Chapitre 15

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15 décembre 2020

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15 décembre 2020

Ses cheveux étalés sur le lit forment un halo de lumière autour d’elle. Ce spectacle est magnifique à voir. En position fœtale, ses poings serrés l’un contre l’autre, on dirait une enfant. Endormie, elle semble si paisible, si loin du quotidien. Je rêve de plonger mes doigts dans ce champ de blé, de les caresser, de sentir la douceur de ses mèches. J’aime ces ondulations qui lui donnent ce charme naturel. Elle ressemble à un ange, un délicieux ange venu me sauver. Je décide de céder à ma pulsion. Ma main se lève dans les airs et s’apprête enfin à effleurer sa joue, comme une envie inassouvie depuis bien trop longtemps. Soudainement, j’entends la lame du parquet craquer, il va arriver, je le sais. Mon palpitant tambourine dans ma poitrine et la porte s’ouvre à la volée.

Je me réveille en sursaut, couvert de sueur. Je mets quelques minutes à réaliser que je suis bien dans ma chambre. Mon cœur est prêt à sortir de ma cage thoracique, mon sang pulse dans mes veines. Mes pupilles se déplacent de droite à gauche, il faut que je me raccroche à la réalité. Je fixe tous les meubles, tous les cadres, tout ce qui me paraît familier et sécurisant. Tout est à sa place, je suis chez moi. Je tourne le visage et constate amèrement que la blonde qui se tient à mes côtés n’est pas celle que j’aime. Comme un déchirement, une séparation, cela me broie le ventre. Les images de mon cauchemar tournent en boucle dans ma tête, ne me laissant aucun répit. Je vais exploser à rester ainsi dans le noir alors sans attendre, je me lève doucement en essayant de ne pas réveiller Justine qui a de nouveau rejoint mon lit depuis deux semaines. J’enfile mon bas à la va-vite et sors à pas de loup. Arrivé dans le couloir, je respire enfin. Je suis vraiment dans mon appartement, ce n’était qu’un mauvais rêve. J’avance jusqu’au salon, fonce vers mon bureau et extirpe de sa cachette le fameux dossier et mon ordinateur. J’expire un grand coup. Je n’ai pas réussi à me remettre à mes explorations depuis dix jours. Après mon échec au travail, j’ai passé la nuit à cauchemarder, si bien que Justine avait dû se lever et venir me réveiller. Allongé dans le canapé, j’avais mis du temps à comprendre la situation. Je secoue la tête et essaie de rester concentré. J’allume rapidement la machine, tape le mot de passe et lance le moteur de recherche. La lenteur de l’appareil met mes nerfs à rude épreuve, j’aimerais que tout aille plus vite. J’ai envie de réussir, d’obtenir des réponses. J’ai besoin de rêver de nouveau que le monde s’éclaire, que le chemin s’illumine. Je suis fatigué d’avancer dans le noir, je suis épuisé de pleurer, je suis las de cette solitude. Je ne veux plus sombrer, je dois me relever. Je prends une grande inspiration et lance Instagram. J’essaie d’associer différents hashtags pour multiplier mes chances de la retrouver. Tout y passe : Paris, photo, tour Eiffel, Constance. Mais rien, pas un seul indice. Je lance Facebook, copain d’avant, trombi mais il n’y a aucune trace de Constance. Sur Google, uniquement de vieux articles parlent d’elle. Ils racontent notre histoire, expliquent nos vies d’avant, mais s’arrêtent là. Pourtant cette nuit, j’ai la sensation que je dois poursuivre. Je fais alors défiler les pages de recherches. Après une dizaine de sites lancés puis fermés, je tombe sur une sorte de blog plus confidentiel qui regroupe beaucoup d’informations. Il y a toute une biographie me concernant, des images, mon parcours scolaire, des témoignages de personnes ayant croisé ma route avant mon enlèvement. C’est vraiment effrayant de voir ma vie ainsi étalée comme si elle ne m’appartenait plus. Plus j’avance, plus je réalise que l’auteur de cette page a réellement investigué sur nous. Plus bas, je découvre qu’on a réservé le même sort à Constance. Sans attendre, j’imprime tout ce qui est sous mes yeux.
Je me lève et tombe nez à nez avec Justine. Encore ensommeillée, elle me regarde avec suspicion. J’ai l’impression d’être un enfant pris la main dans le sac. Je n’ose plus bouger attendant la remarque cinglante qu’elle va me sortir. Pourtant rien ne vient. Elle reste plantée, là, en plein milieu du salon, dans son petit ensemble noir. Au fond de moi, c’est la tempête, je ne sais pas comment réagir. J’aimerais m’excuser, mais au fond, j’ai simplement fait cela pour apaiser mon mal être.
— Jo, je suis inquiète pour toi…
Je lève le regard et croise ses iris noisette. Elle semble profondément angoissée et se dandine d’un pied à l’autre.
— Tu sais quand on a fait une pause toi et moi. J’ai fait des recherches sur ton histoire et aussi sur la pathologie de ce mec… Je comprends pas comment ce genre de trucs a pu arriver… Comme si personne savait qu’il était fou.
Je sens que la colère et la peur la rongent. Elle laisse échapper tout ce qui la préoccupe depuis nos retrouvailles. Je réalise que je vais devoir m’ouvrir. Elle n’est plus seulement celle qui réchauffe mon lit, c’est une amie sincère sur laquelle je dois pouvoir me reposer. Je m’assois sur le canapé et lui fais signe de me rejoindre. Sans attendre, elle s’installe à mes côtés, ramène ses genoux contre sa poitrine, croise ses bras et pose son menton dessus. Je fixe le mur en face de moi et me détache de notre réalité pour pouvoir me livrer.
— Charles, enfin Antoine, était atteint du trouble dissociatif de l’identité. On parle généralement de folie, mais ce n’est pas ça du tout, c’est bien plus complexe. C’est une véritable maladie, c’est bien souvent un mécanisme de défense lié à un passé extrêmement violent. Elle implique, une perturbation de la mémoire, de la pensée, de la perception de son environnement et de son identité. Il y a plein de symptômes qui apparaissent et des variances en fonction des patients. On imagine des gens complètement schizophrènes comme dans Split, Fight Club ou même Fous d’Irène. Seulement, la vérité, c’est que oui, Antoine était rongé par la maladie, mais il était conscient de son altérité, conscient de la réalité. Il a fait des choses inimaginables pas juste à cause de sa maladie, c’est vraiment bien plus complexe. C’était un cas extrême dévoré par ce trouble et par un alter psychologiquement instable… Mathis était un simple enfant de sept ans en manque de repère. Jean était le parfait patriarche à l’ancienne dont la violence était banalisée. Charles, lui par contre, était un vrai sociopathe. Mais comme je t’ai dit, c’est un cas à part. Beaucoup de personnes touchées par cette maladie suivent une psychothérapie. Il y a même des médicaments utilisés pour gérer les symptômes de dépression, d’anxiété, d’impulsivité et de toxicomanie… Ils peuvent suivre le cours de leur vie sans souci —.
— Attends, t’es en train de dire que genre tout va bien ! lâche-t-elle en se tournant vers moi. Un cacheton et on en parle plus.
— J’essaie uniquement de t’expliquer ce qui était la cause de tout ça. Tu m’aurais rencontré après ma libération. Je t’aurais dit que tous ceux atteints de maladie mentale étaient juste bons à être enfermés, voire pires. Seulement ce n’est pas si simple. Peu avant de te rencontrer, j’ai décidé de prendre contact avec des associations sur les troubles mentaux. J’avais un vrai besoin de réponses. J’ai rencontré des gens comme toi et moi, mais complètement ravagés par cette souffrance. Et j’ai compris. J’ai réalisé que si cet homme n’avait pas eu cette famille, ce passé, s’il avait eu un accompagnement adapté, ou un médecin compétent, il aurait peut-être eu une chance… J’aurais eu sûrement un destin différent. Je sais que c’est plus facile de le prendre pour un fou. Ça me fait aussi du bien quand je suis en colère d’oublier que c’est une maladie… Mais je pense à toutes ces personnes qui sont atteintes du même trouble et je me rends compte à quel point ça doit être dur de vivre ainsi.
Ma voix s’éteint dans un murmure et le silence nous entoure. C’est la première fois que j’en parle à quelqu’un d’autre que Malik, en effet c’est lui qui m’a accompagné dans ma recherche d’informations à l’époque. J’essaie encore de gérer tout ce que j’ai appris à ce moment-là. Ma rage s’est apaisée et a laissé place à une indignation ordinaire. De cet incendie ravageur à ma libération, il n’en reste désormais que quelques braises qui se ravivent quand je sombre dans les ténèbres. C’est difficile de faire la part des choses. Justine se racle la gorge et me ramène à ses côtés.
— Merci Jo.
Elle s’arrête, pose sa tête sur mon épaule et soupire.
— Quand j’ai lu tout ça, ça m’a retourné le bide. Je pensais que c’était qu’à la télé.
— Comme dans esprits criminels… soufflé-je en repensant aux paroles de Constance.
Je crois bien que c’était sa série préférée.
— Tu sais, je préférais que tu me questionnes plutôt que d’aller lire des trucs à peine vérifiés sur internet. Je ne te dis pas que je te raconterai tout dans les moindres détails, mais c’est mieux que trouver n’importe quoi.
Elle acquiesce, embrasse ma joue et retourne se coucher. Je sais qu’elle a besoin de solitude et de temps pour assimiler ce que je viens de lui livrer.
Je me sens étrangement épuisé après toutes ces confessions. J’aimerais me rendormir pourtant je repense à ce site que j’ai trouvé. Je me relève et me dirige vers l’imprimante qui jouxte mon bureau.
L’ouverture de cette page Web date de deux mille quinze, l’année de notre enlèvement. Je lis attentivement toutes les informations me concernant.
Identité : Joan Martin Mallet
Date de naissance : 5 août 1991 né à Paris dans le quatorzième arrondissement à l’hôpital Cochin.
Parents : Pascal Mallet et Joséphine Mallet née Flein.
Fratrie : Arnaud Alexis Mallet
Cursus scolaire : École primaire publique convention
Je constate qu’il a listé le nom de tous les enseignants que j’ai eu, de ma maîtresse de petite section à mon directeur. Je me dis si les recherches sont si poussées, je risque de trouver des détails sordides sur les dernières années de ma vie… Je tourne les pages et continue ma lecture.
Collège et lycée Buffon
Baccalauréat scientifique avec mention assez bien, spécialité mathématiques.
Plusieurs dossiers admis :
— Licence de musicologie
— Classe préparatoire mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur
— Licence de Mathématiques
— Licence de droit
— Licence en école de commerce
Choix validé : Licence en école de commerce (ISTEC à Paris)
Là encore, on peut y voir la liste de tous les professeurs que j’ai eu. En tournant la feuille, je vois le nom de mes camarades, certaines anecdotes et même le prénom de mes petites copines officielles. Au vu des histoires, je suis quasi persuadé que ces informations viennent de Vincent, mon meilleur ami, enfin ancien ami. À vrai dire, après ma libération, j’ai dû être hospitalisé. Seulement, en sortant, j’ai eu l’immense joie de découvrir qu’une partie de ma vie avait été dévoilée au grand jour. C’était déjà difficile d’être la victime du célèbre Antoine Dupré, mais voir tous ces détails exposés avaient été douloureux. Après quelques recherches, j’avais appris que Vincent avait vendu tout ce que j'étais à ces vautours de journalistes. Ma décision a été radicale, j’ai fait une croix sur une relation de quinze ans.
Je ne suis donc pas vraiment surpris de voir tout cela même si cela me gêne. Je continue de lire chaque paragraphe jusqu’à tomber sur ceux concernant Constance.
Identité : Constance Jade Lacroix
Date de naissance : 6 janvier 1995 né à Clamart à l’hôpital Antoine Béclère.
Parents : Stéphane Lacroix et Caroline Chanteloup (divorcé)
Fratrie : Fille unique
Cursus scolaire : École primaire du Clos Saint Marcel à Sceaux
Collège et Lycée Lakanal à Sceaux.
Baccalauréat économique et social avec mention bien, spécialité anglais, option section européenne allemand.
Plusieurs dossiers admis :
— Licence de lettres modernes
— Classe préparatoire littéraire
— Licence d’histoire
Choix validé : Licence d’histoire à Paris Sorbonne.
La suite est bien plus personnelle et je décide de ne pas en lire davantage. J’ai l’impression de violer son intimité. Je sais que je pourrais potentiellement accéder à des informations utiles à mes recherches, mais ça me bloque. Les écrits me concernant étaient vraiment très détaillés et gênants, alors je ne me vois pas apprendre tout cela autrement que par elle. Toutefois, il faut absolument que ce site soit fermé, je refuse qu’une nouvelle fois ma vie soit étalée ainsi au grand jour. Malheureusement, je n’ai aucun moyen de trouver le propriétaire du blog. Mon unique manière pour qu'il disparaisse est de le dénoncer. Je décide donc d’envoyer un message à Malik pour l’avertir de cette page internet et lui demande si Soraya peut y faire quelque chose. Je sais qu’à cette heure-ci, je n’aurais pas de réponses, mais je me sens déjà plus léger. Fatigué, je repose mon téléphone et le tas de feuilles sur la table basse. Je me lève, éteins mon ordinateur et me dirige vers la chambre.
Justine est là, profondément endormie. En silence, je me glisse dans les draps et essaie de ne pas la réveiller. J’aimerais être aussi paisible qu’elle, seulement je suis obnubilé par ces renseignements qui sommeillent dans mon salon. Je me sens noyé dans un océan de sentiments contraires et je sais d’avance que je vais devoir prendre des décisions qui ne me ressemblent pas…

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant