionne pas, c’est pas ce que je préfère, répond-il avant de marquer une pause. Constance, toi et moi, c’est différent. Ça ne s’explique pas. T’es arrivée dans cet enfer avec ton innocence, ta combativité et ce sourire magnifique. Depuis ma rupture, j’avais clairement repoussé toute rencontre et toi tu débarques et tu dévastes tout.
Ces mots sont absolument parfaits. Il vient de me toucher en plein cœur. Si Quentin l’avait détruit, il vient de le reconstruire. J’essaie de ne pas m’emballer, mais je réalise la portée de sa confession. Mon corps finit par se détendre et je retrouve ce sentiment de bien-être quand je suis dans ses bras. On vit une histoire folle à cause d’un psychopathe… Tout cela est digne d’une série criminelle.
— Constance, quand on sortira j’ai —
— Si on sort, chuchoté-je à demi-mots.
— Il le faut parce que j’ai vraiment envie de plus avec toi.
Il aimerait plus… Nos doigts s’entrelacent et mon organe vital se met à battre à toute vitesse. Il envisage un avenir avec moi, c’est tellement invraisemblable. J’essaie d’imaginer ce à quoi on pourrait ressembler dans la vie réelle. Soudainement, cette pensée me replonge dans mes songes. On sortait indemne d’ici et on entamait une relation sérieuse. C’est absolument idéaliste, mais après sa déclaration, j’ai envie d’y croire à nouveau. Il faut que je lui dise, il faut qu’on tente le coup.
— Tu sais que cette nuit, j’ai rêvé qu’on s’échappait. Il faut qu’on sorte de cet endroit. On mérite mieux.
Il me demande si j’ai une idée et je lui expose mon plan. Je ne vois que ça. Mais avant, on doit pouvoir prendre un semblant de force autrement qu’en étant piqué par je ne sais quelle autre personnalité tarée de Charles. Je soulève le coin de notre matelas et sors les deux boîtes de thon et un paquet de biscuits. Nous décidons de manger suffisamment, car il faut que nous soyons au meilleur de nos capacités.
Sans attendre, chacun dévore son repas. On est bien loin du quatre étoiles pourtant cela fait vraiment du bien. Je m’éclipse au fond de la salle, enlève mon soutien-gorge et tente tant bien que mal de retirer la baleine. Une fois le tissu déchiré, j’attrape le morceau de métal et le casse en deux. Je les camoufle dans mon sous-vêtement. Cela doit être facilement accessible et efficace.
On répète nos rôles et on croise les doigts pour que tout se passe bien. Je me rallonge contre lui et dépose un baiser sur sa joue. Notre plan tient à beaucoup trop de détails, mais nous n’avons pas le choix. Il faut espérer que ce soit Charles ou Mathis et qu’il vienne pour moi. J’ai intérêt à être réactive.
Le temps défile et le bruit en bas commence à être de plus en plus présent. Cela signifie qu’il est réveillé et qu’il ne va pas tarder. En plus d’un mois, j’ai fini par repérer certains sons, mais aussi ce qu’ils impliquent. Je sais que lorsqu’il fait autant de vacarme c’est qu’il se prépare. Le bois craque, la lame du parquet grince. C’est maintenant. Je fais le décompte et l’embrasse une dernière fois avant de m’écarter.
— Bonjour ! lance-t-il en ouvrant le battant.
Il semble de bien trop bonne humeur. J’ouvre les yeux, mais ne bouge pas pourtant intérieurement je prie pour qu’il vienne vers moi et me prenne. Je le fixe en espérant attirer son attention et au vu de son attitude, je crois que j’ai réussi.
— Allez ma douce, aujourd’hui on va retenter une nouvelle expérience. J’ai hâte je suis sur qu’elle va te plaire.
J’essaie de faire semblant de ne pas me réjouir. Joan tente de se rebeller, mais il n’insiste pas plus que ça. Charles attrape mon bras et m’attire contre lui. J’adresse un dernier regard à Joan avant de lui tourner le dos et de suivre notre bourreau.
Alors qu’il ouvre enfin la porte, je saisis la baleine de mon soutif que j’avais caché contre ma poitrine et porte un coup à sa gorge. La réaction est immédiate, il saigne et me lâche. C’est le signal. Joan se lève, lui assène un coup de genou dans le ventre et un crochet à la joue. Je saisis sa main et nous courrons dans le couloir. Le bruit de nos pas est accompagné par le craquement des lattes et les grognements de Charles. Je me souviens parfaitement du trajet pour aller au rez-de-chaussée. Je guide Joan qui souffre encore de son précédent passage à tabac. J’ouvre le battant en bois et descends les marches quatre à quatre.
Je ne lâche pas mon partenaire hors de question de le laisser en route, c’est nous deux ou rien.
Nous arrivons dans la pièce de vie. Rien n’a changé depuis ma dernière visite, tout est exactement à la même place.
J’indique deux portes à Joan et me dirige vers les deux autres. Je le vois contourner le canapé et ouvrir la première. Déception ce sont les toilettes. Je prends la suivante et découvre la salle de bain. La troisième s’avère être une chambre. Je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur notre sort. Je prie seulement pour que cette qui reste soit la bonne, j’actionne la poignée et elle donne accès à un vestibule. Le Graal se trouve devant nous. Mais lorsque je m’approche, je comprends bien vite que ça ne sera pas aussi simple. Sur le battant en bois, il y a deux verrous. Joan tente de taper dans la porte, mais rien n’y fait. Il saisit le porte-manteau métallique sur pied et tente de faire sauter les cadenas. Voyant la difficulté, je tente de l’aider. Celui du haut, déjà abîmé, casse facilement, mais celui du bas résiste. Je grogne, on ne peut pas avoir fait tout ça pour des prunes. Je refuse. Je donne tout. Je tire de toutes mes forces. Il finit par claquer. J’ai juste le temps de regarder Joan sourire qu’il est violemment tiré en arrière. Tout se passe si vite. Charles, en sang, la main sur sa plaie, pointe le canon de son pistolet sur sa tempe. Le monde s’arrête. La rage dans ses yeux me terrifie. Je ne veux pas qu’il lui fasse du mal. Je suis tétanisée. Je sais que nous allons le payer très cher et j’ai peur pour Joan.
— Je t’en supplie, Charles, ne lui fais pas de m —
— Ta gueule, salope !
Sa froideur me coupe le souffle. Il a toujours gardé une maîtrise, mais je sais que nous avons dépassé les limites. Aucun de nous n’ose bouger. Le temps s’éternise et j’ai l’impression que je vais finir par craquer. L’angoisse me paralyse. Je suis clouée sur place.
— Remonte !
Je n’ai pas d’autre choix que d’obéir. La colère dans son regard m’indique que si je ne me dépêche pas, Joan le paiera. Je suis dévastée que notre plan ait échoué. Je jette un dernier coup d’œil vers la porte et fais demi-tour. Je retourne dans le salon, contourne le canapé et emprunte les escaliers. Mes yeux se posent sur un calendrier affiché : 21 septembre, plus d’un mois de captivité. Une boule commence à se former au creux de ma gorge. Tout espoir s’éteint, toute chance de se barrer s’évapore, tout s’écroule. Ce n’est pas possible, ça ne peut pas se finir ainsi. Je n’ose même pas regarder mon bourreau. J’essuie rapidement la traîtresse qui s’est faufilée sur ma joue. Je ne veux pas lui faire ce bonheur. Je ne veux pas qu’il sache ma douleur. Je ne le laisserai pas gagner. Une fois en haut, j’ai du mal à retourner dans notre antre, mais je sais qu’il n’y a pas d’autres issues. Au sol, j’aperçois encore les traces de ma rébellion. J’ai à peine le temps de rentrer dans la pièce que Charles pousse Joan et m’attrape par le bras.
— T’as voulu faire la maligne ? Sois prête à le payer !
Il verrouille notre porte et me trimballe jusqu’à la salle de l’enfer. Je n’ai même pas pu vérifier l’état de mon compagnon de torture. Je pars la boule au bide pas seulement pour moi, mais aussi pour Joan.
Ses phalanges entourent mon coude et me font entrer de force dans le local. Il m’installe sur la chaise et me ligote fermement. Je sais que je vais devoir affronter sa fureur et le premier coup ne se fait pas attendre.
Je reçois une gifle si violente que je manque de tomber. Mon corps vacille et je sens une vive douleur au niveau de la bouche. Un goût métallique se propage sur ma langue et je comprends que je me suis ouvert la lèvre. Je lève le regard et croise le sien. Je saisis que ce n’est que le début d’une longue série. Sa main s’élève dans les airs et il m’en assène une deuxième. Je serre les dents et tente de ne rien montrer, mais c’est dur. Il fait les cent pas, c’est un lion en cage. Lorsqu’il se retourne une nouvelle fois vers moi, je sens que je ne vais pas pouvoir tenir longtemps. En effet, la troisième me fait tomber et mon crâne rencontre le sol poussiéreux.
— Tu vas regretter d’avoir voulu te rebeller !
Son pied rencontre mon abdomen et je ne peux plus me contenir. Je pousse un hurlement de douleur. Il se déchaîne sur moi et je regrette amèrement notre évasion. Les coups pleuvent et malheureusement je suis clouée par terre sans possibilité de bouger. J’ai l’impression de déconnecter mon cerveau et de me détacher de ce corps endolori.
— Vous n’allez pas vous en sortir comme ça !
Il quitte la pièce et le bruit de ses pas s’éloigne. Je secoue la tête et tente de reprendre mes esprits. Ma lèvre et ma pommette me font souffrir, mais le pire ce sont les côtes. J’ai la sensation qu’à chaque respiration, on me casse un os. J’entends un gros tapage à l’autre bout du couloir. J’espère qu’il ne s’en prend pas à Joan. J’angoisse pour lui. J’ai à peine le temps de comprendre ce qu’il peut se passer que notre bourreau débarque avec une chaise dans la main et mon partenaire dans l’autre. Il a un pansement fait à la va-vite sur sa blessure.
— Et si on testait vos limites ? Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour vous sauver ?
J’angoisse de voir la haine que nous avons réveillée. J’ai peur de ce qu’il va nous faire subir. Je suis tétanisée par la simple idée de perdre Joan. Je crois que c’est le début de la fin…

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant