Chapitre 22

8 3 0
                                    

16  septembre

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.


16  septembre

J’ouvre doucement les yeux et constate que j’ai trouvé refuge dans les bras de Joan. Je ne sais toujours pas ce que nous sommes, ni comment nous définir, mais je savoure ce réconfort. J’ai beau essayer de ne pas y penser, je dois me rendre à l’évidence. J’ai l’impression d’être une adolescente qui goûte à l’interdit. Je veux juste me blottir contre lui, de l’embrasser, de découvrir ce qu’il aime. Mais je sais que c’est risqué. Si on se fait prendre, je n’ose imaginer les conséquences. Et j’ai peur de m’attacher, peur de faire confiance, mais surtout peur de le perdre.
Je décide de me lever pour soulager une envie pressante, mais je n’ai pas le temps d’arriver à destination que quelque chose attire mon regard. Caché près de l’unique coffre que nous avons, je regarde deux boîtes rectangulaires. Le plus silencieusement possible, je vais les récupérer et suis très surprise de ma trouvaille. Un mot est griffonné sur un morceau de papier, lui-même scotché sur le paquet.
« N’en parlez à aucun d’eux. Je n’ai pas le choix. Je suis désolé. Soyez prudent “.
C’est une belle écriture très fluide. J’ouvre doucement le couvercle métallique et découvre à l’intérieur de la nourriture : sandwich, thon, biscuits et des fruits secs. Je ne sais pas qui a déposé ça, mais j’ai l’impression d’avoir découvert le Graal.
Je les garde contre moi et retourne voir Joan. Il faut qu’il sache. Il faut que je lui montre et qu’il reprenne des forces. Assise sur le matelas, je caresse son visage espérant le réveiller délicatement. Il finit par ouvrir les yeux et m’adresser un sourire réconfortant.
— Bonjour toi.
— Bonjour.
Il se redresse douloureusement et remarque immédiatement ce que je tiens entre mes mains. Il m’interroge du regard et je peine à garder mon calme.
— C’était posé là-bas avec ça, expliqué-je en montrant mes trouvailles.
Je lui tends tout ce j’ai en ma possession et le laisse découvrir par lui-même. Il ouvre la première boîte et est surpris. Il se précipite et fait de même avec la deuxième.
— Mais c’est quoi ce délire ?
Je comprends rapidement que c’est une grande première pour lui. Il prend chaque aliment ou sachet et l’observe sous toutes ses coutures. J’ai l’impression qu’il cherche quelque chose.
— Tu ne trouves pas ça bizarre ? me demande-t-il vraiment préoccupé.
— Si, mais qu’est ce qui ne l’est pas dans ce que nous vivons. Regarde cet endroit, ce mec et nous… Peut être que je vais prendre un risque, mais je compte bien manger tout ça parce que je meurs de faim…
Je suis obsédée par la nourriture depuis quelques jours, c’est devenu une véritable angoisse. Alors sans attendre, je récupère ma boîte et prends ce qui est périssable en premier. Je porte le sandwich à mes lèvres et croque dedans. Jambon, beurre un classique. Je ferme les paupières et savoure chaque bouchée. J’ai l’impression de redécouvrir chaque saveur, c’est assez étrange. Je relève le regard et constate que Joan me fixe. Il attend le moindre signe de ma part qui indiquerait un souci. Mais hormis dévorer un très bon casse-croûte, il n’y a rien de particulier.
— Il est délicieuse Joan, tu devrais prendre le tien.
Ses yeux alternent entre son contenant et moi. Il hésite quelques minutes et finit par le saisir. Lorsqu’il le mange à son tour, je vois son corps se détendre immédiatement.
Je ne sais pas qui est à l’origine de ce cadeau, mais c’est un don du ciel. Il nous fait du bien à la fois au moral, mais aussi physiquement.
Au bout de quelques minutes, nous nous rallongeons et savourons cet instant.
— T’avais raison, c’est…
— Génial, ajouté-je pour finir sa phrase.
Je réfléchis au reste de la boîte. Je ne veux pas qu’on s’empiffre aujourd’hui et qu’on meure de faim demain. Il faut que je trouve une solution, on ne peut pas prendre le risque que Charles les trouve. Je me relève et regarde autour de nous. J’ai une idée. Je retire tout le contenu et le cache sous le matelas. Joan m’imite et on replace les récipients à l’endroit initial.
Je ne sais pas si nous paierons cette nourriture, mais pour le moment je veux savourer. Joan se rallonge et je me pose à ses côtés. D’un geste vif, il attrape mon poignet et l’attire contre lui. Je décide donc de me poser sur son torse. J’écoute les battements de son cœur et me laisse bercer par ce son mélodieux.
J’entends la porte s’entrouvrir et je comprends que notre bourreau vient de pénétrer dans notre pièce. Il me fait signe de me lever en silence. À peine suis je debout qu’il m’attire contre lui. Ses mains serrent mon avant-bras et je sais pertinemment que je suis pris au piège. Je ne veux pas que Joan se sacrifie une nouvelle fois. Alors je me tais et prie pour qu’il ne se réveille pas. Je relève la tête et regarde Charles. Je refuse qu’il sache mon angoisse. Je le fixe, je le combats intérieurement. Malheureusement je fais peine à voir. Lui tiré à quatre épingles avec sa chemise bleu ciel et son jean parfaitement repassé tandis que la robe jaune qui était impeccable à mon arrivée est maintenant en piteux état.
Il me tire vers la sortie et je m’autorise un dernier regard vers Joan. Je réalise que nos baisers ont changé la donne, ce n’est plus pareil. Je n’ai plus seulement peur des coups que peut m’assener Charles, mais j’angoisse de ne pas revoir l’homme que j’aime.
— Nouveau test pour aujourd’hui, m’explique-t-il en me poussant dans la pièce de torture.
On avance dans le couloir et arrive dans la salle de l’enfer. Je n’oppose même pas résistance, ça ne sert à rien. Il m’installe sur la chaise et m’attache avec les cordes. Je suis désabusée. Je ne sais pas à quoi m’attendre, mais il a piqué ma curiosité en parlant d’expérience inédite. Il faut que je sache.
— Charles, pourquoi tu me fais passer des épreuves ?
Il daigne enfin me regarder. Il semble surpris par ma question, comme si c’était stupide. Je lève un sourcil et attends, il me faut cette réponse.
— Charles ?
— J’ai besoin que tu me prouves que tu es une femme forte et courageuse. Il faut que tu sois capable de te battre et de le protéger quoiqu’il t’en coûte. Je veux que tu sois parfaite pour mon projet.
Protéger qui ? Quel projet ? Je ne sais pas quelle est la finalité de tout ça, mais ça ne sent pas bon pour moi.
Il le voit faire plusieurs allers et retours vers le fond de la pièce sans pouvoir distinguer ce qu’il fait. Un bruit métallique semble se cogner contre du bois. Je ne veux même pas imaginer ce qu’il prépare. Les minutes défilent et il finit enfin par revenir vers moi. Il détache mes mains et mes pieds et me retourne. Je découvre une grande chaîne enroulée sur l’immense poutre. Au bout pende une paire de menottes et je comprends très vite que je vais y être attachée. Sans un mot, il me faut avancer et m’enfilent les bracelets autour des poignets. Une fois debout, les bras tendus au-dessus de ma tête, je me demande quel est l’intérêt de tout ça. Que va-t-il faire ? Vais-je avoir mal ? Combien de temps est ce que ça va durer ?
— Le principe est simple tu vas devoir rester dans cette position le plus longtemps possible. Si tu cries, je serais dans l’obligation de te punir.
Sans me prévenir, il se met à tirer sur les maillons. Je suis soudainement sur la pointe des pieds, presque suspendue à ces liens. Je vacille et peine à ne pas bouger. Seulement à chaque mouvement, cela me tiraille et me fait bouger. J’essaie de tenir, de ne pas trembler, mais c’est peine perdue. Mes épaules ainsi que les aisselles me brûlent. Je fixe Charles et tente de me vider l’esprit.
J’espère que Joan va bien et qu’il dort toujours ou qu’il ne s’inquiète pas de mon absence si jamais s’il s’est réveillé. Est-ce que lui aussi a eu le droit à ce traitement ? Je sais qu’il a connu bien pire sur le plan physique, mais il ne dit rien de ces moments avec notre bourreau. Et si je ne réussissais pas le test et que je ne le revoyais plus ? Non, ça ne peut pas se passer ainsi, je dois me battre.
Au bout d’un certain temps, Charles finit par quitter cet endroit en m’adressant un sourire carnassier.
Il faut que je me détende et que je profite de son départ pour trouver une solution. Je ne peux pas rester indéfiniment ici. Au moment où il me détachera, il faut que j’essaie de me débattre. Je suis sûre que je peux tenter quelque chose. Je balaie la pièce du regard, mais je ne vois rien susceptible de m’aider.
Les muscles me tirent et la douleur finit par me faire perdre l’équilibre. Mon cri alerte Charles qui revient sans tarder. Alors qu’il passe à peine la porte, je vois qu’il tient dans la main un bâillon.
— J’avais été clair, lâche-t-il en positionnant le bout de tissu sur ma bouche.
Il donne un coup de pied au niveau de mes tibias et perturbe complètement la stabilité que je venais de retrouver. Je pousse un hurlement étouffé par cette espèce de muselière. Je souffre le martyre. J’ai l’impression qu’on m’écartèle. Je n’arrive pas à me remettre correctement debout. La violence est insoutenable et sans pouvoir le contrôler, les larmes coulent sur les joues. Je veux que ça s’arrête, je ne vais pas pouvoir tenir longtemps. Je vois bien qu’il me fixe et le supplie du regard.
Il finit par craquer, avancer et me détacher. À nouveau libre, je tombe lamentablement au sol.
— Tu me déçois profondément ! crache-t-il en attrapant mon avant-bras et me traînant jusqu’à la chaise.
Une fois assise, il m’assène une gifle qui me fait retomber par terre. La dernière chose que je suis capable de voir est ses chaussures faisant demi-tour.

Je me réveille doucement, le corps endolori par ce que j’ai subi.
— Bonjour petit ange…
Je croise les yeux de Joan et cela a le don de me détendre. Durant ma séance de torture, j’ai eu peur de ne plus jamais croiser ce regard bleu ciel. Je les fixe, les détaille et les imprime. Malgré la violence, je ne me sens pas si mal en point et je crains d’avoir la réponse à mon état. Je guette mes avant-bras et constate qu’une nouvelle fois, j’ai des traces de piqûres. Je pense que c’est la seule chose qui nous maintient en vie. Sa paume caresse ma joue et me réconforte. Je tente de me redresser, mais une vive douleur aux côtes m’arrête immédiatement. J’ai dû me faire blesser en tombant. Joan s’assoit et se positionne à côté de moi.
— T’as mal où ?
Je lui montre en essayant de ne pas trop l’alarmer. Je vois sa mâchoire se crisper et son visage se fermer. Je sais qu’il essaie de cacher sa colère, mais c’est peine perdue.
— Ne t’inquiète pas, ça va passer, le rassuré-je.
Je finis par m’asseoir et me poser contre le mur qui jouxte notre matelas. Il me rejoint, prends ma main et entrelace nos doigts. Je n’ai pas envie de me questionner aujourd’hui, je veux savourer le réconfort qu’il m’offre.
— Constance ?
Je relève la figure et croise son sourire. Je n’ai pas le temps de répondre qu’il me vole un baiser. Je suis surprise par sa spontanéité, mais j’aime ce contact.
— Oui ?
— Rien, je voulais juste t’embrasser !
Il m’arrache un rire et je découvre une nouvelle facette de Joan qui me plaît beaucoup. C’est une folie, vraiment. Je me demande encore quels traits de sa personnalité je vais découvrir. La curiosité est mon vilain défaut. Je pose ma tête sur son épaule et profite de cet instant de tendresse.
Ça fait du bien surtout après mon moment avec Charles. Je crains les prochaines épreuves, je ne sais pas de quoi il est capable. Peut-il faire pire ?
— Tu ne m’as jamais dit ce que tu faisais comme étude ?
Il me tire de mes angoisses et me ramène à ses côtés. Mes études. J’ai l’impression que c’est un monde parallèle, que c’était dans une autre vie. Je ne sais même pas si ça sera utile plus tard. Finalement, on se questionne, on se cherche et résultat ça ne sert à rien. J’ai passé des heures à réfléchir à mon avenir pour des prunes…
— Constance ? me coupe-t-il dans mes pensées.
— Pardon, je fais une licence d’histoire. En fait, j’ai été bercée par tout un tas d’anecdotes que mon père me racontait. J’ai fini par lire beaucoup de bouquins notamment sur la Seconde Guerre mondiale.
Je me rappelle de nos soirées en compagnie des livres. Même si mes parents se sont séparés très tôt, nous avons gardé ce rituel pendant longtemps. Il me parlait de chevalier, de familles royales, de résistants se battant pour la liberté d’un pays, de déesses, des colons et de grands personnages humanistes. J’étais fascinée.
— Et ça te plaît ? continue-t-il, curieux.
— Oui, si on oublie l’histoire moderne et la géographie. J’avoue que ce n’est pas ce que je préfère, mais je suis captivée par l’histoire contemporaine.
Je repense soudainement à cette question que je posais souvent à mon père. Comment la folie d’un homme a pu entraîner plusieurs pays dans une guerre mondiale ? J’étais obsédée par ce phénomène. Désormais il fait écho à mon présent. Je crois que je n’ai jamais côtoyé quelqu’un d’aussi fou que Charles. Bien sûr que j’ai rencontré des personnalités avec des différences, mais lui… C’est un cas clinique !
— Constance ? Reviens…
Je suis une nouvelle fois perdue dans mes pensées et rappelée à l’ordre.
Je m’excuse et lui fait part de mes réflexions, de mes angoisses et tout ce qui envahit mon esprit. Et sans attendre, Joan se positionne face à moi et pose son front contre le mien.
— Parle-moi, évacue, je suis là…
À mon tour, je pose mes lèvres sur les siennes et rapproche mon corps du sien. J’ai besoin de lui, j’ai besoin de ce contact, j’ai besoin de notre bulle.
Le bruit que fait Charles en bas nous coupe dans notre élan. On se détache à vitesse grand V. J’imagine déjà le pire et avec lui, il y a de quoi faire. Je regarde Joan qui lui ne semble pas plus perturbé par tout ce bruit.
— Je sais pas comment tu fais, je vais craquer, avoué-je, à demi-mot.
— C’est toi. Toi ma motivation, toi qui a redonné du sens à ma lutte. Toi qui m’as convaincu de ne pas abandonner.
Il vient de transpercer mon cœur, de le voler et le garder tout contre le sien…

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant