Chapitre 19

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25 décembre 2020

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25 décembre 2020

J’émerge doucement, le bras endolori par ma position. Plusieurs coups retentissent à la porte pourtant je n’arrive pas à aller ouvrir. Je me relève et pose mes doigts sur ma tempe, comme si ce simple geste allait aider ma céphalée. Le bruit des clefs se manifeste dans la serrure. Je n’ai pas le temps de réagir que Justine débarque dans mon appartement, bonnet de père Noël sur la tête et cadeaux dans les mains. Présents qui tombent violemment au sol lorsque ses pupilles se posent sur la table basse.
— Putain de merde.
— Joyeux Noël à toi aussi Juju.
La scène qui se tient devant elle n’est pas en ma faveur. Une flasque d’alcool entamée, moi allongé dans le salon encore habillé de la veille et des valises sous mes yeux. Je sais déjà ce qu’elle peut se dire, je ne suis qu’un homme faible.
— Pourquoi t’as pas appelé ?
— Je n’ai pas bu. Oui j’ai acheté cette bouteille et oui j’ai eu envie de tout oublier, de ne plus penser, mais je n’ai pas craqué.
Elle observe lentement la table basse, la vodka qui trône allègrement devant moi et doit sûrement vérifier mes dires à vue d’œil. Elle ramasse les paquets, les dépose sur le fauteuil et vient se blottir contre moi. Sa jambe se met à trembler et je reconnais immédiatement le signe de son anxiété. J’essaie de lui apporter un peu de réconfort, mais j’ai bien conscience qu’elle ne cessera jamais de s’inquiéter pour moi. C’est dans sa nature profonde.
— Ton père ?
Sa question m’arrache un sourire. Si elle savait que c’est un prix de groupe, un lot. L’un commence, l’autre enchaîne jusqu’à me mettre à terre et malheureusement pour moi, ils y arrivent à merveille. Je finis par acquiescer, car quoi qu’il en soit il est en partie responsable de tout ça.
J’essaie de chasser ces mauvais moments pour me concentrer sur elle. Elle est vêtue d’une très jolie robe noire à paillettes. Elle a ondulé ses longs cheveux blonds et maquillé bien plus légèrement qu’à l’accoutumée ses yeux noisette. Elle semble toutefois épuisée et malgré son chapeau de mère Noël, je réalise en observant son visage qu’elle semble, elle aussi, soucieuse.
D’un geste de la main, je l’invite à se blottir de nouveau contre moi. Si elle souhaite me parler, je sais qu’elle le fera sans que je lui force la main. Les minutes s’égrainent lorsqu’elle finit enfin par se confier.
— C’est le dixième Noël sans lui. Que ça fasse neuf, dix ou onze, ça ne devrait rien changer pourtant hier, il m’a manqué plus que d’habitude…
Le père de Justine est décédé d’une tumeur foudroyante au cerveau lorsqu’elle avait seize ans. Elle n’en parle quasiment jamais, mais quand elle effleure le sujet, je sens son être se fissurer sous ses mots. Ses yeux se teintent et je saisis l’ampleur de sa douleur. Je crois que je la comprends bien plus que je le voudrais.
Je resserre mon étreinte et tente de lui apporter tout le réconfort que je peux lui offrir.
Nous restons enlacés durant quelques minutes, comme si cette communion avait le pouvoir s’effacer nos souffrances respectives. J’aimerais tellement que ce moment ait ce don là pourtant cela fait bien longtemps que je sais que ça ne suffit plus.
— Bon assez chouiné, tu as des cadeaux à ouvrir. Je sais pas si tu as été vraiment très sage, mais la mère Noël Juju est généreuse !
Elle se relève et va récupérer les paquets qu’elle a déposés sur le fauteuil marron. Elle hésite, se dandine et semble enfin se décider. Elle me tend une boîte rectangulaire rouge magnifiquement bien emballée.
— Tiens, c’est pas grand-chose.
Je déchire rapidement le papier et tombe nez à nez sur un album photo. Sur la première page, je peux y voir un portrait de moi quelques semaines avant mon enlèvement. Sans le savoir, elle vient de toucher une corde sensible. Je ne peux pas oublier la promesse que Constance m’a faite, celle de nous prendre en photo à notre sortie. Une preuve de nous qui n’existe pas et n’existera sûrement jamais. Elle n’est pas là…
D’un seul coup, je ne me sens plus capable de me retenir et pour la première fois face elle, je craque. Je lâche les vannes. Si elle pouvait savoir comme je rêve d’y glisser une image de mon ange blond. C’est douloureux de faire une croix sur un souvenir. Pour moi, c’était bien plus qu’une parole, c’était un pacte, un engagement inavoué du lien qui nous unissait. Mais notre histoire est morte avec lui, le jour de notre libération. Le poids de son absence se fait de nouveau sentir plus que de raison. Je laisse couler les larmes que j’ai toujours sciemment retenues devant elle. Les mots sont bloqués au fond de ma gorge, rien ne peut sortir. Je la remercie silencieusement de ne poser aucune question. La nostalgie se mêle à la souffrance. La tristesse se mélange à ce deuil. J’évacue tout ce qui s’était niché au creux de moi, comme si tout s’envolait. Je ne sais combien de minutes je reste blotti contre elle, pourtant elle ne bouge pas, juste sa main continue de me caresser le dos.
Le temps fait son œuvre, les minutes défilent et les perles salées finissent par se tarir.
— Si tu savais à quel point j’aimerais pouvoir faire plus Jo…
Je le sais. Mais malheureusement ni elle, ni personne ne peut me sauver, je dois le faire seul.
Je dépose un baiser sur le haut de son crâne et me lève. J’essuie ce qu’il reste sur mon visage et tente de me focaliser sur la suite de notre journée. J’ai moi aussi un petit présent pour elle. Je me dirige vers ma chambre et ferme la porte. Je m’adosse contre le bois et souffle lourdement. J’essaie de maîtriser tout ce que je ressens, je ne veux pas gâcher nos moments ensemble, je dois prendre sur moi pour elle. Je me ressaisis et fouille entre deux pantalons parfaitement alignés.
Le minuscule paquet en main, je retourne la rejoindre dans mon salon. J’espère sincèrement que cela va lui plaire. Assise sur mon canapé, elle me regarde, curieuse de voir ce que je tiens entre mes doigts. Je lui tends, angoissé par mon choix. Sans ménagement, elle déchire le papier. Ses iris font des allers et retours entre moi et son cadeau.
— Mais non ? C’est pas vrai ? Mais Jo, c’est de la folie ! Oh punaise, j’y crois pas.
Un pass annuel pour Disney. Fan de la souris aux grandes oreilles, je n’ai pas pu m’empêcher de lui prendre après sa confidence. Elle m’avait avoué qu’elle aimerait beaucoup y retourner en souvenir de son papa. Elle se lève brusquement et se met à sautiller sur place en tapant des mains, le sourire aux lèvres. Ça me réchauffe le cœur de la voir si heureuse. Seulement, elle s’arrête soudainement les yeux écarquillés. Mon organe vital fait un bond et commence à m’inquiéter de ce revirement de situation.
— Qu’est-ce qui y a ? demandé-je.
— Mais mon deuxième cadeau, il est nul. En fait, il est même pourri par rapport au tien.
Sans lui offrir de réponse, j’explose de rire. Je m’en fiche des présents, je veux simplement un peu de réconfort et de temps passé avec elle. Son amitié est bien trop précieuse pour que des offrandes l’impactent.
Je me rapproche d’elle, la serre contre moi et embrasse sa tempe.
— Tu peux bien m’offrir du PQ que je m’en fiche. Je veux juste être avec toi, avoué-je, sans aucun doute.
Nous restons ainsi durant de longues minutes où nous profitons de ce calme. Toutefois, la journée file et j’avais prévu une petite surprise pour elle. En effet, hier matin, j’ai été acheter tout ce qu’il faut pour lui faire un repas festif. Je lui indique de m’attendre quelques minutes le temps de cuisiner. Je m’éclipse pour mettre le plat au four et préparer des petits toasts à base de saumon fumé et de foie gras. J’ai envie de bien faire les choses, de lui changer les idées. J’ouvre la bouteille de champagne que ma mère m’a conseillé et nous sers. Je sors un sachet de décoration du placard afin d’embellir mon vieux plateau. J’observe le résultat et suis plutôt satisfait, rien de trop mondain, mais rien d’austère. Je la rejoins de nouveau et découvre un paquet posé sur la table basse. Je dépose tout ce que j’ai prévu pour elle avant de saisir son présent.
— Je sais que c’est que dalle comparé à toi, mais j’espère que ça te plaira.
Je déchire le papier brillant et découvre rapidement ce qu’elle m’a acheté. Je ne sais pas comment réagir. Aujourd’hui, elle a une nouvelle fois touché un point sensible. Des vinyles de Stevie Wonder.
— Il y a quelque temps, j’ai remarqué que tu avais des platines ainsi que du matériel de musique dans une de tes armoires.
Je lui adresse un petit sourire. Cette période de mon histoire est derrière moi, celle où seules les notes de piano et de guitare hantaient mon esprit.
— Merci, c’est un très beau cadeau et tu as visé juste, murmuré-je.
J’essaie de paraître aussi neutre que possible. Je ne veux pas l’inquiéter ni même m’étaler sur cette époque douloureuse de ma vie. Je sais que si je replonge dans les souvenirs, je n’arriverai pas à m’en sortir. Alors je les garde contre moi, comme un vieux doudou, branche mon disque dur et lance le film.
« Love actually » démarre et je sais que je viens de faire plaisir à ma meilleure amie. De mon côté, mon esprit sombre lamentablement dans les restes d’une vie qui n’existe plus. J’ai rangé les platines, donné mes instruments à mon frère et mis en carton toutes mes partitions. Je n’ai gardé de cette ère que mes carnets de croquis que j’ai continué à remplir après ma libération. Mon amour pour la musique est désormais synonyme de ma naïveté. Si je n’avais pas été aussi passionné, je n’aurais sûrement pas croisé le chemin de Charles. Je n’aurais pas subi toutes ces violences, mais je ne l’aurais pas rencontrée, elle… J’ai conscience de l’aspect paradoxal de cette histoire.
— Ça, c’est vrai ! J’avais le pressentiment que le premier jour j’allais merder comme une conne. Oh là, là… Oh putain.
Je tourne mon regard vers Justine et constate qu’elle est absorbée par le film. Elle ne se rend même pas compte qu’elle vient de réciter une des répliques cultes. Je lui tends le plateau que j’ai préparé et j’ai presque l’impression qu’elle découvre ma présence à ses côtés.
— Désolée, j’adore ce film, souffle-t-elle en gloussant.
Nous passons ainsi le reste de la journée enchaînant les comédies romantiques et les dégustations préparées par mes soins.
— Merci Joan. Merci d’accepter de passer cette journée avec moi.
Je comprends mieux que personne à quel point la période des fêtes peut être difficile pour quelqu’un qui comme nous a un manque. Rien ne peut le combler, mais on peut au moins essayer d’apaiser cette douleur. L’anesthésier durant quelques heures, comme si elle n’existait pas.
Je dépose un baiser sur sa tempe et accueille avec plaisir ce réconfort.
Posé devant mon agenda, je regarde attentivement cette première semaine de janvier. Bienvenue 2021 et à toutes ces idées farfelues que les gens vont faire naître. Je ne crois pas au concept de bonnes résolutions. Se convaincre d’avoir une meilleure hygiène de vie, des engagements plus louables ou bien une attitude plus positive simplement parce qu’une nouvelle année arrive ne me correspond pas. Je n’ai pas envie de créer de faux espoirs pour un corps brisé et un esprit ravagé. Je chasse ces pensées et tente de me reconcentrer sur mon planning. Je planifie mes visites chez Antoinette en notifiant bien de passer acheter une galette pour la déguster avec elle. Mes séances de parkour sont également notées. Il ne manque plus que quelques rendez-vous avec Malik, ceux qui me sont devenus nécessaires depuis quelques mois.
Je n’ai le temps d’inscrire de choses inédites que la sonnerie de mon interphone retentit. Le visage de mon aîné apparaît sur le petit écran. Sans répondre, j’appuie immédiatement pour lui ouvrir et déverrouille la porte.
— Bonne année petit frère !
Je le serre dans mes bras et lui souhaite le meilleur à venir pour cette année qui lui réserve le plus beau des cadeaux.
— Jeanne est restée à la maison, elle est fatiguée de la veillée, mais elle voulait te transmettre ses bons vœux.
Je suis touchée par l’intention, mais j’appréhende le moment où Arnaud va revenir sur notre fantastique réveillon de Noël.
Il se déshabille et m’accompagne dans la cuisine pour que je nous prépare un café. Appuyé contre le chambranle, je le vois me détailler de bas en haut comme s’il cherchait à percevoir la faible fêlure que je dissimule.
— Je vais bien, le coupé-je avant qu’il ne se lance dans son monologue bourré d’inquiétude.
Il ne semble malheureusement pas convaincu par mes propos et je sens d’avance que je vais me faire cuisiner en bonne et due forme.
— Ah oui ? Et les cernes sur-
— Jo, t’as plus de gel douche à la coco, hurle Justine en débarquant en serviette dans la même pièce que nous.
Je ne sais lequel des deux crie le plus fort, mais cela a le mérite de me faire rire. Justine a manqué de faire tomber sa serviette quant à Arnaud, il a failli se prendre la porte en essayant de ne pas la voir. Cette situation est tellement inattendue et hilarante que je peine à me calmer. Mon aîné quant à lui ne sait plus où se mettre. Je rigole à pleins poumons et sens les larmes monter. Le visage cramoisi de mon frère est inédit.
— Ça va aller, tu vas t’en remettre. Elle dort juste à la maison, et comme une adulte à l’hygiène irréprochable, elle se douche tous les jours, lâché-je en tentant de reprendre mon sérieux. Juju! Tu peux revenir ici !
Je récupère les trois cafés et les dépose sur la table basse. Je m’installe et attends que mes invités se décident à me rejoindre. Arnaud tente de faire bonne figure, mais je sais que cette rencontre l’a mis mal à l’aise. Il connaît les liens que j’entretiens avec Justine depuis plusieurs mois, mais je sais qu’il ne saisit pas. À l’image de notre éducation, Arnaud a des valeurs très traditionnelles et pour lui, les relations ne peuvent pas être purement physiques.
Il s’assied dans le fauteuil et Justine quant à elle prend place à côté de moi. Ce moment est assez cocasse et a finalement réussi à me détendre.
— Merci à tous les deux.
Sans le savoir, chacun à leur façon m’offre un peu de répit…

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