Chapitre 31

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2 mai

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2 mai

Une fois devant, je saisis mon billet et trouve immédiatement les informations nécessaires à ma quête : voiture 6 place 26, le jour de sa naissance et son âge. J’essaie de ne pas y voir un indice, mais l’espoir qui sommeille en moi se réveille et croise les doigts. Je secoue la tête et me reconcentre, il faut que je me dépêche avant le départ. Je scrute chaque wagon afin de trouver le mien et prie pour ne pas me retrouver en compagnie d’une classe en voyage scolaire. Je m’installe côté fenêtre en espérant être seul. Lorsque la sonnerie retentit, je comprends que je vais pouvoir profiter du trajet en silence. Le paysage défile sous mes yeux et j’essaie de m’évader un peu. Mais rapidement mes questions ressurgissent et je peine à me calmer. Sans attendre, j’abaisse la tablette, sors de mon sac à dos ma trousse et mon carnet. Je couche sur le papier tout ce qui occupe mon esprit. Je trace le contour, je complète, je griffonne. J’estompe, j’appuie et peaufine. Et comme un cercle vicieux, c’est encore elle que j’ai dessinée. Elle hante mon cerveau à longueur de journée. Je note la date sur mon croquis et envisage de lui offrir si elle accepte de me revoir. Je tourne la page et enchaîne quelques ébauches et évidemment elle est sur chacune d’elles. Au bout de plus de deux heures trente de trajet, je finis par ranger mes affaires, car si j’ai bien compris nous n’allons pas tarder à arriver.

Je ne dois pas rater l’arrêt si je ne veux pas me retrouver à Lorient ou à Quimper. J’enfile ma veste, mon sac à dos et retourné chercher ma valise dans un des coins prévus à cet effet. Impatient, j’attends devant la porte que le train s’arrête et que le signal retentisse. C’est long et je peine à garder mon calme. Une fois libéré, je me retrouve un peu bête sur le quai. En tant que véritable parisien, je connais parfaitement les lignes de métro et de RER, mais en dehors de mon terrain de jeux, je suis perdu. Finalement, je trouve un guichetier et finis par trouver le bus menant à Quiberon. Je présente mon billet au conducteur et me faufile pour me trouver une place. Mon pied tambourine sur le sol et je commence à mordre ma lèvre. J’enfile mon casque, si jusque là j’avais essayé de tenir sans, maintenant je craque.
Les premières notes se font rapidement entendre et l’écoute des paroles m’apaise aussitôt :
She calls out to the man on the street
“Sir, can you help me?
It’s cold and I’ve nowhere to sleep
Is there somewhere you can tell me?
He walks on, doesn’t look back
He pretends he can’t hear her
Starts to whistle as he crosses the street
Seems embarrassed to be there”

Elle tourne en boucle depuis plus d’une heure quand j’arrive enfin à destination. Quiberon. Je crois que c’est un bon choix lorsqu’on cherche à se couper de sa vie parisienne. Cela semble paisible et si différent du tumulte urbain.
J’envoie un rapide message à Charlotte pour lui faire part de ma présence. Dans la foulée, je reçois une réponse contenant simplement une adresse : 1 place de port haliguen. Pour le novice que je suis, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin. Alors sans attendre je contacte la première compagnie de taxi dont le numéro est affiché en gare. J’attends seulement un quart d’heure avant de voir mon carrosse arriver. La Mercedes se gare juste devant et sans réfléchir, je m’y engouffre. Moins de dix minutes, je suis à moins de dix minutes du point d’arrivée. Je peine à réaliser que dans quelques instants, je vais la retrouver. C’est incroyable, inimaginable, je ne peux nier que je suis extrêmement angoissé. Je scrute la façade et tombe nez à nez avec une bâtisse très simple : le café du midi.
Je récupère mes affaires et décide de m’installer à la terrasse en espérant vite obtenir des réponses. Est-ce qu’elle travaille ici ? Vit-elle dans cette jolie maison qui jouxte ce restaurant ?
Le temps défile et j’attends, sans vraiment savoir quoi exactement. Je ne sais pas si je dois rester ou partir.
— Joan ?
Surpris, je porte ma main à mon cœur et me retourne. Je fais face à une grande blonde aux yeux noisette et je comprends très rapidement qui se trouve devant moi. Elle peut ressembler à Constance de loin et elles ont dû en jouer plus jeunes. Mais mon ange a ce petit truc en plus, ce charme indéfinissable, celui contre lequel je n’ai pas pu lutter.
J’acquiesce incapable d’aligner deux mots compréhensibles.
— Je suis Charlotte, heureuse de faire ta connaissance, enfin, je crois.
Elle me scrute sous toutes les coutures et je me sens comme un gamin devant une mère d’élève. J’ai l’impression d’attendre son approbation pour pouvoir ouvrir la bouche. Elle m’adresse un faible sourire et continue :
— Je t’ai fait venir ici pour qu’on puisse discuter ensemble avant que tu la rencontres. Il faut que tu saches que ce n’est pas aussi simple.
J’ai conscience que notre retour à la réalité a été un véritable combat. Vu mes cinq années de calvaire, je n’ose imaginer le sien.
— Elle ne parle jamais de ce qu’elle a vécu là-bas ni de toi. C’est une zone secrète. Je sais juste que tu existes à cause de ses nuits agitées. J’accuse le coup et comprends aisément son silence. Même si je ne m’étale pas sur notre cauchemar, mes plus proches connaissent l’existence de Constance.
— J’ai essayé de l’accompagner comme j’ai pu, mais elle a toujours refusé de me raconter quoi que ce soit. J’ai peur que tu ouvres un livre qu’elle ne veuille pas lire. Elle fait tout pour se reconstruire.
D’un coup, je réalise que je risque de mettre sa vie sens dessus dessous et ça me fait peur. Je devrais peut-être faire demi-tour et la laisser continuer son petit bout de chemin. Je ne sais pas quoi faire, je me sens complètement perdu. Je baisse la tête et essaie de faire le vide.
— Joan, je ne sais pas ce que ça va donner, ni même sa réaction. Mais une chose est sûre, c’est qu’elle ne vit plus comme avant, elle ne sourit plus comme il y a cinq ans. Elle survit, elle essaie de faire de son mieux, mais je la connais, elle n’est plus la même.
Elle pose sa main sur la mienne et adresse un sourire réconfortant. Je pense qu’elle est autant hésitante que moi, mais elle finit par me tendre un papier. Je l’ouvre et découvre une adresse.
— Demain, elle doit me remplacer à partir de quinze heures. Je ne serais pas loin, mais c’est le seul moyen que j’ai pour que tu la rencontres dans un endroit sécurisé pour elle. Tiens-moi au courant de ta décision.
Elle m’offre un dernier regard avant de repartir le long du port. Je suis surpris de voir une jeune femme aussi peu curieuse, mais très prévoyante. Elle semble avoir déjà bien réfléchi à chaque détail pour le bien de sa meilleure amie.

Je dépose un billet pour le café et rappelle le taxi afin qu’il m’emmène à l’appartement que j’ai réservé. Il semble être en plein cœur de la presqu’île. Le trajet est assez rapide et je comprends que je peux faire beaucoup de choses à pied. Une fois arrivé à place Hoche, je me débrouille pour trouver et découvrir ma location. Il s’agit d’un petit studio plutôt bien équipé avec vue sur l’esplanade du marché. L’avantage c’est qu’il n’y a pas grand monde pour le moment, ce qui me permet de ne pas avoir à gérer ces angoisses-là.
Je décide de me changer et d’enfiler une tenue plus confortable pour visiter cet endroit. Je ne sais pas depuis combien de temps la femme que j’aime vit ici, mais j’ai envie de découvrir son univers. Je descends et pars en direction du bord de mer. J’ai le besoin de profiter de ce paysage pour me vider la tête et pourquoi pas dessiner un peu.
Je marche pendant plus d’une heure quand je décide de me poser sur des rochers. Si j’ai bien suivi, je suis le long de la baie près de la pointe du Congel. Je n’ai pas osé m’y aventurer à cause du vent, mais la vue semble magnifique. Le soleil s’abaisse peu à peu et j’ai conscience que je vais devoir faire demi-tour et rentrer à l’appartement. L’angoisse reprend ses droits et une boule se forme au creux de mon ventre. Je n’ai même pas la force de lutter, cela fait cinq ans que j’attends ce moment…

Est-ce qu’elle va me reconnaître ? Vais-je lui faire du mal en revenant ? Et si je replongeais ?
Je fixe la devanture sans sourciller. Je suis confronté à une véritable tempête interne qui dévaste tout sur son passage. Mon cœur tambourine sur un tempo inconnu. J’ai décidé de laisser mes doutes de côté, pourtant je suis tétanisé. Mes mains sont moites et la crampe au fond de mon estomac ne cesse de croître. J’ai peur. Charlotte m’a assuré qu’elle serait là, mais j’angoisse de faire face à une nouvelle absence.
Sans réfléchir, je saisis mon téléphone, envoie un message à Malik et Justine et appelle celui pour qui je me dois de le faire.
— Arnaud, j’y suis. Mais… peut-être que je ne devrais pas… Imagine qu’elle —.
— Quoi qu’il se passe, quoi qu’elle te dise, vois-la, parle-lui et crois en vous. Vous êtes deux êtres que plus rien ne peut briser, si ce n’est de ne pas être ensemble. Accepte ce qu’elle t’offre et laisse l’avenir te guider.
J’ai envie de croire en ses mots, il rallume une minuscule flamme.
— Je t’aime petit frère, lâche-t-il comme pour me convaincre un peu plus.
Il a raison, rien de pire ne peut nous arriver si ce n’est d’être séparé. J’ai la nécessité d’être avec elle. Je murmure un merci et raccroche. Mes doigts se posent sur la poignée et poussent finalement la porte. Je n’ai pas besoin d’avancer. Je la vois, elle illumine la pièce, un ange tombé du ciel, mon ange. Je referme et ne peux la quitter du regard. Elle est là, je suis partagé entre l’envie de rester ici, des heures à l’admirer ou de parcourir les derniers mètres et la serrer contre moi. Mais quoi qu’il en soit le choix ne m’appartient plus.
Lorsqu’elle relève enfin la tête, son corps se tend soudainement et son sourire s’éteint brutalement. Le verre qu’elle tient dans les mains s’effondre violemment le sol, son teint devient livide et elle se mord la lèvre avant d’oser ouvrir la bouche.
— Joan ?
Ce son, mon prénom qu’elle prononce si doucement, me permet de respirer à nouveau. Elle ne m’a pas oublié. Ses yeux s’embuent me ramenant quelques années auparavant et comme si nous n’avions jamais été séparés, je garde le même réflexe. Je m’approche délicatement et la serre contre moi. Je m’enivre de son odeur, je caresse sa chevelure et oublie instantanément toutes ces années de souffrance.
— Tu n’aurais jamais dû venir. On est morts.
Cette phrase tombe comme un couperet, elle dévaste tout, broie tout espoir, tue tout sur son passage.

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant