Chapitre 21

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3 janvier 2021

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3 janvier 2021

Les jours s’enchaînent, les événements se suivent et j’oscille constamment. Le macabre cinquième anniversaire de notre libération, couplé à ma rencontre avec Nic, à ma dispute avec ma famille et à ce covid qui m’oblige à rester enfermé, font ressortir en moi mes pires démons. J’essaie de garder le cap, de me recentrer sur chaque détail minutieusement calculé, mais c’est une lutte incessante. Lorsque l’astre solaire se présente, le brouillard semble s’éloigner, mais quand la nuit se penche sur mes pensées, celles-ci s’obscurcissent à l’image du ciel…
J’observe une ultime fois le corps de Justine allongé dans mon lit. Son pyjama difforme la camoufle et j’ai l’impression de voir un petit bébé qui dort. Elle est arrivée hier, au moment de diner sans prévenir et comme souvent ces derniers temps nous avons juste passé une soirée devant la télévision, à grignoter un morceau. Je ne sais lequel de nous est en train de changer, mais notre relation n’est plus aussi frivole qu’auparavant. J’ai la sensation que nous entraînons presque un lien fraternel. Quoi qu’il se passe, je suis soulagé de la voir ici à mes côtés, comme un soutien infaillible, une présence immuable.
Je me faufile sans bruit jusqu’à la salle de bain et observe ce corps que je façonne depuis mon retour. Pourtant depuis quelques semaines, je n’arrive plus à maîtriser totalement mon apparence. La fissure que je cache cherche à percer au grand jour. Je perds en muscles vu que mes sessions de Parkour se sont raréfiées. Les courtes nuits à répétitions ont creusé mes pommettes, mes cheveux commencent à ne plus avoir de formes. Le bleu de mes cernes me rappelle celui qui entachait ma peau à ma libération. La longueur de la barbe me remémore la façon dont j’étais rasé là-bas. Mon visage fait peur à voir.
— Oui t’es moche !
Surpris par ma partenaire, je porte ma main au cœur. Elle sait que c’est tout ce que je déteste pourtant c’est un vrai plaisir qu’elle prend à me faire sursauter.
— Je rigole, souffle-t-elle en déposant un baiser sur ma joue. Aujourd’hui, tu me dois une sortie. J’ai envie de me vider l’esprit.
La connaissant, elle va comme toujours vouloir négocier un cinéma auquel je vais dire non. Les salles obscures m’angoissent cruellement. J’ai essayé, mais je tiens à peine dix minutes. J’ai besoin de connaître mon environnement et de voir les gens qui m’entourent.
Elle contournera en me proposant de faire les boutiques que je refuserai également. Trop de bruits, trop de monde, trop de proximité corporelle. J’ai juste la nécessité de poser des barrières, des limites…
Soudainement une idée me vient en tête fauchant immédiatement toutes les propositions qu’elle me fera.
— Je sais ce qu’on va faire. Habille toi simplement on va manger un bout et je t’emmène quelque part cet après-midi.
Elle hausse un sourcil, mais ne bataille pas et suis presque déçu de ne pas avoir le droit à une joute verbale de bon matin.
— Ça marche ! Dépêche, j’ai un sacré ravalement de façade à faire.
Elle me jette une serviette au visage et ferme la porte de la salle de bain.
Au bout d’une trentaine de minutes, elle est enfin prête. Elle a enfilé un pull noir et un jean brut, elle s’est maquillée légèrement et a lissé ses cheveux. Elle paraît tellement sage ainsi bien loin de la tornade qu’elle est.
J’ai, à peine le temps d’enfiler un gilet qu’elle m’attend déjà devant la sortie avec son manteau sur le dos. Son enthousiasme fait plaisir à voir et j’ai hâte de lui présenter ma petite surprise.
Nous nous rendons à la brasserie près de mon appartement pour grignoter un morceau. Tout se passe plutôt calmement. Même si l’attitude de ma partenaire est assez drôle à voir. Justine oscille entre excitation et inquiétude. Elle a passé le repas à hésiter pour l’entrée, salade ou velouté, pour le plat, bar ou rumsteck, pour l’entremets, île flottante ou mousse au chocolat. Je ne lui ai évidemment pas dit où nous allions cet après-midi, je crois donc que ça la perturbe.
Comme il nous reste du temps, on en profite pour se balader un peu dans le quartier même si avec le covid et les masques, la promenade est quelque peu morose. J’ai beaucoup de mal à ne pas voir tout un visage. Alors que nous tournons au coin de la rue, je vois une boulangerie ouverte et en profite pour acheter le goûter. Je choisis assez rapidement et prends en plus un extra en dessert pour ce soir.
Main dans la main, nous nous dirigeons vers notre point de rendez-vous. Alors que je tape le code, je vois le regard suspicieux de ma meilleure amie. Après avoir monté les marches, j’attends sagement devant la porte avec ma galette fraîchement achetée. Justine se tient en retrait juste derrière moi, cachant sa figure rougie par sa timidité. Je sais qu’elle déteste l’inconnu et pour le coup, je ne lui ai absolument rien dit. Elle craint de se jeter dans la gueule du loup et pour une fois, je savoure d’avoir le pouvoir de la taquiner. Je me redresse et frappe quelques coups suffisamment fort pour que ma grand-mère m’entende. Le battant s’ouvre et je sens la main de Justine attraper ma veste.
— Bonjour !
Antoinette se tient devant nous, permanente argentée parfaitement réalisée, pantalon bleu marine et pull lilas. Toujours apprêtée, elle affiche un large sourire.
— Bonne année Mamie ! souhaité-je en lui embrassant la tempe et la serrant contre moi.
— Bonne année mon grand ! Entrez ! Entrez, ne restez pas là !
Je me détache doucement et entre dans le vestibule. J’enlève mon manteau et en profite pour lui présenter Justine.
— Je suis ravie de faire ta connaissance et bonne année à toi aussi d’ailleurs.
Justine lui sourit gentiment et lui renvoie ses meilleurs vœux. Sans attendre, on s’installe dans le salon où mon aïeule apporte café, jus de fruits et thé, tandis que je m’attèle à sortir la galette. Assis tous les trois, nous échangeons des banalités lorsque Antoinette, et son franc-parler légendaire décident de clarifier notre situation.
— Alors si ce n’est pas ta petite-amie, je suppose que vous êtes donc des sex-friends, c’est comme ça que vous dites les jeunes.
Justine manque de s’étouffer avec la part de gâteau dans laquelle elle croquait. Quant à moi, je suis toujours soufflée par le bagout de ma grand-mère. Je finis par éclater de rire en voyant la tête de ma blonde qui n’ose pas répondre face à ce constat.
— Ma famille a le don de te rabattre ton joli caquet, lancè-je avant de déposer un baiser sur son crâne.
Je les observe discuter et me taquiner chacune leur tour. J’ai l’impression d’assister à un concours de celle qui sera la plus piquante. Elle va jusqu’à inviter Justine à son prochain anniversaire. Je nous imagine tous les deux entourés de ses copines de plus de quatre-vingt-dix ans en train de jouer à la belote. J’en rigole et lui promets que si nous pouvons, nous viendrons.
Le moment passé avec ces deux femmes me fait le plus grand bien.
Je fixe l’heure sur mon téléphone : 23 h 58. Je pense à cette date depuis ma visite chez ma grand-mère. J’ai même fait en sorte d’être seul ce soir, pour ne pas davantage inquiéter Justine. J’aimerais laisser couler, me battre contre tout ça pourtant mon esprit me rappelle à l’ordre. Dans deux minutes, elle fêtera ses vingt-six ans sans moi. Un nouvel anniversaire sans que nous soyons réunis.
Minuit.
— Bon anniversaire mon ange, soufflé-je.
Mon cœur meurtri par son absence se brise un peu plus chaque jour. Alors comme d’habitude, j’enfile mes écouteurs et laisse les premières notes de sa chanson se déverser dans mes oreilles. Je ferme les yeux et espère accueillir rapidement Morphé contre moi…
Le réveil sonne et me tire de cette longue nuit. Je me tourne et tombe nez à nez avec une chevelure blonde. Je ne reconnais pas ceux de Justine et ne comprends pas qui peut bien se tenir à mes côtés. J’imagine tout de suite le pire. Et si hier soir j’avais craqué et sombré dans mes travers les plus sombres au point de ramener une inconnue à la maison. Je n’y crois, je n’ai pas pu fauter à ce point.
— Joan ? Fais-moi un câlin plutôt que de gigoter dans tous les sens…
Mon cœur tombe au creux de mon ventre. Je reconnaîtrais cette voix entre mille. Je reconnais la fêlure et ses intonations. Elle ne peut pas être là, c’est impossible. Son corps se colle au mien et finit par tourner son visage.
C’est elle.
Tout s’arrête brutalement. Elle est ici, dans mes draps. Je suis complètement perdu.
— Constance ?
Elle me fixe et me sourit. Ses bras se glissent autour de ma nuque et elle dépose ses lèvres sur les miennes. Je savoure ce contact inattendu, je goûte une nouvelle fois au paradis. C’est comme si nous ne nous étions jamais quittés. Je m’enivre de ce moment et me délecte de cette douceur. J’essaie de lui donner tout ce que je suis, sans retenue, sans pudeur. Je veux qu’elle sache que je l’aime de tout mon cœur, qu’elle est celle que j’ai toujours attendue. Elle est la femme de ma vie. Si je pouvais, je lui demanderais de m’épouser, mais je dois contenir ma joie. Ses phalanges se faufilent dans mes cheveux et jouent avec.
Lentement notre baiser se calme et elle finit par se détacher de moi.
— Je t’aime, lâche-t-elle en se levant et en enfilant mon t-shirt en guise de pyjama. Je te prépare le petit déjeuner, bouge pas !
Je la vois sautiller avec toute l’innocence qui la caractérise avant de quitter la pièce.
Le bruit de la porte qu’elle claque me réveille en sursaut. Je me redresse sur le matelas et réalise toute la portée de ce cauchemar. Le monde s’écroule et j’ai l’impression que mon cœur se brise encore et encore. Cela contraste tellement avec mon ultime souvenir d’elle.
La dernière fois que j’ai vu Constance, c’est lorsque Charles est venu me chercher avant qu’il ne se fasse tuer. Ce jour-là, son regard s’est éteint.
Je me rallonge et fixe le plafond, comme si la réponse à ma hantise allait s’afficher. Je me sens si mal, si démuni et si fatigué. Je suis épuisé d’être sur ce fil permanent, à jouer au funambule pour ne pas tomber dans les abysses. Je suis à bout de souffle.
C’est plus fort que moi, je me relève et me dirige vers le salon
J’observe le coffre que je tiens entre mes jambes. Telle la boîte de Pandore, j’hésite à l’ouvrir. Je connais parfaitement son contenu et j’ai conscience que ce n’est pas là une de mes plus brillantes idées, mais j’en ai besoin.
Il faut que je voie ses traits ailleurs que sur mes croquis. J’ai parfois peur que ma mémoire défaille et qu’elle ne finisse par ne vivre que dans les méandres de mes souvenirs.
Je m’assois en tailleur sur le parquet face à ma bibliothèque. Je retire la dernière rangée de livres qui bloque l’accès à ce coffre si précieux et mes doigts trouvent rapidement l’objet de mon désir. J’ouvre le capot et redécouvre chaque caractéristique de son minois. Elle est sublime, il n’y a pas d’autres mots pour définir sa beauté. Je replonge dans tous mes dessins et caresse doucement ses lèvres. Je me remémore nos baisers, nos moments de tendresse et tout l’amour que l’on s’est transmis.
Je saisis mon petit carnet, mon stylo et décide de griffonner quelques lignes pour vider mon esprit.
Mon Ange,
Tu as 26 ans aujourd’hui. J’espère de tout mon être que tu vas bien. J’aimerais te dire qu’il en va de même pour moi, mais ça ne serait qu’un mensonge de plus. Tu me manques un peu plus chaque jour, j’ai besoin de toi pour avancer, j’ai besoin de toi pour vivre.
Je me sens tellement partagée, j’aimerais me dire que tu es heureuse, en bonne santé et que ta vie te comble. Mais une part de moi aimerait que tu m’attendes, que tu rêves que je sois à tes côtés. Je sais que c’est cruel et égoïste, mais j’ai envie de l’être quand il s’agit de nous.
Tout de toi me manque, ton sourire, ton rire, ta voix, ton regard, tes cheveux, mais aussi nos conversations, nos silences, nos moments d’affection, nos baisers…
Je prie pour croiser de nouveau tes yeux bleus…
Je t’aime.
Je souffle lourdement et pose mon carnet. Ces quelques lignes me font du bien, comme si je vidais mes pensées dans la pensine.
Je regarde la pendule et constate qu’il est déjà 3 h 14. Il me reste plus que quatre heures de sommeil. Or je sais d’avance que je serais incapable d’aller travailler dans ces conditions, je suis bien trop tendu pour m’en sortir. Je décide alors d’envoyer un message à Arnaud pour lui indiquer que je viendrais un peu plus tard, car j’ai une course à faire.
Je range tout le contenu du coffret et remets le précieux à sa place. Je ne veux pas qu’il puisse être accessible par n’importe qui. Je me pose sur le canapé et tente de faire une petite sieste avant de me rendre en banlieue, non loin de chez mes parents.
Après un court repos, je finis par émerger et me préparer rapidement. Café bu, jogging et sweat sur le dos, je sors de chez moi, enfile mon masque et me dirige vers les transports en commun. Je peine à réfléchir ce matin, le manque de sommeil et le cauchemar me perturbent. Il fait frais, mais tant pis, il faut que je me défoule.
J’agis comme un automate, je badge, je marche, je m’engouffre dans le RER. Quatre arrêts plus tard, je descends et fonce vers ce quartier que je connais bien. J’y ai fait mes premiers pas en tant que traceur avec un copain rencontré en cure. Sans attendre, j’échauffe chaque partie de mon corps. La clé d’une séance réussie commence par une bonne préparation physique. J’ai envie de vivre des sensations fortes, pas de me blesser. Une fois les articulations bien chaudes, je me mets à courir et mets mon cerveau en off. Je m’élance, saute par-dessus un petit mur, puis une rampe et tout s’enchaine très vite. J’alterne entre courses, sauts, roulades et acrobaties. Je vide mon esprit, fais travailler mes muscles et assouvis un vrai besoin.
Après plus d’une heure, je sens que je dois m’arrêter là. Je suis en sueur et j’ai trouvé ce que j’étais venu chercher : un exutoire. Je renfile mon sweat que j’avais mis dans mon sac et rentre à la maison avant de devoir aller à l’agence. Je sens que la semaine va être longue…

N'enferme pas nos coeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant